« J’ai peur. Ils nous ont brisés méthodiquement », témoigne Yacine Haffaf après l’interception de la flottille pour Gaza

LIBRE EXPRESSION

Le 13 octobre, comme promis et malgré « une chape de fatigue psychique », la voix posée et chaude du Dr Haffaf à l’autre bout du portable met fin à plusieurs semaines d’inquiétude. De retour dans la capitale après sa troisième mission humanitaire sur la bande de « Gaza, le médecin livre un témoignage sans détours et accablant sur l’arraisonnement de la flottille internationale et l’inaction de la diplomatie française qu’il qualifie de « laxiste » face à la détention de ses ressortissants.


« Cette mission était différente des deux précédentes et dramatiquement encore davantage intense », confie-t-il d’emblée, le ton trahi par une révolte sourde. Pour la première fois en trente ans d’engagement humanitaire, ce n’est pas des blessures de guerre que le chirurgien porte, mais les cicatrices de l’abandon du « pays de la Liberté et des droits de l’homme » qu’il porte encore. « Honte », le mot est lâché pour caractériser le manque de courage des décideurs français face à l’attitude hostile et méprisante du gouvernement de Benjamin Netanyahu.

Bombardements en eaux internationales : « Une opération de guerre »

Le 5 octobre dernier, à 220 kilomètres des côtes de Gaza, l’armée israélienne intercepte violemment les 45 navires de la « Flottille de la Liberté » transportant lait infantile, médicaments et matériel médical destiné aux 2,3 millions d’habitants de l’enclave assiégée. L’opération militaire, menée dans les eaux internationales, constitue selon les experts du droit maritime une violation flagrante des conventions de Genève.
« Ce n’était plus une simple interception, c’était une déclaration de guerre », dénonce le médecin. Les 450 volontaires internationaux, venus de France, d’Espagne, d’Italie et d’autres pays européens, subissent pendant des heures en mer un déluge d’armes dissuasives tels que des bombardements d’eau par drones et dispositifs sonores assourdissants. Épuisés et contraints sous escorte armée, ils sont dirigés vers le port militaire d’Ashdod.

Première mesure d’intimidation : confiscation immédiate des téléphones portables. « Nous n’existions plus pour le monde extérieur », résume amèrement le Dr Haffaf.

« On nous a traité comme des terroristes »

Direction : le centre de détention de Ketziot, vaste complexe pénitentiaire de 400 000 mètres carrés situé dans le désert du Néguev. Cette forteresse entourée de barbelés et de tours de garde, devient le théâtre d’une guerre psychologique systématique pendant 72 heures.
Les témoignages recueillis font état de violences verbales continues, d’humiliations calculées et de techniques de torture psychologique : privation de sommeil par éclairage permanent, harcèlement sonore constant par percussion sur les grilles métalliques. Les organisations de défense des droits humains dénoncent depuis des années ces méthodes d’interrogatoire pratiquées dans ce centre.
« Le moral oscillait entre moments d’angoisse aiguë et brefs répits », témoigne le Dr Haffaf. Depuis le début de cette opération pacifique »nous avions cette sensation étrange d’être oubliés de notre pays avec un avenir totalement incertain ».

L’abandon français : « Vingt-sept ressortissants livrés à eux-mêmes »

L’accusation la plus grave du médecin vise directement l’Élysée et le Quai d’Orsay. Vingt-sept citoyens français se trouvent aux mains des autorités israéliennes, et Paris garde le silence. « Laxisme, manque de soutien, pire : absence totale de réaction pendant des semaines », énumère-t-il avec amertume.

Le contraste avec les autres chancelleries européennes est saisissant. L’Espagne et l’Italie mobilisent immédiatement leurs ambassades, exigent un accès consulaire et obtiennent le rapatriement express de leurs ressortissants. À l’opposé, le Pays des droits de l’homme « nous a abandonné aux conditions de détention inhumaine avec cette boule au ventre « , lance le Dr Haffaf, la voix cassée par l’émotion.
Cette passivité française interroge sur la subordination de la diplomatie tricolore aux intérêts géostratégiques américano-israéliens au détriment de ses propres citoyens.

« Le cessez-le-feu : une trêve pour se réarmer »

Sur le plan géopolitique, l’accord de cessez-le-feu en 20 points signé le 9 octobre dernier entre Washington, Tel-Aviv et le Hamas n’inspire guère l’optimisme au médecin. « Une pause tactique, rien de plus. Le temps pour chaque camp de reconstituer ses armements et de repositionner ses forces », analyse-t-il avec lucidité.

Les statistiques lui donnent tragiquement raison : 68 000 morts palestiniens depuis octobre 2023, dont 18 000 enfants, 170 000 blessés, et plus de centaines de victimes emportées par la famine et la malnutrition selon les sources officielles.

Derrière ces chiffres glaçants des visages, des cris et des pleurs témoignent de l’escalade meurtrière d’un conflit qui ne se limite plus à ces territoires du Proche-Orient mais prend les traits d’un génocide, « préparé depuis des décennies » dans l’indifférence et l’hypocrisie de la communauté internationale.

« Vers un chaos historique au Moyen Orient »

Un chaos attesté se prépare sous les yeux complices de dirigeants internationaux qui préfèrent leurs intérêts économiques à la justice.
La haine, attisée des deux côtés, Israéliens comme Palestiniens, semble avoir franchi le point de non-retour, faisant place à la menace d’une onde de choc dévastatrice telle que « le 11 septembre » poursuit Dr Haffaf.
Ainsi, le risque d’embrasement régional n’a jamais été aussi élevé et le processus de paix aussi fragile. Le médecin insiste « l’apaisement ne pourra devenir que lorsque cessera le soutien financier et politique accordé aux multinationales de l’armement ».

« L’espoir… cette petite flamme qui permet de rester debout »

Un tableau apocalyptique se dessine sous nos yeux fatigués nourris par les images des « déplacements forcés de populations ». Pourtant le Dr Haffaf refuse le fatalisme. « Cette petite flamme que je garde précieusement », confie-t-il, c’est l’espoir d’un sursaut collectif.

Il mise sur l’émergence d’un mouvement international transcendant les clivages religieux, culturels et idéologiques : « Décideurs politiques intègres, ONG indépendantes, intellectuels courageux, médias libres et surtout des populations alertées » pourraient converger pour bâtir une paix durable.

« La solidarité internationale reprendra ses droits »

Le Dr Haffaf conclut sur une note d’espoir farouche car il se refuse à baisser les bras et soutient que la solidarité internationale n’est pas morte. Elle sommeille, endormie par la propagande et les intérêts géopolitiques. Mais quand elle se réveillera, elle sera plus forte que toutes les armées du monde.

Un message d’espoir lancé depuis Paris, à mille lieues des bombardements de Gaza et des barbelés de Ketziot, mais porté par la solide conviction que la foi en l’homme finira par l’emporter sur la barbarie.

Frédérique Welmant

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