Forêt des Makes envahie par les plantes invasives.

[Edito] 41 espèces indigènes disparues à La Réunion

BIODIVERSITE

Dans la forêt des Makes comme d’autres de l’île, les plantes invasives pullulent et étouffent les indigènes. La biodiversité se dégrade. De 2010 à 2023, on est passé de 30% d’espèces indigènes menacées à 41 %. Les pouvoirs publics tardent à prendre le sujet au sérieux et les actions menées sont largement insuffisantes pour endiguer le phénomène et protéger nos écosystèmes.

En lisière de forêt de longoses, se détachent quelques tamarins, fleurs jaunes, bois de corail parsemés. Au dessus de moi, les silhouettes effilées, s’allongent. Le sous-bois s’assombrit. Les aiguilles sèches des cryptomérias plantés par l’homme étouffent mes pas. Je cherche des yeux les endémiques, ne les discerne pas.

Les Makes.

  • Forêt des Makes envahie par les plantes invasives.
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Qui aurait cru que j’y trouverais ces forêts rongées, mortes, silencieuses. Le sifflement d’un oiseau me traverse, se réverbère en écho sur le bord d’une ravine. Nostalgie amère. Elles n’apparaissaient pas dans mon souvenir, ces forêts de longoses, vignes marones, bringeliers marons. Mes pas tournaient avant, sur un autre sentier, sans doute.

La fenêtre des Makes, elle, est aménagée. Les voitures peuvent s’y garer, les touristes admirer le point de vue sur Cilaos. Le rempart me renvoie les klaxons et les accélérations des voitures en contrebas. Du cirque enclavé. Autrefois. Isolé, sauvage. Autrefois.

L’aire de picnic un peu plus bas où j’ai garé ma voiture, elle aussi, est très joliment aménagée.

Il faut bien que l’homme puisse profiter. Surtout si l’argent du contribuable a été versé. Déversé. Dans la forêt.

« L’Europe s’engage », « le Département préserve »

Sur le bord de la route, un panneau indique : « L’Europe s’engage à La Réunion dans les zones rurales : – travaux sur les forêts publiques de La Réunion – Valorisation économique et écologique – Accueil du public – Défense des forêts contre l’incendie ». Juste en dessous, on lit l’inscription « Le Département préserve et valorise les forêts de La Réunion ».

  • Forêt des Makes envahie par les plantes invasives.
  • Forêt des Makes envahie par les plantes invasives.

Je crois à une mauvaise blague, mais non, c’est bien un panneau officiel. Qu’on ne voit plus, lui aussi, rattrapé par la réalité de terrain des plantes invasives où les agents l’ont implanté. Je suis obligée de pousser les branchages pour pouvoir le lire. Ironie.

« C’est pas le seul endroit où on voit ce genre de panneaux, il y en a plein ailleurs comme dans la forêt du Tévelave », m’explique Aurélie de l’association O’sphère. J’apprends que les Makes sont un « hot spot » des plantes invasives.

« Les moyens mis en place sont dérisoires », constate Fabien Mondon que nous avions rencontré à La Forêt du Rempart à Saint-Joseph en novembre 2023. « C’est compliqué d’intervenir partout, des initiatives sont quand même mises en place, mais il y a beaucoup d’endroits où on n’intervient pas du tout et les espèces exotiques pululent. Plus le temps passe, plus les choses empirent. »

Les subventions sont fléchées vers les études et la recherche et pendant que les plantes s’étendent à l’extérieur, à l’intérieur, les bureaux de recherche recherchent.

De 30% d’espèces menacées à 41 % en 13 ans

In fine, études et constats de terrain se rejoignent sur la gravité de la situation qui est la nôtre. De 2010 à 2023, on est passé de 30% d’espèces menacées à 41 % ! Ce chiffre est rendu public dans la liste rouge des espèces menacées en France. Dans un communiqué commun envoyé fin novembre aux rédactions, le Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’Office français de la biodiversité, le Muséum national d’Histoire naturelle ainsi que le Conservatoire botanique national de Mascarin font état d’une « situation très préoccupante, marquée par une forte aggravation ». Détail cruel, le Parc national, créé en 2007, porte ainsi dans son bilan cette impressionnante dégradation de l’état de la forêt réunionnaise. Et dire que la protection du patrimoine mondial naturel est une priorité… Qu’en serait-il si ce n’en était pas une ?

On y apprend que le dernier (et premier !) bilan sur l’état de la flore vasculaire de l’île de La Réunion date de treize ans en arrière. Je vous invite fortement à lire dans l’onglet « documents » ce communiqué très instructif. Il indique qu' »au terme des analyses, les résultats montrent que 395 espèces sont menacées et 31 autres quasi menacées », sur un total de 962 espèces indigènes étudiées. On découvre également avec effarement que 41 espèces indigènes ont « déjà disparu ».

Les scientifiques placent les espèces exotiques envahissantes en « ennemi n°1 ». Ils apportent cet exemple : « La Liane papillon (Hiptage benghalensis), d’origine indo-malaisienne, étouffe les vestiges de la forêt sèche et les derniers pieds du très rare Bois puant (Foetidia mauritiana), classé « En danger critique ». »

Les autres menaces qui pèsent sur la flore locale sont : « la destruction des habitats naturels, les prélèvements d’espèces et la perte de fonctionnalité des écosystèmes ». Cette dernière cause « risque de poser de grands problèmes de conservation dans le futur ».

Scientifiques inquiets ?

« Face aux menaces croissantes, les nouveaux résultats de la Liste rouge appellent à renforcer significativement les actions de préservation, pour enrayer les pressions et sauvegarder l’exceptionnelle diversité de la flore de La Réunion. Ils incitent également à une prise de conscience collective et à un changement indispensable de nos pratiques au quotidien pour stopper et inverser la perte de notre patrimoine naturel,  » conclut le communiqué.

Les scientifiques commenceraient-ils à s’inquiéter sérieusement ?

Hasard ou non, un abonné sur Facebook me parle d’une nouvelle orchidée endémique enregistrée il y a quelques jours. Cynorkis adeleana Pailler. Six individus seulement ont été identifiés dans la nature, elle est déjà en danger critique d’extinction. Un petit trésor découvert dans nos forêts. Son découvreur à caché son existence pendant plus de 10 ans.

Soyons honnête, qui cela intéresse-t-il encore aujourd’hui à part les scientifiques ? Nous avons perdu conscience de la richesse des forêts. Tout I apèl pié bwa aster ! Remarquez, le peu d’intérêt que l’on porte à nos forêts n’est que le reflet de notre déconnection de notre environnement naturel. L’homme nait dans le béton !, entre le supermarché et la pharmacie. Et la perte du vocabulaire pour décrire notre environnement au quotidien en est le reflet.

L’homme dépend de la biodiversité

L’homme semble avoir oublié qu’il est intimement lié à la biodiversité de son environnement. La biodiversité, ce sont ces espèces vivantes qui interragissent entre elles, tissant des écosystèmes complexes. Elle est indispensable à la pureté de l’air que nous respirons, à celle de l’eau, au maintien de la chaîne alimentaire, à la qualité du sol, à la production alimentaire permise grâce à la pollinisation notamment. Sans oublier notre capacité à nous soigner. Car les procédés actifs des médicaments proviennent bel et bien des plantes. La nature possède à elle seule les remèdes à tous les maux. Nous ferions bien de l’observer attentivement et de nous en inspirer. Plutôt que de la séparer de nous.

Un peu plus bas, sur le bord de la route, j’aperçois les lianes grignoter la canopée des arbres. Former une masse verte uniforme. Comme un seul être. Après des années de recherches et de constats de terrain, il est grand temps de passer à l’action. Sans l’implication concrète et conséquente des politiques publiques à quoi va ressembler La Réunion dans 5 ou 10 ans ?

L’enjeu demande une véritable implication consciente des pouvoirs publics, des acteurs qualifiés et sensibilisés à la manoeuvre des actions mises en place. On ne pourra pas compter indéfiniment sur les citoyens et les associations pour compenser le manque d’actions publiques.

La restauration écologique ne rapporte pas d’argent et demande beaucoup de bras et des connaissances spécifiques à chaque milieu et chaque plante. « On sait qu’il ne faut pas faire n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment », fait remarquer Fabien Mondon. Il est temps que les responsables politiques aient le courage de leurs responsabilités. Ils sont en mesure d’esquisser la voie qu’empruntent nos sociétés et d’imaginer le futur dans lequel nous voulons vivre.

Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.