[Chronique] Edith et Aya : Les deux faces d’une même médaille ?

LIVRES A DOMICILE

Les questions les plus simples engendrent souvent les réponses les plus complexes. Face au débat (d’apparence futile) opposant les amateurs d’Aya à ceux d’Edith, j’ai demandé à Robert et à son copain Larousse leur définition de la littérature. Ils m’ont répondu en choeur: «Ensemble des œuvres écrites auxquelles on reconnaît une finalité esthétique». Mais qui est ce «on» qui définit l’esthétique?

Ils ajoutent alors: «Ces œuvres, considérées du point de vue du pays, de l’époque, du milieu où elles s’inscrivent, du genre auquel elles appartiennent». On n’est guère plus avancé.

Leur enfant non reconnu, un certain Wiki, ajoute, voulant paraître plus branché: «La littérature vise à éduquer, à communiquer des pensées, à influencer et même à séduire».

Bon, j’arrête mes citations avant que les correcteurs du site m’accusent de fainéantise. Je voulais juste partir sur des bases précises avant d’établir le parallèle (sud) avec les prises de position plus ou moins hâtives de certains pseudo-experts des médias, souvent plus politisés que cultivés, et les avis de chanteurs que France Inter trouve intellectuels, face à ce mariage jugé contre nature, entre la môme Piaf et celle de Djadja , à l’occasion des J.O. De Paris. (Mais pourquoi écris-je des phrases aussi longues, c’est pas du tout littéraire).

Clowns, trolls, et rageux professionnels.

Rappelons que cette polémique a surtout permis à Fabrice Luchini d’infliger aux médias son numéro habituel, d’une façon aussi méprisante que vulgaire, à savoir réciter du Aya en choisissant le pire, bien sûr.

Sur C News, Pascal Praud regrette qu’on n’ait pas choisi Michel Sardou, ni plus ni moins français qu’Aya Nakamura, mais aux paroles plus compréhensibles pour sa génération (et ses idées).

En politique aussi, on a constaté ce clivage entre gauche et droite, surtout dans les extrêmes.

Pour les vieux réacs et le jeunes de banlieue, ce conflit de génération me rappelle les années 60 : le mépris affiché d’Yves Montand envers Eddy Mitchell, les reprises horribles des chanteurs anglo-saxons par les «yéyés», naturellement haïs par les « croulants ».

Il ne faudrait pas oublier qu’on a été jeune !

La chanson, art mineur? Vraiment?

La question que je me pose est donc la suivante: qui peut juger de la différence entre les textes d’une poésie et ceux d’une simple chansonnette? Les surréalistes ne sont-ils pas parfois des fumistes ? Brel, Brassens, Ferré, Ferrat n’étaient-ils pas de vrais poètes? Gainsbourg affirmait (faux modeste?)  que la chanson est un art mineur, expliquant que l’artiste, pour devenir majeur, doit d’abord être initié par un maître. Cette provocation avait vexé Guy Béart, sur le plateau d’«Apostrophes»: les débats des années 80, chez Bernard Pivot, étaient d’un bon niveau!

Mais alors me direz vous, pourquoi  parler d’un sujet si léger ? Pour mettre l’accent sur le fait que, quand le sage montre les vrais problèmes, l’imbécile regarde son doigt qui scrolle sur le cancer de la pauvre Kate, ou sur l’avis de Benjamin Biolay, le dessert lacté préféré des bobos.

Pour ce dernier exemple, mieux vaut en rire.

Revenons aux vrais chanteurs poètes, qui constituaient peut-être la meilleure solution pour les J.O.

On aurait pu faire appel aux rares grands noms encore vivants, comme Pierre Perret ou Hugues Aufray, (le pauvre Renaud étant hors-concours). Ou même, pour plus de parité, associer Line Renaud avec un chanteur de la nouvelle génération, Gauvin Sers,  Stromae…ou Gaël Faye, excellent écrivain aussi!

Un symbole controversé, mais fort

Qui se souvient des géniaux auteurs d’Edith Piaf ? Georges Moustaki, Michel Vaucaire ou Michel Rivgauche n’étaient-ils pas poètes? Bien sûr, leurs textes étaient fort différents de ceux d’Aya Nakamura (qui d’ailleurs les écrit le plus souvent elle-même). Mais les critiques ne se basent pas toujours sur la qualité littéraire : l’avis du public est souvent biaisé par sa propre culture, et par ses convictions idéologiques personnelles.

Des goûts et des couleurs, on peut en débattre longtemps. La couleur d’Aya Nakamura est hélas, pour certains, un prétexte de rejet qu’eux même n’osent pas s’avouer.

Sa couleur musicale par contre, ils ne se gênent pas pour la qualifier de non-française. Comme si la chanson française n’était pas un mélange des apports du blues et de tant d’autres sons du monde entier. Quant aux paroles, seules les jeunes générations y sont adaptées, mais sont-elles moins poétiques que les premières œuvres de Sheila ou Mireille Mathieu?  Des deux côtés, certains arguments restent assez affligeants.  On y sent le poids de cerveaux rendus lourdingues par l’abus de la bouffe et de l’info en continu.

Pourtant, dans notre société ultra-libérale pragmatique et financière, ce choix Aya-Piaf n’est-il pas logique ? En effet, il réunit les deux chanteuses françaises ayant à leurs époques respectives, connu le plus grand succès international. N’est-ce pas un symbole très fort?

Bien sûr, les rythmes musicaux, les thèmes des textes, ont bien changé depuis les années 50. Mais ces deux artistes possèdent des points communs. Issues de l’immigration, elles chantent l’amour, chacune à sa manière. Moralité : faites l’amour pas la guerre, alors que certains dirigeants nous préparent des lendemains qui…déchantent.

                                                                                  Alain Bled 

A propos de l'auteur

Alain Bled | Reporter citoyen

Homme de culture, homme de presse, homme de radio... et écrivain. Amoureux du récit et du commentaire, Alain Bled anime la rubrique « Livres à domicile ».