Numériser le monde

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LIBRE EXPRESSION


« Nous vous remercions par avance pour votre participation à cette démarche écologique proposée. Celle-ci vise à remplacer la feuille d’émargement papier traditionnelle au profit de technologies numériques innovantes et connectées permettant de réduire fortement l’empreinte carbone de la planète et les effets connexes d’un traitement papier : transports, photocopies, archivage, pertes… »

Innovant et connecté : voilà deux arguments imparables auxquels l’IRTS de la Réunion vient de céder. Rajoutez à cela un zeste vert d’écologie et plus personne n’osera douter du bienfondé de la « digitalisation des processus ».

L’IRTS et le Département de la Réunion au sein desquels j’interviens au titre de formateur occasionnel et de travailleur social, sont comme la grande majorité des institutions et des individus sous le charme des solutions digitales. Télétravail, Visioconférences, cours et réunions en distanciel, applications en tout genre, travaux en réseau, signature numérique… deviennent de plus en plus la norme. Et l’IA arrive à grand pas.

Les champs de l’intervention sociale et de la formation ont une responsabilité particulière quant à l’exemple qu’elles donnent, l’attention qu’elles offrent, la réflexion qu’elle portent, les valeurs qu’elles prônent et transmettent, à travers leurs choix, leurs pratiques. A plus forte raison lorsque l’on s’occupe de pédagogie, d’éducation, de relation sociale, d’empathie, d’écoute, de solidarité… et que partout on clame : l’humain d’abord !

Privilégier systématiquement les solutions digitales, c’est légitimer et renforcer toujours plus notre addiction aux écrans, notre isolement, notre dépendance à internet, notre boulimie et soumission numérique.

Quant aux arguments écologiques, quel commerçant à ce jour ne met pas en avant les capacités de son produit à préserver notre planète ? Cette publicité est la plupart du temps fallacieuse.

Les solutions numériques n’ont rien d’immatérielles : elles nécessitent d’importantes infrastructures, réseaux, data center, routeurs, des terminaux toujours plus nombreux, elles consomment de l’électricité, rejettent des gaz à effet de serre, incitent à l’exploration minière, à l’exploitation incontrôlée des ressources et des peuples, produisent des déchets toxiques… Les empreintes sont loin d’être virtuelles, mais bien au contraire, multiples et profondes. L’impact social et environnemental connaît une croissance sans précédent, alimenter par nos choix et nos pratiques inconscientes.

Le pire, c’est que la plupart du temps, la dématérialisation des documents dans les institutions et administrations ne vient même pas remplacer les méthodes traditionnelles et réduire l’usage du papier. Bien au contraire, on imprime à tour de bras, on démultiplie les dossiers, on croule sous la paperasse.

Chaque institution participant à sa manière, petite touche par petite touche, à la digitalisation de son organisation, participe à la déshumanisation des relations, à la détérioration de nos compétences, à la déconnection du réel, à la dépendance numérique et énergétique, au dictat des algorithmes et des IA, à la surexploitation de nos ressources et la dégradation de notre environnement…

A propos de la révolution numérique, partout et tout le temps, j’entends : « on ne reviendra pas en arrière, on n’arrêtera pas le progrès ». Ah bon ! Et pourquoi ? Qui décide de cela ? Qu’elles sont les raisons vitales qui nous en empêcheraient, les besoins fondamentaux qui nous y obligent ?
A qui s’y intéresse, bien des rapports et des études dénoncent le désastre numérique.

En aucun cas il ne s’agit de fatalité, d’avancées incontournables, inexorables, d’obligation… Il s’agit de décisions « réfléchies », de choix de société, d’effet de mode, de programmes politiques, et surtout économiques…

Pour ma part mon choix est fait.

Gauthier Steye

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