Géologie de la Réunion, volcanologie

[Géologie] Connaissez-vous le troisième volcan de La Réunion, celui des Alizés ?

VOLCANS

L’hypothèse du Volcan des Alizés a émergé il y a une quinzaine d’années. Si on dispose encore de peu d’informations à son sujet, son existence semble aujourd’hui acceptée dans la communauté scientifique. Pourtant, peu de personnes connaissent son existence. Le Volcan des Alizés pourrait être antérieur au Piton des Neiges. Il se trouvait plus à l’Est que la Fournaise, au niveau de l’actuelle route des laves.

Comment expliquer que si peu de Réunionnais connaissent cette histoire ? « Parce que personne ne se dit : ‘Cette île est extraordinaire, elle a un volcan caché’  » lâche le passionné d’une voix lasse. Alain Bertil a arpenté les sentiers du Volcan dans tous les sens, il en connait tous les récits.

Volcan des Alizés

Il y a une quinzaine d’années, on commence, dans le milieu scientifique, à parler du « Volcan des Alizés ». Il s’agirait d’un volcan antérieur au Piton des Neiges et au Piton de la Fournaise. Aujourd’hui, il n’en reste rien, ou presque. Une chambre magmatique découverte à – 800 mètres sous le Grand brûlé. Quelques roches au fond de l’océan en face de Sainte-Rose. Quelques certitudes aussi : son existence est bien réelle, son épicentre se trouvait à l’Est du piton de la Fournaise, au niveau de la route des laves. La taille et la localisation de la chambre magmatique, dont le haut a été décapité, laisse penser qu’il faisait au moins la taille du volcan actuel, peut-être culminait-il à une altitude plus élevée.

La roche la plus ancienne a 3,8 millions d’années

Son âge ? Les certitudes s’étiolent. La roche la plus ancienne issue de formations géologiques sous-marines du Volcan des Alizés a été draguée depuis le fond de l’océan et datée à 3,8 millions d’années. Il s’agit pour l’heure de la plus ancienne roche volcanique datée à la Réunion, la plus ancienne provenant du Piton des Neiges est datée à 2,8 millions d’années.

  • datation roches volcans des alizés
  • Volcan des Alizés

En soi, ces dates signifient uniquement que les volcans, à cette époque, étaient en activité. Mais depuis combien de temps ?

Un faisceau d’éléments ont permis d’emmener scientifiques et passionnés du volcan vers cette hypothèse du Volcan des Alizés. En 1985, un forage a lieu au-dessus de la route des laves. L’objectif : trouver de l’eau chaude pour pouvoir faire de la géothermie. Au lieu d’eau chaude, c’est une énorme chambre magmatique refroidie qui est identifiée, jusqu’alors inconnue. Les échantillons de roches sont envoyés au centre du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), à Orléans.

« Ils ont jeté les échantillons parce qu’ils prenaient de la place »

Le temps passe et des indices ravivent les interrogations : des roches étranges exhumées lors de l’éruption du siècle en 2007; d’autres – appelées « roches pintades » – découvertes dans le lit de la rivière des Remparts. Bien que très anciennes, les recherches plus poussées sur ces dernières ont démontré qu’elles ne provenaient pas du Volcan des Alizés mais plutôt d’une Proto-Fournaise, une période correspondant à la première jeunesse du Piton de la Fournaise actuel, située entre 600 000 et 430 000 ans.

  • Forage du Grand Brûlé en 1985
  • Forage du Grand Brûlé en 1985

« Et puis, les gens d’Orléans ont demandé ce qu’on faisait de ce forage de 1985, on n’a pas répondu, donc ils ont jeté les cuttings parce que ça prenait de la place », raconte Philippe Mairine. Par chance, quelques gabbros sont restés et ont pu être analysés à Clermont Ferrand, il y a une quinzaine d’années. Ils ont été datés à 9 millions d’années.

Pour Philippe Mairine, cela signifie que le Volcan des Alizés est donc largement plus ancien que le massif du Piton des Neiges, âgé d’environ 4 millions d’années.

Datation largement discutée

Mais la datation n’est pas officielle. Pour l’être, elle aurait dû être publiée dans une revue scientifique, ce qui n’est pas son cas. En effet, « elle est largement discutée en interne, à Clermont Ferrand et à Saint-Denis », fait remarquer Laurent Michon, professeur spécialisé sur les volcans à l’Université de La Réunion.

« Mais tout ça, c’est de la connaissance pure, ça n’intéresse que les scientifiques ou les passionnés de volcans, pas le grand public », regrette Alain Bertil. « Personne ne pourra jamais se balader sur le massif volcanique des Alizés. »

Laves, volcan

Ce qui est concret en revanche c’est le constat que la chambre magmatique du Volcan des Alizés maintient le Piton de la Fournaise actuel et l’empêche de glisser plus que ce qu’il ne fait actuellement. « Le flan de la Fournaise glisse d’un cm chaque année et en 2007 il a glissé d’1,4m en une seule fois », se souvient Alain Bertil. « S’il arrive a se libérer de la contrainte qui le bloque, on pourrait avoir un effondrement comme celui qui a précipité le volcan des Alizés dans la mer ou comme celui du Krakatoa en Indonésie en 1883. » L’explosion de la chambre magmatique pourrait causer un glissement de terrain qui entraînerait un énorme tsunami et ravagerait Maurice.

Extinction des dinosaures

C’est presque le début d’une enquête qui se dessine, sur les traces des particularités du point chaud de La Réunion. Est-il à l’origine, il y a 65 millions d’années, des trapps du Deccan en Inde, évènement qui aurait causé l’extinction des dinosaures conjointement avec l’astéroïde tombé au Mexique ? Puise-t-il son magma d’une poche ancienne restée isolée, témoin toujours vivant de la Terre primitive, comme le racontent des scientifiques américains ? Alain Bertil en aime l’idée.

Saint-Joseph, volcan

Mais sans doute est-elle déjà passée. « Aujourd’hui, on réalise que La Réunion appartient au superpanache africain », indique Philippe Mairine, géologue, ancien prof de SVT, bien informé et passionné. Le panache qui alimenterait La Réunion ainsi que Maurice et Rodrigues, est un genre de super point chaud, un des deux seuls au monde, situé sous l’Afrique du Sud. A moins que cela ne soit que légendes, des « hypothèses » de plus – comme on dit dans le jargon – destinées à être un jour démenties.

« La géologie demande de l’imagination »

« La géologie demande d’avoir de l’imagination », reconnaît Nicole Crestey, professeure de SVT à la retraite. « Il faut imaginer quelque chose à quoi on n’a pas pensé. Il s’agit d’apporter des explications à ce qu’on voit et ce qu’on est surpris de trouver. A chaque nouvelle datation, ça peut faire changer les théories. » « Le volcan des Alizés n’est pas que hypothétique, mais il reste beaucoup de travail à faire », souligne Philippe Mairine. Faute de financements, les recherches n’avancent plus. Il énumère : « Des forages, des prélèvements sous-marins… Afin de compléter son existence, pour essayer de comprendre. »

Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.