Du devoir de mémoire au devoir de réparation

LIBRE EXPRESSION

Pour  des  relations  équitables  entre  anciennes  colonies  et  hexagone

L’origine de l’histoire :

Contemporaine de Ratsitatane et de Toussaint Louverture, Clarisse, esclave noire, a été négociée à Léogâne (Haïti) par un chirurgien rochelais nommé Granville. 

À l’époque, était-t-elle une jeune femme mère depuis peu ? Une chose est certaine : elle a été achetée pour servir de nourrice au dernier enfant de ses nouveaux maitres. 

Un peu plus tard, ceux-ci la ramènent à La Rochelle, pour la garder à leur service, comme cela se faisait, de temps à autre, dans les ports négriers.

Sur ces entrefaites, arrivent les belles idées nouvelles chères à la Révolution française, avec, en particulier, le vent de l’abolition de l’esclavage. 

Dès 1793, l’esclave Clarisse sollicite le Conseil général de la commune pour obtenir sa liberté. 

L’année suivante, elle obtient gain de cause : affranchie, elle est déclarée « femme libre ». 

N’en demeure-t-elle pas moins domestique auprès de la famille du chirurgien ?

L’origine de la statue inaugurée à La Rochelle, le 10 mai 2024 :

Cette découverte de la mésaventure de l’esclave Clarisse est récente. Elle constitue l’heureuse surprise de l’historien, Olivier Caudron, fouillant les archives municipales rochelaises, il y a tout juste une dizaine d’années.

Depuis la fin du 20ème siècle, plus précisément depuis les « années Mitterrand », quelques municipalités de villes côtières, autrefois ports négriers de la façade atlantique, s’interrogent sur un certain passé colonial qui a engendré leur richesse(1)

Les plus audacieux, les plus courageux vont jusqu’à formuler un devoir de mémoire envers la traite transatlantique et l’esclavage dans les colonies. Ce n’est pas évident ! Les réticences sont nombreuses. Au point que chez des descendants de familles négrières, le sujet est tabou !(2) « On ne parle pas de ça ! Le passé, c’est le passé ! »

La Rochelle fait figure de port pionnier. En 1982, le maire inaugure « le Musée du nouveau Monde », premier de ce type dédié à la traite des Noirs et à l’esclavage aux Antilles.

En 1991, à Nantes, l’association « les Anneaux de la Mémoire » est officiellement créée, avec pour objectif l’organisation de l’événement éponyme de 1992 : « Première exposition internationale sur l’histoire de la traite transatlantique et de l’esclavage dans les colonies ».

L’ancien Premier ministre et ex-maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, en est le président.

Depuis cette date, l’association développe des projets culturels autour des thématiques de cette belle manifestation. Régulièrement, tous les ans!

Le 25 mars 2012, à Nantes toujours, « le Mémorial de l’Abolition de l’Esclavage » ouvre deux parcours au public : l’un « commémoratif » sur le quai de Loire, en aérien, le second « méditatif » en souterrain, sous ce même quai.

Chaque année, le mois de mai, riche en dates commémoratives, voit apparaitre tout un programme de manifestations, à Nantes comme à La Rochelle. Et, également, dans une moindre mesure, dans de nombreuses localités hexagonales et ultramarines ! 

Ces deux villes sont membres fondateurs de la « Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage »(3).

C’est dans cette dynamique que s’inscrit, à La Rochelle, le dévoilement de la monumentale statue baptisée « Clarisse ». Avec le cérémonial que l’on devine. Jugez par vous-mêmes : 

  1. Cette nourrice esclave est l’œuvre de l’artiste haïtien Woodly Caymitte, alias Filipo, qui, présent sur place, s’est définit comme « le sculpteur de la mémoire oubliée », soit le rôle des femmes dans le système colonial de l’époque(4) ;
  2. Cette inauguration a lieu le 10 mai 2024, précisément lors de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions ;
  3. Pour la première fois, elle ne se déroule pas à Paris, mais en province, à La Rochelle ;
  4. Des personnalités politiques prennent la parole, de façon on ne peut plus officielle. Avec l’allocution du Premier ministre – Gabriel Attal qui dépose une gerbe – accompagné de la ministre de l’Éducation nationale. Avec le discours de Jean-Marc Ayrault qui évoque Haïti, en présence de l’ambassadeur haïtien en France. Sans oublier le Préfet, le maire de La Rochelle et son Conseil municipal à l’origine de cette belle manifestation historique. Et, bien sûr, avec la Marseillaise en guise de clôture !

Dans le cadre des réparations, cette inauguration très officielle est la bienvenue.

  1. À La Rochelle, la statue « Clarisse » est installée allée Aimé Césaire (1913-2008), dans le parc d’Orbigny qui est un site mémoriel. Face à l’océan Atlantique … 

Impressionnant, ce monument, commandé par la mairie de la ville, mesure 2 m de hauteur et pèse 300 kg de bronze. 

Coulé en France, son prix de revient est de 70 000 euros.

Est-ce trop cher pour une réparation de ce type ?

Michel Boussard du Tampon

Notes de bas de page

  1. Le 18ème siècle marque l’apogée du commerce triangulaire pour la France.

Nantes est le port le plus important d’Europe. Il est également le 1er port négrier.

La Rochelle est le second et Bordeaux le troisième. Viennent, enfin, Le Havre et …

2. À Bordeaux, les thématiques de la traite et de l’esclavage ne rassemblent pas les foules. Pendant des décennies (voire un siècle et demi ?), la préfecture du département de la Gironde a passé sous silence son histoire de port négrier. Cependant, sous l’impulsion de militant-es, le devoir de mémoire progresse face au déni. 

Peu à peu, il trouve son chemin.       À suivre !

3. La Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage (FME) rassemble 21 collectivités métropolitaines et ultramarines du Conseil des territoires. Son site mérite le détour :  www.memoire-esclavage.org 

4. A travers la réalisation de cette superbe sculpture, le but de l’artiste Filipo a été de mettre en lumière l’histoire des femmes noires qui, à l’époque, non seulement, allaitaient les petits Blancs, mais les élevaient. 

Comme le font, encore aujourd’hui, toutes les nourrices à la disposition de gens très riches ?

La petite histoire (ou la légende ?) raconte que l’allaitement était distribué comme suit : 

le sein gauche pour le petit Blanc, le droit pour le petit Noir. 

Était-ce la réalité ? N’importe !

Les deux nourrissons se retrouvaient frères ou sœurs de lait, puisqu’ils avaient eu la même nourrice !

L’oubliait-il, devenus adolescents puis adultes ?

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