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[Économie] Dérive du financement par l’État de l’apprentissage

PRÉCARITÉ DES ÉTUDIANTS

L’État accorde plus de 5 milliards d’euros supplémentaires aux patrons pour baisser considérablement leur contribution aux salaires des apprentis, notamment du supérieur alors que cet argent pourrait servir à augmenter les bourses des étudiants.

mardi 16 août 2022, par Manuel Marchal

« Le développement de l’alternance correspond classiquement à un double besoin des entreprises : profiter d’une main-d’œuvre bon marché et investir dans la formation avec l’objectif d’une embauche ultérieure au sein de l’entreprise (ou de la filière) », écrit la Cour des comptes dans un rapport publié en juin dernier. Le premier point est considérablement favorisé par le gouvernement : il réduit à une fourchette comprise entre 200 et 11000 euros par an la contribution de l’employeur au salaire de l’apprenti quand ce dernier vise un diplôme Bac+2 ou plus. Coût pour l’État : 5,7 milliards au lieu de 0,4 milliard en 2018 avant la « réforme ». Puisque le montant trop faible des bourses pousse toujours plus d’étudiants à se diriger vers l’apprentissage pour payer leurs études, pourquoi ne pas affecter cette somme à l’augmentation des bourses des étudiants plutôt que de subventionner des patrons ?

Dans un rapport publié en juin 2022, la Cour des Comptes se penche sur la formation en alternance, et notamment l’apprentissage en plein boom, ce qui n’est pas sans répercussion sur les finances publiques. La crise COVID a été le prétexte saisi par le gouvernement pour augmenter considérablement les aides de l’État aux employeurs des travailleurs apprentis :

« Dans le contexte de la crise sanitaire et des nombreux confinements qui ont affecté l’activité des CFA, le Gouvernement a rapidement élaboré un plan de grande ampleur visant à éviter un afflux massif de jeunes demandeurs d’emploi à partir de septembre 2020, le plan #1jeune1solution. Le soutien aux formations en alternance y occupe une place importante, avec deux mesures annoncées dès juillet 2020 :
– un dispositif dit d’ « apprentis sans contrat », prolongeant le délai pour signer un contrat d’apprentissage avec une entreprise après le début de la formation ;
– des aides exceptionnelles à l’embauche, prévues dans les plans d’urgence et de relance. »

Des techniciens low-cost pour le patronat

Ces aides exceptionnelles se traduisent par la diminution de la contribution des employeurs au salaire versé à l’apprenti de la manière suivante :

Mineur avant l’aide exceptionnelle de l’État : 5149 euros, après 49 euros ;
18-20 ans bac + 2 et plus avant l’aide exceptionnelle de l’État : 8200 euros, après 200 euros
21-25 ans bac +2 et plus avant l’aide exceptionnelle de l’État : 10107 euros, après 2107 euros
26-29 ans bac + 2 et plus avant l’aide exceptionnelle de l’État : avant 19063 euros, après 11069 euros.
Or, ces apprentis sont des travailleurs qui contribuent à créer des richesses au bénéfices de l’entreprise. Pas étonnant qu’avec une telle subvention, un effet d’aubaine soit observé. Car à ce tarif, un jeune ayant le niveau de technicien ne coûte à l’employeur qu’entre 200 euros et 11069 euros par an en fonction de l’âge.
(Source : Informations ouvrières)

La faiblesse des bourses des étudiants pousse à l’apprentissage

La Cour des Comptes souligne ceci :

« La hausse du coût de l’apprentissage est très forte en 2021, sous l’effet conjugué des aides exceptionnelles, de la mise en œuvre de la réforme et de la poursuite de la hausse des entrées en apprentissage. Selon les premières estimations, le coût total s’élèverait à 11,3 milliards d’euros : 5,7 milliards d’euros au titre des aides aux apprentis et aux employeurs, 0,3 milliards d’euros au titre des enveloppes régionales, 5,3 milliards d’euros au titre du financement des CFA par les Opco ».

Or, en 2018, l’aide de l’État se limitait à 0,465 milliards d’euros, contre 5,7 milliards en 2021, pour un coût total de l’apprentissage de 5,5 milliards d’euros.

La Cour des Comptes constate également que le choix de l’apprentissage pour un étudiant dépend avant tout de sa classe sociale :

« L’apprentissage apparaît aujourd’hui comme un moyen d’accès à l’enseignement supérieur pour des jeunes qui n’auraient parfois pas eu la possibilité de financer leurs études sans la rémunération versée en contrepartie, en l’absence de bourse ou d’emploi aux horaires adaptés (l’exercice d’une activité salariée ayant tendance à amoindrir les chances de réussite au diplôme). Selon France Universités, 30 % des apprentis de l’enseignement supérieur n’auraient pas poursuivi leurs études sans cette possibilité. Cette caractéristique peut même s’avérer déterminante dans les choix successifs de filières opérés par certains étudiants »

Au lieu d’une aide de 8000 euros par an à l’employeur, la Cour des Comptes propose un plafonnement à 6000 euros par contrat, comme pour les contrats de professionnalisation.

L’argent existe pour augmenter les bourses des étudiants

L’État a donc décidé de transférer 5,7 milliards d’euros aux employeurs pour leur permettre d’avoir à leur disposition de jeunes travailleurs ayant déjà un niveau de technicien, pour la somme payée par le patron au titre du salaire soit comprise entre 16 et 1000 euros par mois en fonction de l’âge de l’apprenti.
La faiblesse des bourses explique pourquoi de plus en plus d’étudiants choisissent l’apprentissage. C’est donc tout bénéfice pour les patrons qui peuvent avoir à leur disposition des travailleurs ayant déjà un niveau de technicien à un tarif défiant toute concurrence.
Manifestement, la croissance importante des effectifs des étudiants en apprentissage s’explique donc en grande partie par « profiter d’une main-d’œuvre bon marché ».
Ceci démontre également que de l’argent est disponible en quantité pour augmenter les bourses des étudiants afin que le coût des études ne soit plus un obstacle à la poursuite d’études à l’Université.
Plutôt que de verser plus de 5 milliards d’euros aux patrons pour embaucher des apprentis déjà qualifiés, l’État devrait affecter cette somme à l’augmentation des bourses des étudiants afin de faire de l’Université un moyen de lutter contre les inégalités liées à la naissance. Ainsi le système éducatif pourrait pleinement remplir son rôle d’ascenseur social.

Manuel Marchal (article publié dans Témoignages le 16 août 2022)

Quotidien en ligne diffusé en presse-papier jusqu’en 2013 fondée en 1944 par le docteur Raymond Vergès

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