[Intégration] L’histoire d’un « sans-papier » en CDI

QUE DEVIENNENT LES IMMIGRÉS SRI-LANKAIS — ÉPISODE 7

Arrivé à La Réunion il y a cinq ans sur le premier bateau de Sri-Lankais, Lahiru Laksam n’a pas de titre de séjour. Il veut sortir de son impasse administrative en montrant son intégration : il travaille, il gagne sa vie et veut faire venir ici sa femme et son enfant.

« Bonjour, c’est Lahiru. J’ai besoin qu’on m’aide pour trouver un logement »… L’immigré sri-lankais, débarqué sur le premier bateau arrivé à La Réunion, maîtrise de mieux en mieux le français et le créole. Nous l’avions rencontré en septembre 2021. Il espérait que sa demande d’asile soit acceptée et faisait tout pour s’intégrer. Il travaillait alors sur des chantiers à l’Etang-Salé.

Lahiru est qualifié de travailleur exemplaire par son patron.

Sa demande d’asile a été rejetée. Il croit encore en un retournement de situation en appel mais la jurisprudence ne joue pas en sa faveur. Entre temps, l’appel n’étant pas suspensif, il a perdu tout droit à une allocation de demandeur d’asile ou aux bons de la Croix-Rouge. Il ne lui reste que l’Aide médicale d’Etat. Il espère ne pas en avoir besoin. Pour tout le reste il se débrouille seul. Tel est le quotidien d’un sans-papier.

Le terme n’est pas forcément approprié. En effet, il n’a plus de papier d’identité à part un passeport sri-lankais périmé. Mais la paperasse s’amasse dans son classeur. Il y a deux OQTF (Obligations à quitter le territoire français) qu’il a tenté de faire annuler. En vain. Il y a même une convocation au poste de la Police aux frontières à Gillot, datée du 30 décembre dernier.

Il reste en contact avec sa femme et leur fils via Whatsapp.

Evidemment il ne s’y est pas rendu sinon il ne serait probablement plus « terla », à La Réunion, à se démener pour construire une nouvelle vie pour lui mais aussi pour son épouse et son fils restés là-bas à Wennapuwa. L’enfant avait 6 mois quand Lahiru, menacé de mort, s’est enfui. Il a 5 ans aujourd’hui et ne connaît son père que par des conversations sur WhatsApp. « Tout le temps il me demande comment il peut me rejoindre ».

Ni papiers, ni loyer, ni compte en banque

Lahiru Laksam sort un autre papier : une décision du bureau d’aide juridictionnelle qui lui accorde l’AJ pour contester le refus de la préfecture d’instruire sa demande de titre de séjour. C’était le 17 février dernier et cela représente la seule décision en sa faveur depuis longtemps. Pour le reste, sa situation administrative ressemble à une impasse : pas de papier d’identité, pas de loyer, même pas de compte en banque. 

Pourtant Lahiru a décidé de ne pas vivre caché. Son avocate, Nacima Djaffour, rappelle qu’« être en situation irrégulière n’est pas un délit » et que son « client est aujourd’hui apprécié de tous, il s’est intégré, il a du travail, il gagne sa vie dans un secteur en tension » : « Est-ce par peur de créer un appel d’air ou sous la pression de l’opinion publique ? En tout cas je constate que la préfecture ne veut pas régulariser les Sri-Lankais », déplore-t-elle. 

Interrogée sur son refus d’examiner la situation du demandeur, la préfecture assure que son service de la migration et de l’intégration examine et instruit les dossier « conformément à la législation en vigueur » et que « les demandes ne remplissant pas les conditions fixées par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESADA) font l’objet de refus ».

Cette réponse, bien générale, n’aborde pas du tout la réalité du cas du demandeur sri-lankais et l’évolution de sa situation en 5 ans. Pour la Cimade, association qui accompagne les étrangers dans leurs démarches administratives, Lahiru peut faire valoir sa situation actuelle pour solliciter un titre de séjour. 

Une carte de crédit partagée et par procuration

S’il a autant progressé dans la maîtrise du créole, c’est parce qu’il s’est toujours efforcé à s’intégrer, d’abord « en donnant la main » à l’association Ansamb OI puis en travaillant pour gagner sa vie. Depuis un an et demi il a même un CDI à son nom dans une entreprise de BTP du nord de l’île. Il aligne les fiches de paie pour montrer que son employeur s’acquitte bien des charges sociales.

Celui-ci vante les qualités de Lahiru et de son beau-frère Suhanda, lui aussi « sans-papier » sri-lankais : « Nous sommes plusieurs patrons à employer des Sri-Lankais, ce sont des gars très motivés, très investis. Ils font du bon boulot et montrent l’exemple sur les chantiers ». Et il ajoute : « Vous savez ? C’est tellement compliqué aujourd’hui de trouver des gens pour bosser »

Lahiru envoie chaque mois quelque 500€ à sa famille. Il s’inquiète pour eux. En janvier dernier, sa femme a signalé à la commission des droits de l’Homme du Sri Lanka l’intrusion d’inconnus masqués dans sa maison. Elle envisage de déménager. Ici, faute d’avoir pu ouvrir un compte en banque, Lahiru partage une carte de crédit Nickel (banque en ligne) avec son beau-frère. C’est leur patron qui a ouvert le compte pour eux.

Ce genre de situation n’est pas sécurisant. C’est plutôt stressant que de devoir compter sur un réseau de solidarité pour être payé et trouver un logement. Depuis son arrivée à La Réunion, Lahiru n’a cessé de déménager. Il vit actuellement dans le bâtiment d’un restaurant en réfection mais il devra le quitter à la réouverture de l’établissement. Suhanda habite pour sa part dans un appartement de trois chambres déjà occupé par deux autres familles.

Suhanda habite dans un appartement de trois chambres déjà occupé par deux autres familles.

Cinq ans après leur arrivée, leur quotidien ne tient qu’à un fil. Vivre sans papier n’est pas un délit mais il craignent toujours de se faire arrêter et d’être expulsés sans avoir eu le temps de prévenir leurs avocats ou la Cimade. Ils refusent pourtant de se cacher car ils veulent montrer leur intégration dans la vie réunionnaise.

Franck Cellier

Comme Lahiru, Rajitha (arrivé il y a 6 mois) et Suhanda ne veulent pas vivre cachés.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.