Lola Ghidinelli, Rose-Marie Fernandez et Kristof Langromm réalisent le conte Parol Rwa Karo d'bwa.

[Kiltir] « Les arbres ont quelque chose à nous dire »

CONTE EN PLEINE NATURE

Debout, sur un tapis de fleurs blanches, la comédienne s’adresse au change écorce. Le décor naturel et les fleurs dans ses cheveux lui donnent un air de fée. C’est la cinquième représentation du conte portée par la jeune association Tilamp ala gayar. La cinquième fois que les arbres de la forêt, représentés par le Rwa karo d’bwa prendront la parole face au public, accompagnés du son du rouler de l’écrivain et musicien, Kristof Langromm. On est le samedi 3 septembre, au détour d’un sentier au bout du terrain de l’Entre Tous, sur les hauteurs de l’Entre-Deux. En contre-bas, derrière les arbres, on aperçoit la côte. La conteuse, Lola Ghidinelli et la metteuse en scène Rose-Marie Fernandez racontent la genèse de la création de ce conte poétique, mues par l’élan de réconcilier l’être humain et le végétal.

Votre spectacle a la particularité de se dérouler dans la nature, pourquoi avoir choisi ce cadre pour les représentations ?

Lola Ghidinelli : A travers le conte du Rwa karo d’bwa, il y a cette envie d’emmener les gens dans la forêt. L’orsqu’ils arrivent, ils sont accueillis et, tous ensemble, ils vont partir à la rencontre de la forêt donc il y a cette reliance qui s’installe déjà avant qu’ils arrivent sur le lieu du spectacle. Ce moment leur permet de se connecter à l’environnement et de se connecter ensemble.

Souvent, on a des retours assez forts. Par exemple, à Notre Dame de la Paix, où le sentier est un peu sinueux, parfois un peu long aussi, les gens s’entraident sur le chemin, coopèrent. C’est un premier espace où ils se dévêtissent de ces habits du monde, se déconnectent de leurs tracas. Du coup, quand ils arrivent sur le lieu du spectacle, ils sont super réceptifs, ils ont nettoyé tout ça, ils ont franchi le sas.

Rose-Marie Fernandez : C’est une rencontre humaine qui nous amène à être dans un état de conscience qui est différent du quotidien. La plupart des gens qui vivent en ville, ressentent quelque chose de très fort quand ils vont dans la forêt, parce que le contraste est très marqué. Ca peut s’expliquer tout à fait physiologiquement. Quand tu entres dans une forêt, il y a un relachement et un état de confiance. La nature apporte ça. C’est dans l’invisible. Ce n’est pas seulement un spectacle.

Lola le dit à la fin du conte en parlant de ceux « qui ont commencé le chemin ». Le chemin d’aller en dedans. Quand on va dans la foret, c’est ce qu’il se passe. On est entouré de cet amour de la terre et on a le coeur ouvert. On chemine vers l’intérieur pour s’ouvrir au monde, mais pas au monde fabriqué par l’humain, le monde qui est là, où on comprend qu’on n’a rien besoin d’autre.

« C’est magique »

Rose-Marie Fernandez

Lola : Ce qu’on veut, c’est ouvrir. Offrir des fenêtres où on peut adopter une autre manière d’être au monde.

Rose-Marie : On est tous reliés.

Lola : C’est le propos de ces deux contes qui m’ont particulièrement touchés dans ce recueil : c’est des contes sur cette illusion de la séparation, ces identités qu’on s’est créées, tout ce que notre esprit s’est créé qui nous sépare du vivant, de notre essence.

Une réconciliation entre le monde humain et le monde végétal

Quel rapport vous tissez avec les arbres du conte ? On sent en regardant le spectacle qu’il se passe quelque chose de fort…

Rose-Marie : A travers ces arbres et ces lieux où on arrive, c’est magique. Avant que Lola ait un contact avec le public, il y a un petit bout de chemin où elle est vraiment avec la terre, avec l’arbre et le premier chant qu’elle fait à l’arbre, c’est un remerciement. On va donner la parole à ces arbres, on est là pour eux, c’est pas pour faire joli, il y a un sens à cette entrée. Par cette entrée, on se positionne et après on prend la parole, mais bien sur qu’on n’est pas tout seul.

Lola Ghidinelli, Rose-Marie Fernandez et Kristof Langromm réalisent le conte Parol Rwa Karo d'bwa.
Lola Ghidinelli, Rose-Marie Fernandez et Kristof Langromm réalisent le conte Parol Rwa Karo d’bwa.

Lola : C’est pas du blabla en fait cette histoire que je raconte que les arbres parlent. Je suis pas dans la forêt à faire semblant. On croit vraiment que les arbres ont quelque chose à nous dire et on incarne ça. Nous pensons profondément avoir quelque chose à accomplir de l’ordre d’une réconciliation entre le monde humain et le monde végétal. On est porté par cet élan là et quand on arrive on pose cette intention de remerciement de la forêt, d’humilité aussi par rapport à notre place.

« On a tous ce lien avec la nature en nous »

Vous pensez que dans la société actuelle, il est dommageable que le monde végétal, les arbres n’ont pas leur voix ?

Rose-Marie : C’est vital, c’est nécessaire pour l’histoire de l’humanité. Quand on entend dire « il faut qu’on se réveille, la planète est en danger », mais non, la planète n’est pas en danger ! Ca fait des millénaires qu’elle n’a pas besoin de nous. L’extinction actuelle, c’est l’humanité qui est en train de se foutre en l’air, c’est du suicide. Le changement climatique et tout ça, c’est pas la planète, c’est l’être humain qui est en voie de disparition tout simplement. Ce qui nous permet de respirer, ce sont les arbres! Ce sont nos poumons, sans eux on ne vit pas.

On a tous ce lien avec la nature en nous, on a juste à le réveiller. C’est pour ça que les gens sont touchés.

Tisser du lien par le biais de l’art de la parole

Lola : On a eu des retours du public assez forts. Un monsieur notamment est venu nous voir deux ou trois fois sur les quatre représentations. Quand il entend ce spectacle, les mots, ça réveille des voix en lui, des mémoires anciennes. Il ne sait pas forcément d’où ça vient, mais il est traversé par tout ça. On ouvre un canal et il y a des choses qui se mettent à circuler.

Comment est né ce spectacle ?

Lola : On m’a offert un livre qui s’appelle « Contes des sages gardiens de la terre ». L’auteur, Patrick Fischmann, a récolté des contes traditionnels du monde entier en rapport avec les éléments et la terre. A ce moment, j’étais en transition, j’étais technicienne lumière, je commençais une formation pour être musicienne à l’EMA, l’école des musiques actuelles, à Saint-Leu. J’avais déjà eu un conte adapté en créole à partir d’un conte philosophique de Tolstoï sur le rapport de l’homme à la possession de la terre. Pour le partager, on avait monté une association, Tilamp ala gayar, l’année du covid. On avait envie de fédérer plein de choses. L’idée, c’était vraiment d’englober tout ce qui est prendre soin du vivant : tisser du lien par le biais de l’art de la parole, du mouvement, de la musique, le respect de la terre.

« J’ai vu le potentiel direct »

Suite à la découverte du livre de Fischmann, j’ai commencé l’écriture d’une histoire qui mêlait deux de ses contes. Puis, j’ai commencé à faire des lectures dans la forêt, à la Bergerie, à Notre Dame de la Paix. C’était en octobre 2021. Avec Flo qui tient l’auberge, qui est aussi artiste et la présidente de l’asso, on a organisé pour la première fois un stage contes et chants sur un week-end. C’est une toute petite jauge parce qu’il y a 9 places. Les participantes venaient du samedi matin au dimanche soir. Je racontais deux contes, on faisait des circle songs, des activités dans la nature, des méditations dans cette magnifique forêt là haut. C’est la première fois que j’ai mis en forme ce conte qui jusque là n’avait pas trop de fin. Il ressemblait plus à un récit. C’est là que j’ai rencontré Rose.

La rencontre était la clé finalement ?

Rose-Marie : Quand j’ai vu Lola la première fois, elle a dit ce texte mais sur un terrain plat, sans arbres. Tout de suite j’ai vu sa présence. Elle osait pas se l’avouer mais elle aime jouer, c’est une comédienne. Elle avait besoin de cette rencontre pour se sentir légitime dans le jeu, j’ai vu le potentiel direct.

Lola : Peu de temps avant, je m’étais dit que j’avais vraiment besoin d’un percussionniste pour ce conte et j’ai rencontré Kristof qui est comédien, écrivain et qui fait beaucoup de maloya. Avec lui, on a fait un gros travail sur le texte. Quand je l’ai écrit c’était vraiment très maillé. Je suis arrivée à la Réunion il y a dix ans. Tout de suite j’ai baigné dans la culture créole donc ma langue i connaissait plus trop quel chemin i fallait prendre. Donc je me suis mis a causer un espèce kozé qui était ni français ni créole. On a fait un gros travail pour bien différencier le Français et le créole. Ca m’a beaucoup aidé à être plus juste dans ma parole.

Casser la frontière

Rose-Marie : Dès la première répétition à trois dans la forêt de Mare Longue, on a senti qu’il se passait quelque chose, le puzzle s’est assemblé. Moi je me suis rendue compte qu’il y avait besoin de mettre en scène. Auparavant, j’ai fait de l’assistanat dans des gros théâtres à Paris, j’ai une formation de comédienne mais je suis intéressée par la mise en scène. Je suis aussi trapéziste, j’ai fait de la réalisation, des courts métrage, j’ai eu beaucoup d’expériences très différentes.

C’est un conte sur la forêt mais aussi sur la parole

Lola Ghidinelli

Merci pour cette plongée dans votre univers, vous avez quelque chose à ajouter ?

Lola : Peut-être un mot sur le partage à la fin du spectacle. L’aventure continue avec le repas partage et puis il y a un moment d’échanges, chacun est invité à partager un texte ou autre chose. Il y a toujours quelque chose qui me dérange dans le spectacle vivant, c’est ce rapport de hiérarchie, où les artistes sont sur la scène, le public est assis, passif et souvent ce que les comédiens font parait inaccessible. On a vraiment cette envie là de casser cette frontière, d’être ensemble.

Il y a toujours des choses très touchantes qui sortent. Parce que il y a quelque chose qui naît. C’est un conte sur la foret mais c’est aussi un conte sur la parole. Qui invite chacun d’entre nous à s’éveiller à ce que nous on est capable de créer par la parole, de notre pouvoir de création avec le verbe. Et cet espace, c’est la mise en pratique. Alon met ansanm.

Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.