N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.
« Pierre Palmade : son pronostic vital engagé après un grave accident de la route. » La phrase a fait la une de tous les journaux après l’hospitalisation de l’acteur et humoriste français à la suite de l’accident de la circulation dont il a été victime (ou/et coupable), vendredi dernier, sur une route départementale de Seine-et-Marne. Jean Yanne avait bien raison de bouder les routes départementales… Coluche n’y a-t-il pas perdu la vie ?
Dites-moi si je m’égare, mais il me semble qu’autrefois, pour dire qu’une personne risquait de mourir ou pire, qu’elle était à l’article de la mort, on disait qu’elle… risquait de mourir ou pire, qu’elle était à l’article de la mort, et tout le monde, à une exception près, s’en portait très bien.
Sauf que depuis vingt ans, une expression s’est diffusée à la vitesse d’un virus malveillant dans nos habitudes de langage, comme sublimée par un effet de mode alimenté par les médias bien davantage que par le corps médical lui-même.
Stupéfiant, non ?
Dès qu’un blessé ou un malade est en danger de mort, le pronostic vital, qu’il soit à court, moyen ou long terme, est engagé ou réservé, ce dernier terme étant d’ailleurs, paraît-il, le plus fréquemment employé dans le jargon des urgentistes.
« Le pronostic vital de l’étudiante poignardée n’est pas engagé » (Ouest-France)
« Le pronostic vital de l’homme de 50 ans, très grièvement blessé, est engagé, a précisé le magistrat. » (Le Figaro)
« Le pronostic vital d’un locataire des Acacias a été engagé, après le sinistre qui éclaté dans son appartement. » (20 Minutes)
Si, jusqu’au début du siècle dernier, il était surtout en vogue dans le domaine sportif, le mot « pronostic » n’est pas un nouveau-né dans le milieu des « blouses blanches ». Emprunté au bas latin prognosticus, lui-même emprunt du grec proginôstikein (connaître à l’avance), il est utilisé par Hippocrate dès le IVe siècle av. J.-C.. Celui qui est considéré comme le père de la médecine en a d’ailleurs fait le titre d’un de ses traités relatif aux observations à faire lors de l’examen clinique.
Ensuite, plus rien. Le terme « pronostic » disparaît du langage courant médical au profit de son quasi-synonyme « diagnostic ». Il est durant longtemps réservé au monde du sport. Le turf et les paris qui en découlent s’en emparent. Il faut attendre 2002 et la loi Kouchner consacrée aux droits des malades et à la qualité du système de santé pour qu’à travers l’expression « pronostic vital », le mot connaisse une seconde vie dans la terminologie des soignants et rencontre l’incroyable — et macabre — engouement dont il est aujourd’hui l’objet.
« Étonnant, non ? » aurait dit en son temps le regretté Pierre Desproges. Et que dirait Pierre Palmade ? « Stupéfiant, non ? »
K.Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots