Handicap Solidaire psychique mental Denise Ledormeur

Handicap solidaire réclame le même accompagnement en psycho-éducation que dans l’Hexagone

2/4 HANDICAP INVISIBLE

80 % des handicaps sont invisibles, nous dit Denise Ledormeur, présidente de l’association Handicap Solidaire créée en 2021. Cette invisibilité est souvent un frein à la reconnaissance des difficultés que rencontrent les personnes concernées. De ce fait, celles-ci ont du mal à faire reconnaître leurs droits. Elles souffrent également des défaillances de l’accompagnement psychologique à La Réunion. On leur donne des médicaments mais pas assez d’écoute. Interview.

Comment est née l’association Handicap Solidaire

L’association est née du fait que moi-même j’étais concernée. Après un licenciement professionnel, j’étais en dépression, une dépression sévère, et mon état de santé s’est dégradé. On a alors diagnostiqué un handicap invisible : la bipolarité. 

L’origine de ce handicap n’était ni génétique, ni organique, ni la conséquence d’un AVC. C’était un stress ?

On parle dans ce cas du handicap psychique – qui n’est pas un handicap mental, il faut bien distinguer les deux. Le handicap psychique n’affecte pas les fonctions cognitives, contrairement au handicap mental et à la déficience intellectuelle. On parle plutôt, dans le cas du handicap psychique, de prédisposition génétique. Il y a un terrain favorable, mais ce sont divers facteurs qui vont se greffer à cela jusqu’à ce que le handicap se développe.

Au sein de l’association, si on regarde les personnes concernées par un handicap psychique, on voit souvent des personnes très vulnérables. Par exemple, des personnes ayant subi des situations d’inceste dans l’enfance, des adolescents ayant traversé des périodes très difficiles. Leur vie n’a pas été un long fleuve tranquille, et le handicap psychique s’est déclenché à la suite d’un traumatisme. Il peut aussi apparaître dans d’autres contextes, comme la consommation d’alcool ou d’autres addictions.

handicap mental ou psychique

Comment se rend-on compte que l’on est atteint d’un handicap psychique ?

Le diagnostic d’un handicap psychique doit être posé par un psychiatre. C’est la seule personne habilitée à poser un diagnostic. Maintenant, il est vrai que cela peut ressembler, notamment dans le cas de la bipolarité ou de la schizophrénie, à une dépression.

Dans un premier temps, il est donc pertinent de consulter son médecin traitant, puis un psychiatre, si les situations se compliquent.

Pas le droit à l’allocation adulte handicapé (AAH)

Est-ce qu’il n’y a pas une période de déni avant d’accepter d’aller voir un psychiatre ? Beaucoup de gens pensent pouvoir s’en sortir seuls…

Souvent, oui. D’autant que dans de nombreux cas, comme le mien, cela commence par une dépression. On consulte alors un médecin, on prend un antidépresseur, on suit son traitement, et, dans le cas de la bipolarité, il y a une phase d’amélioration. Quand tout va mieux, on pense que le traitement a fait effet et que la dépression est passée.

Mais ce que l’on ne réalise pas, c’est que les émotions vont aux extrêmes. Ce n’est pas seulement se sentir bien, mais aussi avoir des comportements excessifs qui devraient alerter. Pour ma part, j’avais des signes qui m’ont interpellée et que j’ai mentionnés à mon médecin traitant. Malheureusement, cela a été perçu comme anodin.

Handicap Solidaire psychique mental Denise Ledormeur
L’association Handicap solidaire organise des moments de sensibilisation aux handicaps invisibles.

Quel est l’impact de ce handicap sur la vie professionnelle ?

Cela dépend des situations et des individus. Pour beaucoup, le traitement permet une stabilisation de l’humeur, ce qui signifie que leur état devient similaire à celui de Monsieur ou Madame Tout-le-monde.

Cependant, cette stabilité ne signifie pas que l’on bénéficie d’une reconnaissance automatique. Par exemple, je n’ai pas droit à l’AAH (Allocation aux Adultes Handicapés), et, administrativement, on considère que je peux travailler comme n’importe qui.

Vous pouvez effectivement travailler comme tout le monde ? Avez-vous pu retrouver un emploi stable ?

Personnellement, je ne souhaite plus occuper un emploi salarié impliquant la gestion d’une équipe. J’ai donc choisi de me former : je suis actuellement art-thérapeute à mon compte. J’ai aussi obtenu un diplôme universitaire de « Personne Experte en Situation de Handicap ». Je suis « pair aidante en santé mentale ». Cela me permet d’accompagner des personnes en situation de handicap psychique et d’intervenir en tant que formatrice en sensibilisation au handicap, notamment dans les entreprises.

«Si je hausse le ton, on dira que je suis bipolaire et instable»

Vous parvenez à atteindre votre autonomie financière, mais ce n’est sans doute pas le cas de nombreuses personnes atteintes d’un handicap psychique ?

C’est très difficile. Beaucoup de préjugés entourent le handicap psychique. Certains pensent que c’est lié à la sorcellerie, ou que « la tèt lé pa bon ». J’ai postulé dans l’Éducation nationale, mais mon handicap psychique a été un frein à l’embauche. J’ai des collègues bipolaires qui sont professeurs des écoles, mais ils doivent cacher leur condition.

Handicap Solidaire psychique mental Denise Ledormeur
L’art-thérapie pour accompagner les personnes en situation de handicap psychique.

Et administrativement, comment faire reconnaître ce handicap ? Peut-on obtenir la reconnaissance de travailleur handicapé (RQTH) ?

Oui, on peut être reconnu travailleur handicapé par la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées). Mais il y a beaucoup de freins et de difficultés. Les aides sont souvent insuffisantes ou supprimées. Et obtenir une reconnaissance administrative reste un parcours du combattant.

Quand quelqu’un perd une jambe, c’est visible, c’est clair. Mais pour un trouble psychique, comment prouver qu’il est réellement handicapant ? 

Moi, je suis stable, et pourtant, je fais face à des difficultés énormes au quotidien. Par exemple, la colère. Je ne peux pas l’exprimer normalement. Si je hausse le ton, on dira que je suis bipolaire et instable. J’ai donc appris à toujours garder un ton neutre. Mais cette gestion permanente de l’émotion est épuisante. Et ça ne se voit pas.

Loin d’une société inclusive

Comment cela impacte-t-il votre quotidien ?

Un simple passage en caisse peut être un enfer. Je vais faire mes courses, mais si je suis trop fatiguée mentalement, je suis incapable de patienter en file d’attente. Et comme je ne fais pas de « crises », je n’ai pas droit à une carte prioritaire. Pareil chez l’ophtalmo : un jour normal, je peux attendre des heures. Mais après une journée éprouvante, c’est impossible. Pourtant, expliquer tout ça à une secrétaire, c’est compliqué. On passe vite pour quelqu’un qui veut passer devant tout le monde.

Certaines personnes sont incapables de faire leur ménage mais n’ont pas le droit à une aide à domicile.

Exactement. J’accompagne des personnes qui ne peuvent plus entretenir leur maison. Moi-même, je peux laisser s’accumuler cinq ou six tasses avant d’avoir l’énergie de faire la vaisselle. Pour quelqu’un d’extérieur, ça peut sembler absurde, mais c’est une réalité. Envoyer un simple mail en fin de journée peut être impossible si je suis trop épuisée.

Le harcèlement professionnel a fait en sorte que je n’ai pas pu faire de nombreuses démarches administratives. À la banque, par exemple, on m’a demandé un code reçu par SMS. Je savais que le message était là, mais j’étais incapable d’aller le chercher. Quand je suis sortie de l’hôpital je n’arrivais plus à conduire ma voiture.

Avec moins de 600 euros par mois, des malades ne peuvent même pas prétendre à l’AAH parce que leur handicap n’est pas reconnu. Votre association agit-elle pour faire avancer cette reconnaissance ?

Oui, nous sommes nombreux à vivre ces situations. Être auto-entrepreneur n’est pas facile, et vivre avec 500 ou 600 euros par mois est un enfer. Il faut que ça change. Cette année marque les 20 ans de la loi du 11 février sur les droits des personnes handicapées. Il y a eu des avancées, mais on est encore loin d’une société réellement inclusive.

Pas les mêmes accompagnements que dans l’Hexagone

Observez-vous une augmentation des troubles psychiques ces dernières années ?

Oui, et c’est inquiétant. L’isolement est un facteur aggravant. Avant, on pouvait compter sur la famille, les voisins. Aujourd’hui, la solidarité est de plus en plus rare.

Quelles solutions proposez-vous ?

On aimerait que les personnes en situation de handicap psychique puissent être entendues dans les instances de décision. Trop souvent, les lois sont pensées sans nous, et ça crée un décalage avec la réalité. Il faudrait des tables rondes, des consultations où l’on écoute vraiment ceux qui vivent ces situations.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes concernées ?

Ne pas avoir honte, oser parler, ne pas s’isoler. C’est dur, parce qu’on a tendance à se renfermer, à vouloir tout gérer seul. Mais s’isoler, c’est sombrer. Il faut garder un lien avec les autres, même si c’est juste un coup de téléphone.

Avez-vous constaté une baisse des financements pour l’accompagnement du handicap psychique ?

Ce qui m’interpelle c’est que puisque j’ai créé l’association, on me parle de la psycho-éducation comme d’une prise en charge essentielle. J’attends toujours. On nous dit que ça coûte trop cher. Mais comment justifier que l’on ne propose qu’un traitement médicamenteux, sans accompagnement global ? Pourquoi n’avons-nous pas accès aux mêmes prises en charge qu’en métropole ?

L’espoir porté par les « pairs aidants »

Qu’est-ce que la psycho-éducation ?

C’est un accompagnement qui va au-delà des médicaments : groupes de parole, art-thérapie, aide à l’organisation du quotidien. C’est un suivi plus régulier qu’un rendez-vous annuel chez le psychiatre où on n’a pas le temps de parler de la globalité de son traitement. Par exemple, en tant que pair aidant j’ai croisé un schizophrène qui me raconte : « mi fume mon joint, sa mèm mon traitement i marche pas »… C’est le genre de conversation qu’il n’aura pas avec son médecin.

Quel est le rôle des « pairs aidants » ?

Les pairs aidants sont des personnes ayant elles-mêmes un handicap psychique et qui, après formation, accompagnent d’autres personnes vivant la même situation. C’est une aide précieuse. Quand j’ai lancé l’association, j’ai eu la chance d’être soutenue par un enseignant bipolaire. Voir quelqu’un dans la même situation réussir, ça change tout. Ça donne de l’espoir.

Handicap Solidaire psychique mental Denise Ledormeur
Van Gogh, symbole de la bipolarité

Comment fonctionne votre association sur le terrain ?

Nous avons une ligne téléphonique ouverte pour les personnes en détresse : 0692  61 39 38. Il y a 20% de personnes bipolaires qui meurent par suicide. C’est dramatique, souvent, elles ont besoin de parler à quelqu’un qui comprend. Elles peuvent nous appeler en complément du 114. On est au Port mais on n’a pas de local. On organise aussi des événements, comme au Blue Bayou de l’Etang-Salé,  le 22 mars pour sensibiliser au handicap invisible. Nous fêterons également la journée de la bipolarité, le 30 mars, qui est aussi l’anniversaire de Van Gogh. L’association compte 5 bénévoles et une trentaine d’adhérents.

Pourquoi Van Gogh ?

Il est bipolaire. Il y a d’autres figures de talent dans ce cas, comme Molière ou Stendhal. Mais dire qu’on est bipolaire en 2025, à La Réunion, ce n’est toujours pas évident.

Entretien : Franck Cellier

Lire également : Quand le système de soins culpabilise les handicapés psychiques ou mentaux.

Une demande de reconnaissance de handicap tombe toutes les 15 minutes à La Réunion

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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