[Bisik] Imprévisibilité, échappatoire et fantaisie maloya

LE CONCERT DE MCN TRYO ET PATRICK MANENT RACONTÉ PAR LE BISIK

Le vendredi 26 avril, le Bisik a pris des allures de club de jazz avec Dréo, le nouveau projet inspiré d’Audrey Lenoir, et le MCN Tryo qui accueillait Patrick Manent, chantre du maloya kabaré qui revient sur le devant de la scène pour notre plus grand plaisir. Une soirée sous les étoiles exactement aux accents d’une Réunion des talents et des esthétiques métissées, mélangées, hybridées… décomplexées !

La nuit s’est installée sur Saint-Benoît et si le public se fait timide, l’attente est grande pour une soirée remplie de promesses…

Une nuit de jazz, de groove, une nuit de blues maloya … Mais aussi de Hip-Hop puisque c’est avec son titre « Peace of mind » aux accents du Bronx que Dréo débute son set coloré. La jeune femme se dévoile avec une attendrissante maladresse face à un public qui découvre ses mélodies entêtantes, soutenues par des sonorités parfois groovy et rythmées, parfois plus classiques ou mélancoliques.

De « Save your love for me » de Nancy Wilson repris avec émotion à « Show me the way », Dréo cherche encore sa voie sur scène, face au public qui la découvre, en compagnie d’une nouvelle équipe au talent indiscutable qui doit encore trouver, elle, son équilibre entre partition et improvisations.

Les styles s’entremêlent et proposent un cocktail musical original mais peinent à enflammer le public. 

Soutenue par Guillaume Ramaye au piano, Johan Saartave à la basse, Dimitri Domagala à la batterie, Dréo nous aspire dans une atmosphère en apesanteur, largement portée par la flûte omniprésente de Christophe Zoogonès Il avait été invité sur « Right Now », lors de l’enregistrement du premier album de Dréo à paraître. Les riffs de Christophe s’imposent définitivement, en live, sur l’ensemble des titres et nous transportent dans son univers onirique et par trop introspectif.

« Morning », titre éponyme de cet album dont nous avons eu la primeur poursuit l’aventure…

« No looking back » il est « trop tard (pour dire) adieu », seul titre en français de l’artiste l’achève presque et laisse entrevoir peut-être de nouvelles compositions dans la langue de Molière.

Dréo nous offre enfin un dernier « Sometimes » aux accents Hip-Hop finalement trop rares dans cette proposition qui mérite sans doute une identité plus affirmée.

** Sin Bénwa Bolié Monmon Soley y lév a la mér **

Le temps d’un changement de plateau et c’est Fabio Marouvin et ses comparses du MCBN Tryo, Jérémie Narcisse et Gérard Clara, qui prennent possession de la scène du Bisik avec une proposition inattendue.

D’Albany au Rwa Kaf, l’artiste a cherché dans le répertoire des anciens une carte du ciel, pour mieux relier avec son piano nos rivages aux grandes étoiles du jazz. Une promenade dans les héritages rythmiques et mélodiques des musiques noires qui débute par une composition originale de Fabio, « Children of Jabulani », qui nous entraîne dans l’immensité des côtes du Mozambique en douceur, « Dousman » comme dit Fabio qui affiche des collaborations incroyables, du rap du Ministère A.M.E.R. au Funk de Bibi Tanga, à la variété de Sinclair, ou à la world du balafoniste virtuose Sory Diabate…

« Ti Femme la » texte de Jean Albany, popularisé par Hervé Imare au tout début des années 80 est offert au public par le trio enflammé, totalement réarrangé avec brio et des accents gipsy qui séduisent.

Gérard Clara, ancien de Ziskakan au chant et au cajón et percussions, irradie et incarne les textes avec toujours la même passion et une générosité immuable.

Les titres du Rwa Kaf « Ma Komèr » ou « Sin Benwa Bolié », évidemment, embrasent la salle et Jérémie Narcisse a la mélodie à fleur de cordes sur des solos tumultueux où il renouvelle l’art du Groove.

Pianiste sans frontières et chef d’orchestre exalté, Fabio jubile de chorus en blue note… entre jazz, blues et maloya…

On vous l’avait annoncé, cette soirée serait pimentée ! Patrick Manent entre en scène et le public exulte. Zarboutan du maloya kabaré dont le « Kozmann Kèr » trône aux côtés de Waro dans toutes les bonnes discothèques, Patrick entame son set avec « Transpirasiyon do lo »… Tir savat ou gaign pilé !

Et le public ne se fait pas prier…

Cette collaboration de traverse entre Fabio et Patrick, initiée il y a quelques années dans le projet « Dam Makadam », vient fusionner Maloya Kabaré traditionnel à l’univers jazz, pour une création mélodique et rythmique incroyable.

C’est d’ailleurs ce titre, « Dam Makadam », qui poursuit cette soirée au service du métissage prôné par l’une des plus poignantes voix du Maloya.

Johan Saartave, qu’on a vu récemment aux côtés de Meddy Gerville et du SWR Big Band sur la scène du Téat Plein Air, rejoint le groupe avec bonheur.

La voix aérée et syncopée de Patrick Manent s’entremêle au piano de Fabio, aux percussions de Gérard, à la guitare de Jérémie et à la basse de Johan. Les textes rappellent que l’exubérance du Maloya ne doit pas faire oublier la profonde mélancolie des souffrances enfouies dans la mémoire créole même si « Beldézil » fait l’éloge de la beauté. 

Un quintet ahurissant et redoutablement efficace qui transcende le Maloya traditionnel. Un format original et trop rarement exploré qui nous permet de redécouvrir les fondamentaux du Kabar et une voix fondamentale de la scène traditionnelle avec un trio jazz en miroir des mots qui ont résonné encore longtemps dans la nuit bénédictine…

Texte : Pascal Saint-Pierre

Photos : Iris Mardémoutou

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