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Janusz Korczak (1878-1942), une vie pour les droits de l’enfant

LIBRE EXPRESSION – Le 20 novembre prochain se tiendra la journée internationale des droits de l’enfant, une date qui marque la ratification de la Convention relative aux droits de l’enfant par l’assemblée générale des Nation-Unies 36 ans plus tôt. Un long processus auquel a participé le médecin polonais Janusz Korcaz. Reynolds Michel se propose de retracer le parcours de ce défenseur des droits des enfants.

« Les enfants méritent respect, confiance et bienveillance » Janusz Korczak

Les enfants ont des droits, des droits humains. Cette idée parait simple et courante de nos jours. Pour autant, au début du XXe siècle, il n’existait aucune norme de protection des enfants, selon l’UNICEF (2009). Il était courant de voir travailler les enfants aux côtes des adultes dans des conditions d’insalubrités plus que dangereuses. Dans le contexte de grandes mutations qui entourent la première guerre mondiale, la reconnaissance croissante des injustices de la situation des enfants, en corrélation avec une meilleure compréhension de leurs besoins en matière de santé et d’éducation, a donné naissance à un mouvement visant à améliorer leur protection. 

Parmi celles et ceux qui œuvrent à cette époque pour mieux protéger les enfants, le médecin et éducateur polonais Janusz Korczak (1878-1942) occupe une place singulière. Pour ce médecin militant de ce qu’on n’appelait pas encore la cause des enfants, il ne s’agissait pas de respecter davantage l’intérêt des enfants par bonté ou par charité, mais parce que c’est un droit. Il a quasiment inventé la notion du droit des enfants. En outre, il ne vivait pas seulement pour les enfants, il vivait avec avec eux dans sa Maison de l’Orphelin.  Il est allé avec les 192 enfants de son orphelinat jusqu’au bout, jusqu’au camp de la mort de Treblinka. Personne n’est revenu. « Loin d’être un acte désespéré, son sacrifice témoigne de la force de l’engagement qui a traversé toute sa vie », écrit Béatrice Kammerer, dans un dossier de Sciences Humaines (02/2025) consacré à Janusz Korczak. Découvrons ensemble Janusz Korczak.

Un médecin-pédiatre et écrivain célèbre dans son pays

Janusz Korczak, de son vrai nom Henryk Goldszmit est né le 22 juillet 1878 (ou 1879) à Varsovie (Pologne), dans une famille juive aisée, libérale, liée à la culture et aux traditions polonaises et une culture juive d’émancipation. Son père, Jozef Godszmit, est un avocat de renom, sa mère Cecvlia Gebicka (décédée en 1920) vient d’une famille progressiste. Les Goldszemit faisaient partie de l’intelligentsia de Varsovie, de plus en plus nombreuse à adhérer au modèle culturel juif réformateur aux aspirations émancipatrices et à un savoir laïque. C’est ainsi qu’Henryk et sa sœur Anne ont reçu une éducation laïque, mais une éducation toute imprégnée des valeurs juives de l’amour du prochain et du secours à apporter aux plus démunis (Eliza Smierzchaska, Okaju, 2025). 

À la mort de son père, en 1896, des suites d’une longue maladie mentale qui a englouti toutes les réserves pécuniaires de la famille, Henryk, qui termine ses études secondaires au lycée russe de Varsovie (alors sous l’occupation russe), se fait précepteur des familles aisées pour aider sa mère. Il publie son premier écrit, Wezel Gordviski (Le Nœud gordien) dans une revue humoristique sous le pseudonyme de Hen. Les études de médecine qu’il commence dans ces années-là ne l’empêche toutefois pas de participer à un concours littéraire, par l’envoie d’un drame en quatre actes, signé Janusz Korczak, du nom d’un héros populaire de la littérature polonaise. Il devient membre de la Société des bibliothèques gratuites, destinées aux enfants et aux jeunes ouvriers. Le sort des enfants l’intéresse et il se passionne pour la pédagogie.

 Il participe à des colonies de vacances pour les enfants pauvres et visite, à plusieurs reprises, avec un jeune poète et ethnographe, les quartiers pauvres de Varsovie. À partir des notes prises lors de ses visites, il écrit son premier roman Les enfants de la rue, publié en feuilleton dans la revue Bibliothèque pour tous, en 1901. 

Un écrivain-médecin engagé en faveur de la cause des enfants

L’été de cette même année, il accomplit un voyage à Zurich (Suisse) pour approfondir la pensée du pédagogue suisse Pestalozzi (1746-1827). Une fois devenu médecin, il enchaîne activité libérale et postes en pédiatrie à l’hôpital pour enfants, excepté pendant la guerre où il est enrôlé dans l’armée russe en guerre avec le Japon (février 1904 à septembre 1905). À son retour du front en 1906, Korczak, qui a repris son poste à l’hôpital des enfants, signe plusieurs articles dans la revue Critique médicale, notamment Savoir vivre et L’école de la vie. En 1907, il publie son deuxième roman L’enfant du salon, qui lui apporte la célébrité comme écrivain. Dans ce roman, Korczak dénonce la violence symbolique de l’éducation bourgeoise qui fait de l’enfant un otage, maltraité par certaines obligations et un contrôle trop intensif. 

En 1908, Janusz Korczak rencontre Stefania Wilezynska, engagée dans l’association « Aide aux Orphelins », dont l’objectif était de soutenir les enfants juifs les plus démunis. Elle partage avec lui son rêve de construire un lieu idéal pour les enfants juifs les plus démunis. Des fonds sont récoltés et réunis et la construction démarre. « La Maison de l’Orphelin » est inaugurée en 1912 avec un projet pédagogique d’avant-garde lié à une pratique de l’autogestion. L’établissement est mixte et accueille les orphelins juifs de 7 à 14 ans. Korczak quitte alors l’hôpital où il a travaillé pendant sept ans pour en prendre la direction avec Stefania Wilczynska (1886-1942). Orphelinat qu’il n’a plus quitté – excepté les périodes de mobilisation – jusqu’au matin du 6 août 1942 où les soldats allemands l’ont réveillé, lui et avec ses enfants, aux cris de « Alle Juden raus ! » (« Tous les Juifs dehors !»), pour le camp d’extermination de Treblinka.

En 1914, Korczak est mobilisé, d’abord dans un hôpital de campagne de l’armée russe, puis à Kiev (Ukraine) où il fait la connaissance de l’enseignante et éducatrice polonaise, Maria Falska (1877-1944), qui dirige alors un refuge pour enfants errants. Ils fonderont en 1919 « Notre Maison », un internat destiné aux enfants d’ouvriers polonais, basé sur les méthodes développées à la « Maison des Orphelins ». De ces quatre années sur le front, il ramènera un ouvrage-clé, son plus célèbre traité de pédagogie : « Comment aimer un enfant », publié en 1919.  C’est dans ce livre que se trouve son appel à une charte universelle des droits de l’enfant.

Malgré ses nombreuses activités, il trouve le temps d’écrire. C’est la publication en 1923 de son roman le plus célèbre : Le Roi Mathias 1er. Et, en 1928, Le Droit de l’enfant au respect, le texte-manifeste qui inspirera la Convention Internationale des droits de l’enfant.À partir de 1922 et jusqu’à la guerre, il donne des conférences auprès des jardinières d’enfants, des moniteurs de colonies de vacances… ; anime avec les enfants une « Petite revue », un journal d’enfants, bientôt suivi de « Les règles de vie » (1929) ; intervient comme médecin-expert au tribunal des jeunes délinquants de Varsovie ; enseigne et anime une émission de radio, « Les causeries du vieux docteur », lancée en 1934 après le retour de son voyage en Palestine. 

« Les enfants ne sont pas des personnes en devenir mais des personnes à part entière. Ils ont le droit d’être pris au sérieux, ils ont le droit d’être traités avec tendresse et respect. Il faut les laisser s’épanouir pour qu’ils réalisent leur personnalité. L’inconnu qui sommeille en eux est notre espoir pour l’avenir. »

Respecter les enfants et promouvoir leurs droits

Janusz Korczak a choisi de servir l’enfant et sa cause, parce l’enfant a le droit d’être aimé et le droit d’être respecté. Pour Korczak, il ne saurait y avoir de véritable amour de l’enfant sans respect. D’où son insistance sur le droit de l’enfant au respect, au respect de tous ses droits, qu’il oppose à une pédagogie oppressive en vue de mettre fin « aux interdictions despotiques, aux règles strictes, insensées… et à la surveillance soupçonneuse » (1928). Et pour notre pédagogue, « le premier et incontestable droit de l’enfant est celui d’exprimer ses pensées et de participer activement à nos réflexions et à nos jugements à son égard » (2020).

Le droit de l’enfant au respect, qui hérisse plus d’un adulte, présuppose, chez Korczak, la reconnaissance de la valeur humaine de toutes les personnes et un respect pour la vie qui habite en chacun de nous. De plus, il voyait dans les enfants l’espoir de l’humanité en un avenir meilleur. C’est dans une vision humaniste que s’ancre la défense du droit de l’enfant au respect chez Korczak. « L’enfant ne devient pas une personne car il en est déjà une », proclame Korczak. Le droit de l’enfant au respect entraîne de ce fait la promotion de tous ces droits. Comme le déclare avec justesse le professeur de pédagogie Sven Hartman (2009), la « vie toute entière de Janusz Korczak est pour nous une invitation à agir pour le bien de tous les enfants ».

Reynolds MICHEL

Photo de couverture : Olivier Ceccaldi

Sources :

Conseil de l’Europe/Conférences Korczak (2009), Janusz Korczak, Le droit de l’enfant

Radio/France, la série Avoir raison avec Janusz Korczak, du 5 au 9 août 2024.

Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.

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