N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.
Après le passage en coup de vent de l’ami Freddy, le monstre gentil (envers La Réunion en tout cas), je ne pouvais rater l’occasion d’évoquer une expression qui n’a pas fini de déchaîner les bourrasques dans le ciel des linguistes. Je veux parler de la très controversée locution « être dans l’œil du cyclone », à ne surtout pas confondre avec l’œil du cyclope, même si je n’ignore pas qu’au royaume des aveugles qui est le nôtre, les borgnes sont rois.
Les ouvrages de référence s’accordent à dire — comment pourrait-il en être autrement ? — qu’au sens propre, l’œil du cyclone désigne « la zone de calme au centre du tourbillon » (Robert), « le centre du cyclone, caractérisé par des vents faibles » (Littré), « la zone épargnée par la tempête » (Académie).
Partant de là, l’Académie française déduit qu’ « être dans l’œil du cyclone » fait partie » de ces expressions dont le sens originel s’est peu à peu perdu. […] Peut-être est-ce par confusion avec d’autres expressions construites de manière similaire comme « être au cœur de la tempête » ou « être dans la tourmente » que cette expression s’emploie maintenant, à tort, pour évoquer la situation d’une personne qui se trouve être la cible de toutes les attaques, de tous les dangers », avancent les Immortels. » […] Aussi « gardons-nous d’imiter cette erreur et redonnons son vrai sens à l’œil du cyclone », mettent-ils en garde, oubliant sans doute un peu vite qu’après le calme oculaire revient la tempête.
Pas de quoi en faire une dépression
Portés par le souffle de l’usage, nos dictionnaires favoris semblent considérer que les grincheux locataires du quai Conti se sont en effet fourré le doigt dans la cornée. « Être dans l’œil du cyclone » signifie au contraire « être au cœur des difficultés », affirme ainsi Robert; « être au cœur d’un grave conflit ou en proie à de sérieuses difficultés », renchérit Larousse. L’Académie qui souffle le chaud, nos Dupont et Dupond de la langue française qui soufflent le froid, voilà qui ne nous aide pas à déterminer le sens du vent !
Quant à Freddy, après avoir aplati deux ou trois mises en plis et cassé quelques branches, il s’en est allé aussi vite qu’il était venu. Il n’y avait donc pas lieu d’en faire tout un — calme — plat. Réforme des retraites, du chômage, vie chère, guerre en Ukraine et plus grave, la nouvelle entorse à la cheville de Neymar, avouez qu’il y a en ce moment bien d’autres motifs plus sérieux de sombrer dans la dépression, fût-elle tropicale.
K.Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots