LIBRE EXPRESSION
Aux Seychelles, lors du Koktèl Fonnkèr 2025, la voix de Fabienne Damour s’est imposée comme une évidence. Elle n’a pas crié pour convaincre, elle a dit pour exister.
Dans la grande salle de l’International Conference Centre de Victoria, au cœur du Festival Kréol célébrant les 40 ans de l’Alliance Française des Seychelles, le public a découvert une parole ferme, habitée, qui portait La Réunion avec dignité.
Le thème choisi cette année, “Gardyen nou leritaz”, semblait écrit pour elle. Et lorsque son nom a été prononcé pour le Prix Michel Ducasse, c’est tout un archipel qui a reconnu dans ses mots la continuité d’une même mémoire.
Avant de franchir l’océan, Fabienne Damour s’était révélée lors du Koktèl Fonnkèr Espoir 2025 au TÉAT Champ Fleuri. Elle y avait déjà fait entendre une voix à la fois douce et puissante, tissée de fidélité et d’insoumission. Sa poésie, écrite en kréol réunionnais, ne cherche pas l’effet : elle s’enracine dans la vie, dans le travail, dans la parole du quotidien. Elle dit ce que tant de familles ont porté en silence — la terre, la mère, la mémoire. Son texte, sans pathos ni ornement, a ému par sa justesse. Il y avait dans son dire une clarté rare : celle d’une parole qui ne se travestit pas pour être entendue.
C’est d’ailleurs là que réside toute la portée du Prix Michel Ducasse. Poète mauricien né en 1959, Ducasse est l’un de ceux qui ont ouvert le chemin du kréol dans la poésie contemporaine. Son œuvre a aboli les frontières entre les îles, en faisant de la langue un espace de fraternité. Il dit que nous ne sommes pas un pays, nous sommes une mer entière. Attribuer à une Réunionnaise un prix portant son nom, c’est prolonger ce geste d’union. Ce n’est pas un hommage figé, c’est une passerelle : une manière de dire que la mer qui sépare nos îles n’a jamais interrompu le dialogue de nos voix.
En montant sur scène, Fabienne Damour n’a pas interprété un rôle. Elle a fait ce que tant d’autres avant elle ont tenté : redonner au kréol sa pleine dignité. Cette langue, longtemps marginalisée, devient entre ses mains un instrument de vérité. Sa performance a rappelé que la poésie réunionnaise ne vient pas des institutions, mais du peuple — de celles et ceux qui, dans la discrétion du quotidien, gardent vivante la flamme de la parole.

Dans un monde où l’on voudrait que la culture réunionnaise soit seulement décorative, cette victoire est un acte de souveraineté. Elle affirme que le kréol n’est pas une couleur locale, mais une langue de pensée. Et lorsqu’une femme s’en empare avec une telle maîtrise, c’est toute une mémoire collective qui se relève.
Le Koktèl Fonnkèr 2025 n’a pas seulement couronné une poétesse. Il a rassemblé les îles autour d’un même souffle. De Maurice à Rodrigues, de Madagascar aux Seychelles, les voix portaient un message commun : nos langues valent la peine d’être dites. Dans ce chœur, celle de Fabienne Damour s’est détachée sans dominer, comme un écho familier. Elle a rappelé que nos différences ne sont pas des frontières, mais les nuances d’une même humanité.
Le Prix Michel Ducasse symbolise cette fraternité. Il ne célèbre pas une compétition, mais une transmission. Et dans cette transmission, La Réunion a trouvé sa place naturelle : non plus périphérie, mais cœur battant d’une culture vivante.

La victoire de Fabienne Damour dépasse les honneurs d’un concours. Elle dit la vitalité d’une génération qui écrit sans permission, qui pense sans filtre, qui parle sans se justifier. Sa voix s’inscrit dans un mouvement plus vaste : celui d’un peuple qui n’attend plus d’être autorisé à se dire. À travers elle, La Réunion ne revendique pas : elle affirme.
Cette reconnaissance, encore discrète dans les médias, a pourtant valeur de promesse.
Elle prouve que la poésie réunionnaise n’a pas besoin de traduction pour être comprise, ni d’aval pour exister. Elle prouve qu’au cœur de l’océan Indien, la parole créole reste une parole de dignité, de beauté et de liberté.
Fabienne Damour a levé la parole. Et avec elle, La Réunion a retrouvé son souffle.
Patrice Sadeyen
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