érosion sur les plages de Saint-Paul Hermitage Saint-Gilles Roches Noires

[Environnement] Inondations: la disparition annoncée de l’Ermitage 

LE PAPI FAIT PRENDRE LE RISQUE D’UNE SUBMERSION MARINE

Le projet de Programme d’actions et de prévention des inondations de l’Ermitage a déjà dix ans. Dix ans pendant lesquels le conseil scientifique de la Réserve marine n’a cessé d’alerter sur les dangers que le Papi représente.

Roland Troadec scientifique réserve marinte Papi de l'Ermitage
Roland Troadec, vice-président du conseil scientifique de la Réserve marine, estime que le Papi de l’Ermitage est dangereux pour le récif.

« Ce Papi de l’Ermitage, Huguette Bello risque bien de se le prendre dans les dents comme Didier Robert la Nouvelle Route du littoral. » Roland Troadec, courantologue et vice-président du conseil scientifique de la Réserve marine, est las qu’on demande l’avis des scientifiques pour ne pas en tenir compte. Pour lui, ce Programme d’actions et de prévention des inondations (Papi) est « une bombe à retardement ».

C’est pour s’élever contre ce projet — la phase I est terminée, il reste les problématiques phases II et III à réaliser — que les scientifiques de la Réserve marine ont rédigé une seconde autosaisine et alerté sur les risques encourus à poursuivre les travaux prévus. Ils convient de souligner que le conseil scientifique de la Réserve marine est composé de scientifiques nommés par le préfet pour leurs compétences, qu’on ne doit pas les confondre avec des opposants politiques ou des militants écologiques. 

Erosion littorale

Le Papi vise à permettre la mise hors d’eau de 4 800 personnes et 1 600 bâtis actuellement exposés au risque inondation dans les secteurs de l’Ermitage-les-Bains et la Saline-les-Bains. Pour ce faire, il est prévu des bassins de rétention et la canalisation de quinze ravines du secteurs, de supprimer la majorité des rejets directs dans le lagon et de renvoyer la plupart des eaux vers les ravines Trois-Bassins et l’Ermitage. Et, pour les crues décennales, vers la pseudo-ravine Joyeuse. Tout ça risquant de nuire à l’équilibre « du milieu naturel porteur, soit l’ensemble constitué par la plaine littorale et le complexe corallien adjacent », souligne Roland Troadec. Car le récif n’existe que grâce à cette plaine littorale avec laquelle il ne fait qu’un. « L’existence de cette zone tampon, c’est ce qui explique pourquoi il y a une barrière de corail à cet endroit et pas dans la baie de Saint-Paul », indique-t-il encore. 

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« Le risque, c’est la submersion marine, la salinisation des aquifères, l’érosion littorale », résume Roland Troadec. La submersion marine, par la destruction du récif, déjà en mauvaise santé. « L’arrivée brutale d’une masse d’eau pluviale peut provoquer une destruction immédiate », indique le scientifique. Car le système naturel permet une diffusion lente et dispersée de l’eau dans le lagon, là où le Papi va concentrer toute l’eau sur deux ou trois exutoires et à des moments précis. « L’augmentation des débits dans les milieux sensibles est contraire au PGRI (Plan de gestion des risques d’inondation) qui doit s’imposer au Papi. Et le PGRI indique que le volume global des rejets au lagon est légèrement plus important à l’état aménagé qu’à l’état général », poursuit-il. « De plus, les aménagements n’incluent pas la protection de la ville contre l’élévation de la nappe phréatique, ni contre les houles exceptionnelles, ni les eaux pluviales issues des zones urbanisées. » 

Depuis 2013

Depuis 2013 et les premières présentations du Papi de l’Ermitage au conseil scientifique de la réserve, ce dernier ne cesse d’alerter sur ces dangers. Pourquoi alors ne sont-ils pas entendus ? Pour Roland Troadec, cela ne fait pas de doute, c’est à cause de l’urbanisation du secteur, en amont et en aval de l’ancienne route nationale. Déjà, en 2002, Le Quotidien dénonçait cet état de fait et le laisser-faire de l’Etat (éditions des 26 juin, 4 et 5 juillet) : « Pourquoi élaborer des plans de protection, pourquoi débattre de l’aménagement durable, de la protection pour, ensuite, favoriser les intérêts de quelques-uns ? », écrivait Marc Bernard, reprenant les propos de Gilbert Annette et Michel Vergoz. « A propos de Bruniquel et Roquefeuil, le plus scandaleux, c’est que le pouvoir politique, et notamment l’Etat, ait fait ou laissé faire le contraire de ce qu’il préconisait, c’est-à-dire la préservation des terres agricoles », assénait Bruno Geoffroy une semaine plus tard. Ajoutant le lendemain : « Joseph Sinimalé et Alain Bénard (NDLR: ex-maires de Saint-Paul) élaborent un POS (ex-PLU) volontairement défaillant pour éviter de se soumettre aux préconisations du schéma d’aménagement régional. » 

Ravine Joyeuse Papi de l'Ermitage
La « ravine Joyeuse » est un exutoire artificiel creusé après le cyclone Hyacinthe.

Car, si l’urbanisation de la plaine littorale pose déjà problème, c’est aussi toute l’eau descendant des bassins versants, de Roquefeuil à l’antenne IV, qui alimente les inondations dans les « bas ». Et plus le sol est imperméabilisé, plus l’eau descend vite et en quantité. Face aux nouveaux projets immobiliers (complexe touristique Coeur d’Eden, extension de Roquefeuil…) et aux critiques, le TCO, maitre d’œuvre du Papi, assure que ce dernier « n’est pas prévu pour permettre l’urbanisation ». Et de compter pour ce problème, comme l’indique Jean-Louis Lebon, directeur général adjoint des services techniques, sur « la gestion des eaux pluviales à la parcelle », c’est-à-dire de compter sur le jardin pour absorber l’eau comme le préconise le plan local d’urbanisme. « Après le certificat de conformité, personne n’est jamais allé voir si la cour avait été bétonnée, si une varangue ou un bungalow n’avait été ajouté », rappelle Roland Troadec. 

Les alertes sont nombreuses. En 2015, le conseil scientifique donne un avis favorable au projet assorti de fortes recommandations environnementales. En 2019, comme les recommandations n’étaient pas prises en compte, le conseil scientifique éditait une autosaisine adressée aux décideurs de tous bords. Toujours sans résultat. Enfin, le 24 mars 2022, le préfet Jacques Billant constatait l’inadéquation entre le PGRI et le Papi et recommandait au conseil scientifique une nouvelle autosaisine. Sur ce point-là, Jean-Louis Lebon du TCO fait mine de douter: « Peut-être, c’est ce que dit le conseil scientifique, mais nous n’étions pas là pour l’attester ». A partir de là, on peut commencer à être sûr que la mauvaise foi fait partie du débat.

Philippe Nanpon

Un torrent à Petit Trou-d’Eau

inondation petit trou d'eau Papi de l'Ermitage
Le torrent a creusé un lit de plusieurs mètres de large.

S’il en était besoin, pour illustrer les effets de l’artificialisation des sols, une ravine a repris ses droits sous l’effet d’une forte pluie. 

En effet, dimanche, au plus fort de l’orage qui s’abattait sur la Saline-les-Bains, un torrent d’eau dégringolait des hauteurs récemment urbanisées, entre l’impasse des Goélands et la rue des Scalaires. Sans plus aucune surface naturelle pour s’infiltrer, l’eau de pluie a dévalé sur la route y créant une inondation, avant de s’engouffrer sur le parking de l’Uni-Vert et de la Bonne Marmite, le transformant en étang, puis de poursuivre son chemin en torrent tumultueux jusqu’à la mer. Une saignée d’un mètre de profondeur et de plusieurs mètres de large en atteste encore. 

PhN

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.

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