Israël-Palestine, au départ était la colonisation

LIBRE EXPRESSION

C’est dans le contexte de la propagation des idées de la Révolution française (liberté, égalité, fraternité), de l’éveil des nationalités en Europe (du nationalisme) débouchant sur la revendication du droit à former une entité politique autonome ou indépendante (auto-détermination) et des persécutions incessantes que subissaient les communautés juives de par le monde, particulièrement dans l’empire tsariste (1791-1917) où se regroupait les deux tiers du judaïsme mondial, qu’est né à la fin du XIXe siècle, chez certains penseurs juifs, l’idée de rassembler les Juifs dans un même pays où la nécessité pour les Juifs d’obtenir un foyer national.

Un foyer national pour se reconstruire et se protéger

Dans quel pays ? Malgré la haute charge symbolique que représente Jérusalem (ou Sion, son autre nom) dans le judaïsme rabbinique du premier siècle de notre ère , après l’exil des Juifs par les Romains, suite à la révolte et à la défaite (132-135) de Simon Bar Kosiba, appelé Bar Kokhba, la Palestine ne s’impose pas d’emblée comme la solution. On hésite au début : Argentine, Ouganda, Chypre, Palestine, voire Mozambique ou Madagascar pour certains. ? Et ce, sans oublier l’Amérique qui avait déjà accueilli un nombre important d’immigrés juifs.

« Possible que la terre sainte devienne notre propre terre. Ce serait tant mieux, mais ce n’est pas l’essentiel : il s’agit, avant tout, d’examiner où est le pays susceptible d’offrir une possibilité de refuge », écrit le médecin et militant sioniste Léon Pinsker (1821-1891), auteur de « Autoémancipation ! Avertissement d’un Juif Russe à ses frères » (1882). C’est le premier manifeste du sionisme, publié en 1882, soit un an après qu’ont éclaté les terribles pogroms et assassinats de masse dans une centaine de localités dans le sud de la Russie, suite de l’assassinat du tsar Alexandre II.

Dans la foulé de ces évènements traumatisants et de l’interpellation de Léon Pinsker invitant ses frères à prendre en main leur destin et de ne plus le subir, des sociétés de « Hovevé Zion » ou « Amants de Sion » voient le jour dans un grand nombre de communautés israélites. Certaines se concentrent sur le rassemblement des fonds pour établir leurs propres membres en Palestine en achetant des terres, tandis que d’autres veulent simplement aider les colonies déjà installées tout en renforçant l’identité juive en diaspora. Cette émigration s’effectue dans plusieurs directions, notamment en Amérique (Nord et Sud), en Angleterre et en Palestine où les premières colonies agricoles sont créées en 1882 par des immigrants venus de Roumanie et de Russie, avec le concours de l’Alliance israélite universelle, de Sir Moïse Montefiore et du baron Edmond de Rothschild.

La fondation du sionisme politique

Affaibli par les fréquentes querelles entre la tendance laïque et la tendance religieuse (déjà !), le mouvement des « Amants de Sion », qui s’est matérialisé avec la première aliya (vague d’immigration) – près de 30 000 Juifs en Palestine entre 1882 et 1903 – n’a, semble-t-il, suscité relativement que peu d’échos au sein du judaïsme. C’est le journaliste viennois Théodore Herzl (1860-1904) qui théorise l’espoir des Juifs persécutés et porte leur voix auprès des puissants de ce monde : du sultan de l’Empire Ottoman aux milieux financiers et politiques de la monarchie anglaise (Martine Gozlan, 2012). Et ce, en donnant une assise politique au sionisme via la création de l’Organisation Sioniste lors du 1er Congrès sioniste à Bâle en 1897, avec un programme clairement défini et des institutions appropriées (Banque coloniale juive (1899), Fonds national juif (1901). « Le but du Sionisme est de créer pour le peuple juif un foyer en Palestine garant par le droit public ». Pour atteindre ce but, le Congrès recommande, entre autres mesures, « l’encouragement systématique de la colonisation de la Palestine par l’établissement d’agriculteurs, d’artisans et d’ouvriers juifs ».

Pour Herzl, la question juive n’est pas une question sociale ou religieuse, mais une question nationale qui se rattache à la politique et doit être résolue comme telle « dans les conseils des peuples civilisés ». C’est le triomphe du sionisme politique (sionisme national) sur le « sionisme spirituel ». Il a réussi à imposer sa vision du sionisme ! La colonisation, à cette époque, est encore embryonnaire, mais avec l’arrivée d’une seconde vague d’immigration sioniste – 35 000 à 40 000 entre 1903 et 1914 – et aux institutions crées (Fonds National juif, Fonds de Reconstruction), la colonisation se structure avec le mouvement des Kibboutzim et la construction de Tel-Aviv. Mais en voulant être les seuls à travailler la terre acquise par les fonds de colonisation, les colons juifs enclenchent indirectement un processus de dépossession des arabes palestiniens qui les pousse vers le désert (Jean Bauberot, 1976).

De la Déclaration Balfour à la création de l’Etat d’Israël

L’objectif de Herzl, nous l’avons déjà souligné, est « la création pour le peuple juif en Palestine d’une patrie garantie par le droit public ». Dans ce but, il cherche l’appui de grandes puissances pour soutenir son projet. Il se tourne d’abord le sultan ottoman Abdulhamid II (la Palestine est alors sous administration ottomane), puis vers les Britanniques qui proposent l’Ouganda, que Herzl fait sienne. Mais la proposition est rejetée au sixième Congrès sioniste, en août 1903. Herzl meurt prématurément des suites d’une bronchite et surtout d’épuisement, le 3 juillet 1904.

Les négociations avec le gouvernement britannique continuent. Le 2 novembre 1917, une lettre de Lord Arthur James Balfour à Lord Rothschild, président de la fédération sioniste anglaise évoque le soutien de son gouvernement à l’établissement d’un « foyer national pour le peuple juif », à condition que cela ne porte pas préjudice aux « droits civils et religieux des communautés non-juives existantes en Palestine ». Cette déclaration, dite Déclaration Balfour, inquiète le monde arabe.
Le 29 novembre 1947, un plan de partage de la Palestine est adopté par l’Assemblée générale de l’O.N.U. Le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclame l’Etat d’Israël. Le rêve sioniste est devenu réalité. Une politique d’immigration juive massive est mise en place, mais, à l’inverse, 750 000 palestiniens se voient dans l’obligation de prendre les routes de l’exil. C’est la « Nakba », la « Catastrophe » dans la mémoire collective palestinienne.

Pour conclure

L’État d’Israël est né sur la négation de l’existence des Palestiniens : aucune consultation, aucune prise en compte de leur légitime aspiration. « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre », disaient les sionistes dans les premières années du XXe siècle pour justifier leur droit de s’établir en Palestine en rachetant des terres à des propriétaires ottomans et quelques années plus tard par la saisie des terres arabes. Et ce, sans tenir compte de actions de protestations contre l’implantation des premières « colonies », sous administration (de 1903 à 1908), et puis sous administration britannique. En 1947, les Palestiniens n’ont pas été consultés. « Personne ne nous a rien demandé ! On nous l’a imposé. Depuis le début, notre voix n’existe pas », écrit la réfugiée Franco-Palestinienne Rima Hassan (L’Humanité, 07/11/2023).

La naissance d’Israël présentée par l’histoire sioniste comme exemplaire, révèle, selon les nouveaux historiens israéliens, son péché originel : la saisie des terres arabes, le départ de près de 700 000 à 750 000 Palestiniens et l’opposition à leur retour (Ilan Greilsammer, in Cités, 2004). Trente ans après les accords d’Oslo, le peuple arabe palestinien se trouve toujours privé d’un État indépendant et la colonisation continue de plus belle. Depuis l’attaque sanglante et inqualifiable du Hamas contre les civils, le 7 octobre 2023, et les bombes qui tombent quotidiennement sur Gaza, la Palestine est entrée dans une période obscure de son histoire, sans, pour le moment, de perspective politique crédible.

Reynolds Michel
Le Port, Novembre 2023

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