Exclusif : La Chambre des comptes préconise que l’aéroport de Pierrefonds renonce aux vols commerciaux

Encore confidentiel, le dernier rapport de la Chambre régionale des comptes sur l’aéroport de Pierrefonds douche les espoirs du Sud de relancer l’activité des vols commerciaux. L’aéroport doit survivre… mais il devrait se contenter d’activités annexes : vols non commerciaux, loisirs, armée, santé, formation… et aussi en finir avec une gestion que les juges ont qualifiée d’ « insincère ». Le prix à payer : diviser l’effectif par deux, voire trois.

Le Syndicat mixte de l’aéroport de Pierrefonds (SMP) a obtenu sans surprise, ce mardi 30 septembre, le prolongement de sa période d’observation de six mois dans le cadre du contrôle judiciaire du Syndicat mixte déclenché par le procureur de Saint-Pierre le 26 février dernier. Dans le même temps, la Chambre régionale des comptes vient de transmettre son rapport définitif sur l’état de faillite de cet équipement. Il est sévère pour cette structure financée par des fonds publics qui s’est retrouvé en cessation de paiement, incapable de payer les salaires à la fin de l’année 2024. 

La seule certitude, c’est que l’aéroport du Sud ne sera pas liquidé, ses biens publics étant insaisissables.

Parallèle Sud a pu consulter ce rapport avant qu’il soit discuté au sein des instances dirigeantes (Casud, Civis, la Région, le Département et la commune de Saint-Leu). Les acteurs concernés pourront encore y ajouter leurs remarques avant sa publication mais les responsables du SMP ont déjà été entendus par la chambre. Le document est donc définitif.

Des recettes fictives pour masquer le déficit

Il dresse le portrait sans fard d’un fiasco financier et en diagnostique méthodiquement les causes : certaines relèvent de fautes de gestion flagrantes, d’autres sont hélas structurelles du fait d’un modèle économique irréaliste. 

Un quart du rapport est consacré aux « comptes insincères ». « Les causes du déficit de 5,6 M€ ont été trop longtemps estompées, reprochent les juges, d’une part, par les aides financières consécutives à la crise du Covid et, d’autre part, par une tenue des comptes très imprudente et, donc insincère, faisant notamment apparaître une recette incertaine et même contestée, inscrite en produit à recevoir au titre de la taxe aéroport, pour un montant s’élevant fin 2023 à plus de 4,7 M€. »

En 2022, l’activité était déjà en veille dans le hall de l’aéroport. © Franck Cellier

La CRC a constaté que 8 acteurs privés occupent les terrains de l’aéroport sans contrat. « Ces occupations se font donc sans titre, sous des conditions financières non renégociées », déplore le rapport qui signale un « manque à gagner » certain sans pouvoir l’évaluer d’où sa recommandation n°1 : « Réexaminer, dès à présent, toutes les autorisations d’occupation temporaire du domaine public. »

Au-delà de l’inscription des taxes d’aéroport incertaines, le résultat comptable du SMP était « artificiellement amélioré » par de multiples autres erreurs comptables : défaut de suivi des immobilisations et amortissements, et autres erreurs d’imputation. Tout cela a mené à une « présentation trompeuse du résultat comptable ».

Régulariser les comptes, les occupations du domaine public et les subventions exceptionnelles

« Ces opérations répétées, peu respectueuses d’une gestion prudente et responsable d’une entité publique, ont contribué à reporter d’année en année un déséquilibre comptable qui aurait dû progressivement apparaître depuis 2018 », assène la CRC. D’où la recommandation n°2 : « Produire, dès à présent, les comptes du syndicat mixte conformément aux dispositions réglementaires applicables. »

La Chambre des comptes pointe également une gouvernance, sous la présidence d’André Thien-Ah-Koon « marquée par des dissensions et une absence de contrôle ». Pour exemple, les représentants de la Région n’ont été présents qu’à 5 séances du comité syndical sur 21 depuis 2025. Le quorum étant trop difficile à atteindre il a fallu l’abaisser. En novembre 2024 ce sont les représentants de la Civis qui avaient boycotté le comité syndical en signe de soutien au directeur (licencié la même année) et aux personnels.

Dans ces conditions, les juges attirent l’attention sur la régularité des subventions exceptionnellement versées pour payer les salaires. La Région avait refusé de participer. 850 000 € ont été versés par la Civis et la Casud alors qu’1,2 M € avait été votés. Mais le versement de la part du Département a été mis en attente du fait de l’incertitude juridique de telles subventions sans justification claire. D’où la recommandation n°3 : « Motiver dès à présent les appels à subventions exceptionnelles conformément à la loi »

La masse salariale représente 155% du chiffre d’affaires

Une fois déploré l’aveuglement dû à des comptes insincères, et les retards pris pour réagir, il faut bien se pencher sur les réalités économiques et imaginer la suite de cet aéroport. Il ne peut pas fermer ne serait-ce que du fait de son activité. Aussi surprenant que cela puisse paraître Pierrefonds a représenté en 2024, 30 000 mouvements aériens par an quand l’aéroport de Roland-Garros n’en compte que 25 000.

Le problème c’est qu’il s’agit essentiellement de vols dits « d’aviation générale » (aéroclubs, écoles de pilotage et de parachutisme, hélicoptères, évacuations sanitaires, avions privés et vols militaires) et qu’ils ne rapportent que 250 000 € par an. Mais les vols qui rapportent, c’est à dire les vols commerciaux et leurs passagers ont fondu comme glace au soleil depuis la crise Covid. L’aéroport n’a jamais retrouvé son quota de 100 000 passagers par an. Il est tombé à 10 000 en 2024 — ne restaient plus alors que quelques vols d’Air Austral vers Maurice en période de vacances — et à zéro depuis le redressement judiciaire. 

Fréquentation, en nombre de passagers, de l'aéroport de Pierrefonds.
Fréquentation, en nombre de passagers, de l’aéroport de Pierrefonds.

Ce qui nous amène à l’aberrante proportion de la masse salariale représentant 155% du chiffre d’affaires en 2023. Autre chiffre parlant : le coût de la sécurité et de la sûreté — dit « charge régalienne » — a atteint 192 € par passager en 2023 contre 14 € à l’aéroport Roland-Garros. 

S’acharner ou renoncer aux vols commerciaux ?

Dans un tel contexte, le nombre de salariés ne peut que diminuer. Il est déjà passé de 63 à 52 personnes et diminuera à 45 d’ici la fin de l’année (Source : Le Quotidien du 1er octobre). La mauvaise nouvelle, c’est que le rapport de la CRC évalue, quant à lui, « entre 20 et 30 postes » la cible à atteindre. Au jeu des comparaisons, la Chambre cite des aéroports de taille comparable : celui de Poitiers (81 000 passagers) emploie 19 personnes et celui de Béziers, qui accueille 200 000 passagers, une trentaine.

L’aéroport de Pierrefonds a accueilli zéro passagers cette année. © Franck Cellier

En conclusion de son rapport, la Chambre régionale des comptes dépasse le « constat d’échec » et donne son avis sur l’évolution du modèle économique de l’aéroport. Elle répète encore une fois que la fermeture n’est pas envisageable : « l’ensemble de l’écosystème aéronautique du Sud de l’île disparaitrait, avec ses conséquences en termes d’emploi, d’activité économique, d’activité touristique et de développement territorial. Par ailleurs, les activités militaires (l’armée de terre étant implantée à Pierrefonds), la sécurité civile et les transports sanitaires de patients en seraient profondément affectés. »

Il y a deux scénarios, le premier consiste à s’acharner, relancer l’activité commerciale comme le proposent les élus sudistes derrière Patrice Thien Ah Koon qui a repris la présidence du SMP. Ils mettent en avant le dynamisme du Sud et de ses 450 000 habitants et visent un retour à la barre des 100 000 passagers en 2027 en espérant gonfler les recettes avec une activité de fret, notamment pour les productions agricoles.

La CRC, qui a questionné tous les acteurs concernés, n’y croit pas rejoignant en cela les avis, pour le moins sceptiques, de la Région, de l’aéroport Roland-Garros, de la préfecture et de la Direction générale de l’aviation civile. En fait, explique le rapport, même avec 100 000 passagers, Pierrefonds serait loin de l’équilibre que la  la Cour des comptes a fixé en 2023 à 700 000 passagers. Sa piste de 2 100 mètres de long ne peut pas accueillir les longs-courriers. Ce qui la prive de la destination hexagonale.

L’objectif d’un effectif à moins de 20 salariés

« Les compagnies régionales potentiellement intéressées, Air Austral et Air Mauritius, sont dans des situations financières ou techniques suffisamment difficiles pour ne pas sembler constituer des hypothèses assez solides pour un projet de redressement d’activité certain », dit le rapport. Elle ne peuvent pas se permettre de prendre le risque de faibles taux de remplissage. 

Lors de son inauguration, le 19 décembre 1998, l’aéroport de Pierrefonds avait l’ambition de désenclaver le Sud. À cette époque, le réseau routier était plus congestionné qu’aujourd’hui, et le trajet Saint-Pierre-Gillot était une gageure. Mais il y a eu la route de Tamarins en 2009 puis la NRL (même incomplète) en 2023 et la Chambre estime que « l’intérêt de décoller de Saint-Pierre plutôt que de Saint-Denis diminue au fur et à mesure que le réseau routier s’améliore. » 

La CRC juge que « le futur plan de relance du SMP ne repose pas encore sur une étude robuste conduite par des experts du secteur. » Elle prévient que, s’il était retenu, le premier scénario de maintien d’une activité de transport commercial, « impliquerait au minimum une réduction des effectifs pour rentrer au moins dans les moyennes des aéroports de même catégorie. »

Elle prône le « deuxième scénario », celui d’un aéroport qui se recentrerait sur ses activités d’aviation générale. Reportant à une meilleure conjoncture, ou à un cas de crise, l’éventuelle reprise des vols commerciaux. Le rapport cite comme activités à développer : le fret agricole, la formation de pompiers, la recherche, la maintenance légère, la filière drone et même la déconstruction d’aéronefs.

Mais cette option donne un objectif d’effectif de 20 personnes au plus : « La fin de l’activité de transport de passagers signifierait celle du besoin déraisonnable de financement public », lit-on. « Le soutien public du nouveau modèle économique serait beaucoup plus acceptable. Un format d’effectifs de moins de 20 personnes à terme permettrait de réduire la masse salariale d’environ 70 % (soit 2,5 M€ d’économisés par rapport à 2024). »

Un pavé dans la mare.

Franck Cellier

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A propos de l'auteur

Franck Cellier

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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