ÉDITO
Vendredi dernier, nous avons visité « en touristes », la belle exposition sur Vénus. Interrogés, les gardiens des salles d’exposition du Muséum d’histoire naturelle assurent n’avoir jamais eu connaissance de la présence d’une tête de momie dans les collections de leur établissement, et encore moins de crânes humains, le musée étant dédié à la vie animale.
Pourtant, s’il lui en prenait la lubie, le plus vieux musée de l’île pourrait faire de « sa » momie la pièce maîtresse d’une exposition sur l’Égypte ancienne. L’Égyptologie ne passe jamais de mode. Mais ça ne s’est pas fait. Et ça ne se fera sans doute jamais.
Secret de Polichinelle… En fait, la présence de cette pièce encombrante est connue depuis des décennies. C’est même noté sur l’inventaire de 1990, a-t-on appris lors de notre enquête. Mais, la semaine dernière encore, les services du Département, gestionnaire du Muséum, nous ont demandé d’attendre quelques mois avant de sortir l’info : sujet sensible et réserve électorale oblige…
Nous avons choisi de la publier aujourd’hui parce que nous avons appris la présence de restes humains dans le musée réunionnais au moment où nous révélions que l’historienne Klara Boyer Rossol a découvert des crânes et bustes d’esclaves réunionnais « oubliés » dans les réserves du Musée de l’Homme à Paris. C’était en mars dernier.
Déjà à l’époque, le Département avait tardé à répondre à nos sollicitations alors qu’il était le premier concerné puisque le musée de Villèle s’est positionné pour récupérer les restes humains conservés à Paris. Il avait fallu qu’un collectif d’associations culturelles réclame la restitution — en s’inspirant du projet de loi en cours d’examen sur le devenir des restes humains des territoires ultra-marins — pour que le président Cyril Melchior s’exprime sur le sujet.
Pourquoi une telle frilosité ? Pourquoi évoquer la réserve électorale comme si regarder en face l’histoire de La Réunion était un sujet de politique municipale ? A ce rythme-là, il n’y aura jamais de bons moments pour traiter les sujets sensibles. Car, oui, reconnaissons que le traitement des restes humains présents dans les musées est un sujet sensible tant il révèle des pans honteux de l’histoire de la science.
Reconnaissons que les approximations et les spéculations sur l’origine de crânes, des fœtus et de la momie entreposés dans les réserves du Muséum peuvent susciter de l’émotion et de la souffrance quand on pense que ces corps ont été prélevés sans consentement, voire arrachés à des terres colonisées.
C’est justement pour éviter les spéculations qu’il faut sortir au plus vite de l’ignorance. Nous avons contacté le Muséum en septembre dernier et donc laissé trois mois à nos interlocuteurs pour préparer leurs réponses. L’idée étant d’enclencher une démarche scientifique pour expliquer les enjeux et les comprendre.
Or cette démarche est enclenchée, et nous voulons croire que nos articles y ont contribué. La Réunion accueille en effet ces jours-ci Klara Boyer-Rossol, devenue entre-temps, chargée de recherche à l’Institut de Recherche et de Développement (IRD) sur les questions de restitutions des restes humains pour l’océan Indien. Son expertise en la matière va aider le Muséum à remplir ses fiches et lever les spéculations. Et s’il n’y parvient pas, l’essentiel sera déjà de s’en donner les moyens.
Alors, oui, nous publions aujourd’hui notre article sur les restes humains conservés à Saint-Denis parce que, vis-à-vis de ses lecteurs, un journaliste n’est pas censé garder pour lui ses informations.
Et c’est une bonne nouvelle en cette veille de 20 décembre de savoir que le Département s’engage à rechercher la vérité historique sur l’origine de ses restes humains. Chercher de la connaissance, c’est déjà se libérer.
Franck Cellier


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