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[Agriculture] L’importation de bovins reprend

LA SICALAIT ORGANISE TRÈS PROCHAINEMENT L’IMPORTATION DE VACHES LAITIÈRES. EN SECRET.

La Sicalait organise secrètement  très prochainement l’importation de plusieurs dizaines de vaches laitières. Il s’agit de lutter contre la leucose bovine.

Le 9 juin prochain, l’aéroport Roland-Garros va recevoir des voyageurs très particuliers. Des voyageuses devrait-on dire, puisqu’il s’agit de génisses. Des bovins qui, comme les autres ruminants, y sont persona non grata depuis près de 20 ans.

Après 2003, la dernière fois que des bovins ont été importés sur l’île, deux maladies notamment se sont déclarées à La Réunion: la leucose bovine et l’IBR (Rhinotrachéite Infectieuse Bovine), provoquant une crise sans précédent, la ruine de nombreux éleveurs et la défiance des consommateurs tant pour les produits laitiers que pour la viande bovine. Au nombre de quelque 180 en 1980, les éleveurs laitiers ne sont plus que 51 aujourd’hui nous indique l’un d’eux au lendemain de l’assemblée générale de la Sicalait.

S’il est avéré que l’IBR est bien arrivée en 2003, il semble que la leucose préexistait sur l’île depuis les années 90 mais, faute de détections, pas connue et encore moins combattue. « Arrivée le 9 juin », nous a dit un éleveur qui préfère garder l’anonymat tant les relations avec la Sicalait sont difficiles. Ils nous a également expliqué que les génisses partageront la soute d’avions de lignes, huit par huit. Le nombre de bovins importés, toujours selon cet éleveurs, s’élèverait à 70 ou 80, en plusieurs voyages. 

Éradication de la leucose

Nous avons cherché à nous faire confirmer ces éléments et avons interrogé Frédéric Vienne, président de la chambre d’agriculture. Il nous confirme l’arrivée de 80 génisses de race laitière, « des Holstein,  une commande de la Sicalait pour l’un de ses adhérents ». L’idée, dans le plan d’éradication de la leucose, est d’ « assainir le cheptel réunionnais élevage par élevage ». Ce destinataire n’aurait plus d’animaux sur son exploitation et repartirait de zéro grâce à ces vaches d’importation. « La possibilité de proposer en local des animaux assainis n’est pas suffisante », estime le président de la chambre verte.

La Sicalait a prévu d’importer 80 génisses prêtes à vêler.

Les mesures sanitaires se décomposent en plusieurs étapes. Une quarantaine de 30 jours accompagnée de tous les examens nécessaires avant le départ, puis une autre quarantaine de 30 jours à l’arrivée, sur un site dédié situé dans le Sud, avec la même batterie d’examens. « Si un seul animal s’avérait malade, tout le troupeau sera abattu », précise Frédéric Vienne. De son côté, il pensait que les 80 génisses arrivaient par avion cargo, toutes ensemble. « Mais mon information date d’une quinzaine de jours, ça a pu changer depuis », tempère-t-il. 

Chargé de non-communication

Nous avions besoin de précisions. Il fallait les demander à la Sicalait, puisque cette importation se fait à la demande et sous l’organisation de la coopérative. Nous avons tenté de joindre sa présidente, Martha Mussard, qui nous a adressé son chargé de communication Jonathan Kemma. A dire vrai, ce chargé de com’ a tout d’un chargé de non-communication. Il ne sait pas nous dire quand arrivent les animaux, ni combien il y en aura, ni combien coûte le transport, ni quel sera le prix demandé aux éleveurs (*), ni à combien d’éleveurs sont destinés ces bovins, ni quelle option sera choisie entre avion de ligne ou bien cargo, ni même de quelle race il s’agit entre brune des Alpes, Holstein ou Montbéliarde. C’est peu. 

Tout laisse à penser que l’information devait rester secrète et que la Sicalait, ne pouvant plus maitriser sa communication, décide de la remettre à plus tard. « Vous serez informés très précisément par voie de communiqué quand les animaux seront arrivés », nous apprend Jonathan Kemma. Notons que les génisses sont forcément déjà en quarantaine sur le sol métropolitain et qu’il est impensable que la Sicalait en sache aussi peu. Tout juste confirme-t-elle qu’il s’agit de génisses pleines et que les mesures de prophylaxie seront respectées. Les réponses sont surréalistes au point de nous rappeler cette chanson parodique de Jean Poiret, La Vache à 1000 francs. Il faut savoir garder le sourire.

La Vache à 1 000 francs

Pour autant, y a-t-il lieu de s’inquiéter ? Annie-Claude Abriska, de l’Adefar (Association de Défense des Agriculteurs de La Réunion), se dit a minima « dubitative ». « La Holstein est une race très productive et fragile, c’est avec cette race que l’on a déjà eu des problèmes. Ces animaux arrivent stressés par le transport et risquent de développer des maladies faute de rusticité », estime-t-elle. Et de s’inquiéter de la décontamination des élevages. « Malgré nos demandes, nous n’avons pas d’état des lieux de l’éradication des maladies, nous ne savons pas combien de temps les maladies peuvent rester sur les exploitations même sans animaux, quelles sont les mesures de décontamination des élevages, comment on lutte contre la mouche qui semble être le vecteur de la leucose… Même si les précautions sont effectivement appliquées, le risque existe quand même », craint Annie-Claude Abriska. 

Entre l’omerta de la Sicalait, la discrétion des services de l’Etat (Parallèle Sud les a sollicités, nous attendons encore une réponse) et les erreurs du passé, nous aussi sommes inquiets et dubitatifs. D’autant que les administrateurs de la Sicalait d’aujourd’hui sont peu ou prou les mêmes qu’en 2003.

Philippe Nanpon

(*) Une génisse prête à vêler coûte près de 3 000 euros à La Réunion et le transport, d’après nos informations, s’élèverait à quelque 7 000 euros supplémentaires par tête.

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.