[Bande dessinée] « Un art de francs-tireurs »

Fort d’une quarantaine d’albums publiés, Appollo milite pour une bande dessinée endémique, qui se joue des représentations occidentales y préférant la post-colonisation comme dans son album à paraitre, et l’histoire de La Réunion. 

« Puisque tu ne sais rien faire, écris moi des histoires », avait suggéré Mad. Voilà comment, du défi d’un camarade de lycée, on se retrouve scénariste de bande dessinée, auteur de plus de quarante ouvrages, sans compter les multiples publications dans des périodiques. Olivier Appollodorus, dit Appollo, s’est lancé dans la BD comme d’autres se lancent dans le rock. A 15 ans, avec une bande de copains. 

Regard décidé, allure nonchalante, Appollo aurait tout aussi bien pu s’orienter vers la musique et les riffs de guitare. Il a choisi le verbe. C’est d’ailleurs au festival Rock et BD qu’il rencontre les Li-An, Téhem, Serge  Huo Chao Si… avec qui il crée le Cri du Margouillat en 1986.

Neuvième art

Dès le début, en 1986, Appollo signe avec Renaud Madère chez une toute jeune maison d’édition, Vent d’Ouest. Comme ses camarades, il poursuit une carrière professionnelle qui permet à notre île de rayonner loin au delà de nos frontières. « Hormis les musiciens, quels artistes sont distribués aux Etats-Unis ? », illustre-t-il sans amertume. « La BD élevée au rang d’art ? C’est le neuvième, après la télé », rigole le Dionysien. 

Comme les pirates qu’il évoque dans l’édito du dernier numéro du Marg, l’auteur de BD est jaloux de sa liberté. C’est même pour cette raison qu’Appollo reste enseignant, prof de Français. « Sans ce métier, je serais obligé de faire plus d’alimentaire », souligne celui à qui on a déjà proposé des postes dans les revues spécialisées. C’est pour la même raison qu’il ne cède pas à la mode de la bande dessinée de reportage. « Je ne veux pas être contraint par la réalité », dit-il, soucieux pourtant d’apporter un cadre historique et géographique réaliste à ses histoires. 

« T’Zée, une tragédie africaine, mon dernier ouvrage à sortir dans quelques jours, dessiné par Brüno, est une transcription de Phèdre dans le Zaïre de Mobutu. Même si j’ai vécu cinq ans en RDC, je ne me sens pas légitime à parler des Congolais. C’est pourquoi la narration se déroule dans un pays imaginaire », explique Appollo.  Un souci du détail qui fait la force de La Grippe coloniale, un succès qui dépasse de loin les rives de l’océan Indien. « C’est important de faire autre chose que du manga ou du western. C’est important de parler de La Réunion, sans pour autant multiplier les références inconnues à l’extérieur », estime l’auteur. C’est l’un de ses chevaux de bataille: raconter des histoires avec nos références, notre vécu, ça n’empêche pas d’être compris partout.

Pas de Noirs dans la BD

Par ailleurs, Appollo s’attache aussi à raconter l’histoire de notre île. Et à déjouer les codes. « Il y a très peu de Noirs représentés dans la BD », remarque Appollo, évoquant « une forme d’aliénation ». « Je ne suis pas tellement client des récits historiques, mais quand j’ai débuté, il n’y avait que très peu d’images de La Réunion d’autrefois. Notre histoire est tellement mal connue. Et si ce n’est pas nous, personne ne le fera à notre place », souligne le scénariste. Ainsi, avec Téhem, il prépare un ouvrage sur l’abolition de l’esclavage. « Aux archives départementales, j’ai été ému à la lecture de lettres de Baudelaire, et plus encore à lire les rapports des chasseurs de marrons. C’était d’une ampleur inouïe, une succession de morts par milliers à donner le vertige, une véritable guerre », décrit-il.

S’il regrette le manque de reconnaissance dont soufre la bande dessinée – « les ouvrages ne sont pas réédités, la BDphilie n’existe pas… » – Appollo apprécie la liberté que cela permet. « La bande dessinée est un art « mauvais genre », un art de francs-tireurs. Ça permet d’écrire décomplexé », estime-t-il. Sans complexe, il écrit – ou réécrit – l’histoire de La Réunion.

Patricia de Bollivier et Philippe Nanpon

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.