LIQUIDATION – VENTE DU QUOTIDIEN
L’annonce est surprenante, y compris pour les propres salariés de l’entreprise. Elle émane, lundi 2 octobre, du site Zinfos974 : la présidente du Quotidien, Carole Chane-Ki-Chune a déclaré sa société en cessation de paiement devant le tribunal de commerce et demandé sa liquidation judiciaire le vendredi 29 septembre.
Information vite confirmée dans l’après-midi du 2 octobre et entérinée le mercredi suivant par le tribunal de commerce qui prononce la liquidation du titre avec une poursuite de l’activité de trois mois pour permettre un rachat par de nouveaux actionnaires. Ceux-ci doivent se faire connaître d’ici le 15 novembre. (Tout est expliqué dans les éditions du journal des 3 et 5 octobre : à acheter en boutique ou en ligne)
Passée la surprise de la méthode, la vente du Quotidien par l’actionnaire historique était inéluctable. « Diriger c’est choisir et choisir c’est renoncer. C’est exactement ce que j’ai fait. En tant que dirigeante responsable, je renonce à m’acharner et à attendre trop longtemps afin de donner toutes ses chances à la survie de l’entreprise et de ses emplois », signe la fille du fondateur Maximin Chane-Ki-Chune.
Il faut donc bien comprendre que le Quotidien devrait survivre à cette nouvelle faillite. Ces dettes évaluées à 4,3 millions d’euros (pour l’ensemble du pôle presse) seront effacées lors de sa vente. Ce qui rappelle le tour de passe-passe du JIR qui s’était racheté lui même en se renommant la Société Nouvelle du Jir (clin d’oeil moqueur au syndicat de journalistes) par un jugement du 20 février 2021. Jacques Tillier, l’architecte de cette récupération, avait ainsi effacé 11 millions d’euros de dettes.
Tant pis pour les créanciers… et tant mieux pour les journalistes et autres salariés dont les emplois sont sauvés durant l’opération. Tant mieux aussi pour la pluralité de la presse !
Nous voilà donc revenus deux ans en arrière. Les deux derniers titres réunionnais de la presse quotidienne avaient sauvé les meubles : le Jir par une pirouette financière, le Quotidien par un redressement judiciaire et un plan social douloureux marqué par les licenciements d’une vingtaine de journalistes. Aujourd’hui, ils sont tous deux mourants, à perdre chaque mois de l’argent et à voir leur diffusion fondre. On parle de 11 000 exemplaires par jour pour le Quotidien et la moitié pour le JIR qui est désormais à nouveau imprimé sur la rotative de la Safi, filiale du Quotidien.
Ne pas confondre journalistes et médias
Les deux titres s’épient, se marquent et partagent leur malaise. Si bien que le Quotidien peut dire, en citant « une source judiciaire », que son concurrent « n’est pas au mieux non plus » et devrait être liquidé lui aussi « d’ici la fin du mois ».
Ce n’est pas 1, mais 2 quotidiens qui sont à vendre. Et il n’y a pas — il n’y a plus — la place pour deux journaux sur La Réunion. En tout cas pas dans leur forme actuelle avec des rédactions d’une cinquantaine de journalistes. La faute à l’évolution des habitudes de consommation d’info et des modèles économiques, comme l’explique brillamment Nicolas Bonin (« ex » du Quotidien, comme nous) dans son récent post Facebook qu’il a bien voulu partager dans notre espace de libre expression.
On dira que nous avons tous une part de responsabilité dans le déclin d’une information de qualité : les journalistes qui n’auraient pas su s’adapter et le public qui s’est détourné du fait de ce fameux « changement des modes de consommation d’info ». Mine de rien la formule culpabilise ces « non-lecteurs » qui seraient inconscients des grands enjeux du monde, pa la eksa…
Il est temps ici de ne plus confondre, journalistes et médias. Les premiers dépendent des seconds pour faire chauffer leur marmite mais subissent les décisions de leurs patrons.
Au Quotidien, le représentant des journalistes, Edouard Marchal a raison de rappeler que « le licenciement de 24 salariés était surdimensionné pour tenir les objectifs en termes d’activité et rembourser le plan de continuation ». C’est juste évident : réduire les capacités de la rédaction et, donc, la qualité de l’information, ne peut pas convaincre de nouveaux lecteurs.
Et il a encore raison quand il souligne l’importance de l’indépendance éditoriale à l’attention des candidats à la reprise qui seraient déjà en ordre de bataille. On parle d’un consortium d’entrepreneurs locaux. Espérons qu’ils prennent le temps de lire attentivement la charte éthique des journalistes et l’accroche aux murs de leurs futurs bureaux.
Les difficultés de la presse ne font que renforcer les pressions, qu’elles soient politiques et économiques. Or ces pressions décrédibilisent les médias. C’est un cercle vicieux. Alors oui, pour paraphraser le dernier titre du Quotidien : les journalistes ont besoin de vous. Mais vous rendez-vous encore compte que vous avez besoin d’eux ?
Franck Cellier