[Justice] Le courage de huit femmes libérées de l’emprise de Jean-Francis Blondel

CONDAMNATION À 13 ANS DE PRISON CONFIRMÉE POUR LE « PSY »  VIOLEUR DE LA BULLE

La solitude change de camp. La plaignante qui a été seule pendant dix ans d’enquête est désormais accompagnée de 7 autres femmes ayant libéré leur parole pour dénoncer Jean-Francis Blondel. Le « psy de la bulle » a été condamné en appel cette semaine pour viol aggravé. Il avait mis en place une organisation implacable, quasi sectaire, pour assouvir ses pulsions criminelles.

Mercredi soir, à l’issue de son procès en appel devant la cour d’assise, Jean-Francis Blondel, pseudo-psychothérapeute saint-paulois, a été condamné à 13 ans de réclusion criminelle pour avoir violé l’une de ses patientes à de multiples reprises, de 2011 à 2012, en profitant de l’ascendant que lui conférait sa position de soi-disant soignant. C’est la même peine que celle infligée un an plus tôt par la cour criminelle.

procès aux assises du psy violeur bulle Blondel
Jean-Francis Blondel est emprisonné depuis un an suite à sa condamnation en première instance.

Cette fois-ci en revanche, la sentence a été décidée à l’unanimité d’un jury populaire. Ce qui peut être considéré comme un pas supplémentaire dans la lente évolution des mentalités et la progression du mouvement #MeToo à La Réunion. Cette déplorable histoire du « psy de la bulle » est la parfaite illustration du long chemin parcouru par les victimes de violences sexuelles : comment rompre l’isolement et libérer la parole ?

Lors du premier jour du procès en appel, ce mardi, 8 victimes ont témoigné à la barre même si une seule d’entre elles avait déposé plainte et se trouvait sur le banc des parties civiles. En un an, de nouvelles voix se sont levées, un collectif s’est timidement créé. Et, pourquoi pas, d’autres femmes abusées peuvent encore se déclarer, se libérer du poids de la honte.

210 potentielles victimes

Il faut savoir que Jean-Francis Blondel, aujourd’hui âgé de 78 ans, a sévi pendant une trentaine d’années. Au prétexte de « recoller les morceaux » de victimes fragiles, souvent victimes d’incestes, il les replongeait dans leurs traumatismes enfouis pour leur prodiguer des massages californiens qui dérapaient en attouchements sexuels et en viols.

En première instance, il s’était prévalu d’avoir eu des relations sexuels avec 210 patientes ! En appel, il a changé de stratégie allant de la dénégation à la perte de mémoire. Ce qui n’a convaincu personne. Et pour cause : les paroles de victimes se sont multipliées pour décrire toujours le même processus de manipulation et l’organisation d’un véritable rameutage relevant de le vénerie (chasse à courre).

L’enquête s’est peu intéressée aux complicités dont a bénéficié le pseudo-psy pervers. Il aurait fallu écouter les victimes et les croire… C’est ce que la cour d’assises a pu faire cette semaine.

Il y a dix ans, lorsque la plaignante — appelons la Lucie — a déposé plainte, personne ne l’a crue.  Elle était alors en garde à vue parce que son mari était allé demander des comptes à Blondel et l’avait blessé, ce qui lui avait valu une condamnation de 4 mois de prison avec sursis.

Les enquêteurs avaient certes trouvé une arme, une cravache et des médicaments hypnotiques et anesthésiants dans la bulle. Une analyse avait certes décelé des traces de drogue dans les cheveux de Lucie. Mais tout reposait sur sa seule parole. Et il était particulièrement difficile d’évoquer l’emprise psychologique pour expliquer pourquoi elle retournait chez son violeur tous les mercredis et pourquoi elle l’avait suivi en stage à Madagascar.

Des rabatteurs complices ou inconscients ?

Les gendarmes avaient interrogé une cinquantaine de femmes dont les noms figuraient sur le répertoire du violeur. Mais la plupart s’étaient murées dans le silence.

Mardi, 7 autres femmes ont décrit la méthode bien rodée du pervers. Il ressort de leurs récits que Blondel n’utilisait pas la force physique et renonçait à passer à l’acte quand une patiente résistait. Mais, il était très dominant mentalement au point de placer ses victimes en état de sidération. Il les culpabilisait lorsqu’elles ne se laissaient pas faire. Ce qui fait qu’elles sortaient de la bulle non seulement violées, salies, mais également honteuses.

Jean Francis Blondel fermait la bulle à clé, servait un verre d’eau douteux à ses victimes avant d’abuser d’elles.

« Il se mettait en colère et disait que nous ne faisions pas d’efforts pour guérir. C’était extrêmement pervers », a indiqué Frida (prénom d’emprunt). Comme les autres, elle n’était pas venue par hasard. Un chiropacteur de Saint-Denis, cité par trois victimes, deux généralistes de Saint-Louis et Saint-Denis, un professeur d’université ont joué le rôle de rabatteurs. Et ils n’étaient probablement pas les seuls à recommander la « méthode Blondel ».

« Quand j’ai dit au chiropracteur que les massages de Blondel me mettaient mal à l’aise, qu’il avait touché mes parties intimes et m’avait bavé sur la bouche, il a minimisé les faits et répondu qu’il ne voyait pas où était le problème », raconte Mélissa (prénom d’emprunt). Etonnant que les « rabatteurs » en question ne se soient pas davantage inquiétés suite aux retours d’expériences malheureuses qui leur parvenaient.

Reconnu par les patrons, l’armée, l’université…

Il apparaît qu’un véritable réseau s’est construit autour de la bulle et de Jean-Francis Blondel. Il était reconnu par l’université de La Réunion où il intervenait et co-signait des ouvrages. De nombreuses entreprises faisaient appel à lui en matière de recrutement, d’organisation et de gestion de conflit. Certaines organisations patronales faisaient sa promotion auprès de leurs adhérents. Il collaborait avec l’armée où il développait ses théories de « morpho-psycho-analyses ». 

Comme une caution, les ouvrages de Jean-Francis Blondel étaient estampillés des logos de l’université et de la Région.

L’épouse d’un dirigeant a raconté comment elle et son mari sont arrivés chez Blondel pour régler leurs problèmes de couple. Le mari a longtemps été persuadé que la « méthode Blondel » lèverait les blocages sexuels de son épouse et il reprochait à celle-ci de ne pas s’y plier.

En fait, le pervers ravivait chez la pauvre femme le traumatisme d’un viol pendant l’enfance. Il l’a mise dans une telle détresse qu’elle a absorbé des médicaments pour provoquer un avortement. « J’ai eu une hémorragie interne, je n’osais me confier à personne. Si une amie sage-femme ne m’avait pas conduit aux urgences, je serais morte », raconte-t-elle.

Elle s’est séparée de son mari au moment des faits. Vingt ans après, cet ex-mari a compris à quel point Blondel avait dupé son entourage et à quel point il était dangereux. « Il était prêt à témoigner au procès », raconte la victime.

Le « gourou » et sa « communauté »

Stupéfiant également le témoignage de Delphine (nom d’emprunt). Cette femme, voisine de Blondel, a raconté comment elle s’est trouvée sous son emprise de l’âge de 17 ans à 38 ans. Il n’avait donc pas peur d’abuser des mineures. Pendant l’enquête, elle restait sous l’emprise de celui qu’elle qualifie aujourd’hui de « gourou ». Elle « synchronisait » son témoignage selon les consignes du pseudo-psy. Elle essayait d’influencer d’autres victimes pour qu’elles « acceptent » les dérapages du pervers. « On était comme une secte. J’ai longtemps pensé que M. Blondel me faisait du bien mais je suis consciente aujourd’hui que ce qu’il me faisait était interdit. »

Il y avait donc une « communauté » autour de Blondel qui croyait en ses capacités psychologiques, semble-t-il bien réelles. Cet entourage le protégeait comme en attestent les menaces anonymes reçues par Lucie pour qu’elle renonce à sa plainte. Cette communauté était-elle consciente de l’entreprise criminelle du « psy de la bulle » ? Peut-être pas au début mais l’accumulation des malaises, au fil des ans, auraient dû rendre tous ses soutiens plus vigilants.

Il a fallu attendre l’appel des assises pour isoler le violeur. Contrairement à la première instance, personne n’est venu le soutenir à l’audience. Alors que Lucie, isolée en première instance, a pu ressortir du palais de Justice entourée d’autres femmes soulagées d’avoir pu nommer ce qu’elles avaient longtemps tu.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.