RENCONTRE AVEC JOHNY LEBON, AUTEUR DE « GÉNÉALOGIE DES LEBON, DE LA BRETAGNE À LA RÉUNION »
On dit souvent que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Johny Lebon propose aujourd’hui de la faire raconter par sa famille sur neuf générations. De Pierre Lebon, dit La Joie, né en 1683, à lui-même, né en 1971. Son livre « Généalogie des Lebon » retrace en fait la grande histoire de La Réunion à travers le regard des Lebon… Un récit mordant, critique et passionnant !
Vous aimez l’Histoire et les histoires ? Johny Lebon a versé des larmes et de la sueur pour raconter la saga réunionnaise de ses ancêtres : les Lebon. Des larmes parce qu’il dit, dans l’entretien qu’il nous a accordé, avoir pleuré en lisant que ses aïeuls considéraient leurs esclaves comme des « meubles » ou du « cheptel ». De la sueur parce que son enquête a occupé deux années et demie de sa vie.
Son livre est déjà accessible sur le net avant d’être disponible dans les rayons des librairies. Il s’intitule « Généalogie des Lebon, de la Bretagne à Bourbon. Moi Pierre Lebon, histoire d’une saga familiale ». Il arrive après deux autres ouvrages : « Regard d’un yab sur l’évolution de son ti péï » et « Chasseur de guêpe ».
Commençons par la fin de la frise historique, c’est-à-dire par Johny, qui se définit comme un « écrivain passionné d’histoire et de généalogie ». Il est aussi un défenseur de son île et de son identité créole. La Réunion d’aujourd’hui qu’il décrit est «devenue méconnaissable, enlaidie par le béton et les constructions qui pullulent partout, gangrénée par les maux de la mondialisation, métastasée par la politique clientéliste, partisane, véreuse, nauséabonde et où la démographie galopante fait se poser tant de questions.»
Johny Lebon n’hésite donc pas à donner son avis sur l’histoire de son pays et c’est ce qui fait le piment de son ouvrage. Le récit passe de Sarda Garriga qui a « roulé » le peuple, aux gouvernants d’aujourd’hui, à leurs 49.3 et aux « tartuffes de l’outre-mer.»
Lebon = turbulent ?
Dès le premier du nom, considéré comme un « turbulent » par la Compagnie des Indes, cette marque de caractère apparaissait. Est-elle aujourd’hui propre à tous les Lebon contemporains ? Combien sont-ils au fait ? Impossible de donner un chiffre mais ils sont assurément dans le top 15 des noms de familles les plus répandus de l’île. Qui ne connaît pas au moins un Lebon ?
Revenons au début : Le premier Pierre Lebon quitte une Bretagne de misère en 1706. Il quitte le Port Louis de Lorient à l’âge de 21 ans. Charpentier de marine, il embarque pour un voyage de deux ans qui le conduit sur les côtes sud-américaines. Il aurait pu s’arrêter au Pérou où son lointain descendant imagine qu’il a pu avoir un enfant. Il aurait pu terminer sa course à Pondichéry où la Compagnie des Indes voulait l’expédier du fait de son caractère de « tête dure ». Il arrive finalement à Bourbon en 1708 après avoir doublé le cap Horn et franchi celui de Bonne Espérance.
Sur le journal de bord du bateau, Le Saint-Louis, il est noté que le volcan est en éruption. Johny Lebon plonge son lecteur dans l’île Bourbon d’il y a 315 ans. Il mêle ses recherches généalogiques aux ouvrages historiques qu’il a parcourus dans leurs moindres détails. Son enquête lui permet de retracer le parcours de l’un des premiers habitants de La Réunion et des ses contemporains. On trouve même dans son livre une liste des habitants de Saint-Paul, Saint-Denis et Sainte-Suzanne datant de 1711.
Cocu par sa femme et l’esclave Jacques Vel
Parmi les faits marquants de la vie, Pierre Lebon, qui meurt a 40 ans écrasé par un arbre, on lit le récit de l’adultère de Jeanne Lépinay, son épouse. Elle était partie « maron » avec un esclave qui lui a fait un enfant. L’affaire est jugée en 1716. L’épouse infidèle reconnaît avoir agi par amour, elle est torturée, écartelée, obligée de passer à genoux devant l’église de Saint-Paul. L’esclave, Jacques Vel est mutilé, on lui coupe les orteils. Et Pierre Lebon, reconnaît l’enfant né de cette union adultérine.
« L’enfant Pierre-Paul est en fait un enfant dit bâtard, explique Johny Lebon. Et tous les Lebon qui remonteront à ce Pierre-Paul dans leur généalogie sont en en fait des Vel, issus de cette liaison d’amour avec un esclave.» L’époque est cruelle et la Compagnie des Indes toute puissante. C’est elle qui oblige Pierre a reconnaître l’enfant. C’est encore elle qui accuse ce même Pierre de trafic de graisse de tortue avec des esclaves.
D’anecdote et anecdote, et de génération en génération, Johny Lebon raconte toute la complexité de la longue histoire de La Réunion. « Tous les grands personnages que j’ai observés, qu’ils soient blancs ou noirs, étaient esclavagistes. Même le père Lafosse, qui était abolitionniste, possédait des esclaves, parce que ça faisait partie des moeurs de l’époque.»
Il décrit l’exploitation de la terre et des hommes par le système colonial. La Compagnie des Indes obligeait ses ancêtres colons à cultiver le café sous peine de mort. Il a fallu les « avalasses » (inondations) de 1815 pour réorienter l’agriculture vers la canne à sucre, plus résistante aux cyclones.
L’amante et la muse de Parny
Dans la généalogie des Lebon peu de personnages publics apparaissent, mais on y trouve une certaine Esther qui était l’amante et la muse du poète Evariste de Parny. Dans ses « Poésies érotiques » (1778), Esther apparaît sous le nom d’Éléonore. Le poème N°3 à Éléonore clame : « Ah ! si jamais on aima sur la terre, si d’un mortel on vit les dieux jaloux, c’est dans le temps où, crédule et sincère, j’étais heureux, et l’étais avec vous. (…) Ô toi, qui fus ma maîtresse fidèle, tu ne l’es plus ! Voilà donc ces amours que ta promesse éternisait d’avance ! Ils sont passés ; déjà ton inconstance en tristes nuits a changé mes beaux jours. N’est-ce pas moi de qui l’heureuse adresse aux voluptés instruisit ta jeunesse ?…»
Plus il s’approche de 2024, plus Johny Lebon se fait mordant dans le récit. En plus des documents généalogiques et historiques, il s’appuie sur la mémoire transmise par ses grands-parents. Son arrière-grand-père Épiphane était désigné comme « bon absent » sur son ordre de mobilisation pour la 1e guerre mondiale. Son grand-père Louis-Médéric a connu la 2e guerre et les brimades des Pétainistes. Il construisait des paillotes en paille. Alexina, sa grand-mère centenaire, « Femme courage », buvait son rhum au sel et travaillait pieds-nus dans les champs après la mort de son mari en 1921.
Pendant les années de la départementalisation et de Debré, les Lebon vont travailler en France pour ne revenir dans leur île qu’au temps de leur retraite. « Ce n’était pas les enfants de la Creuse, relate l’auteur, mais c’est la période Bumidom où la majorité des jeunes de l’époque partent pour essayer d’avoir un avenir meilleur et, a contrario, on fait rentrer déjà les premiers fonctionnaires métropolitains de La Réunion pour l’indexation de 35%.»
On ne peut pas effacer ou renier l’histoire, insiste Johny Lebon. Mais on peut la commenter en profondeur.
Franck Cellier