Autel de Saint Expédit. © Olivier Ceccaldi

La consultation transculturelle réconcilie la culture, la religion et la santé

Ce jeudi 4 septembre, au centre de ressources santé Payanké à Saint-Paul, trois psychologues ont pris la parole sur un sujet encore peu connu : la consultation transculturelle. Quoi, comment, pour et par qui, où ? Lumière sur cette pratique de soin psychothérapeutique innovante.

Quoi de plus éloigné que la religion et les traditions culturelles avec le monde de la santé ? Pourtant, prendre en compte la culture de l’autre pour le·la guérir, ça ne semble pas si farfelu, ça semble même plutôt évident. Ce concept est pratiqué depuis un peu plus d’une trentaine d’années seulement, à La Réunion. Les choses avancent cependant, puisque septembre prochain marquera l’ouverture d’un diplôme universitaire de psychologie clinique interculturelle et transculturelle de l’océan Indien, proposé par l’Université de la Réunion. Ce diplôme sera une nouvelle occasion pour des étudiant·es de découvrir et de se former à cette pratique médicale relativement peu connue, bien qu’ayant fait ses preuves.

Les consultations transculturelles reposent sur un principe innovant dans le milieu médical. Dans le cadre d’un accompagnement psychothérapeutique, le·la psychologue tient en fait compte des éléments culturels du·de la patient·e et de sa famille. En clair, l’idée part d’une intention : ne pas balayer d’un revers de main les croyances de celui ou celle qui va mal, mais plutôt les considérer et les valoriser, pour construire ensemble un accompagnement adapté.

Conférence sur les consultations transculturelles, le 4 septembre 2025

Derrière le mauvais oeil…

Ce jeudi 4 septembre, c’est au centre de ressources de santé “Payanké”, à Saint-Paul, anciennement hôpital psychiatrique, que la conférence sur les consultations transculturelles s’est tenue. Le lieu n’est pas anodin, et fera l’objet d’une remarque de l’une des personnes dans le public. Trois professionnelles de santé, spécialistes de la thématique, sont venues présenter ce concept, ses origines, et son application dans les dispositifs médicaux. Ce sont Margareth Ah Pet, Ségolène Meyssonier et Cécile Jean-Baptiste qui se sont passé le micro lors de cet évènement initié par l’association APE (Association pour la Santé Mentale et le Bien-Être Réunion Océan Indien).

La conférence commence, et l’une des représentantes d’APE entre dans le vif du sujet : « Parfois, on entend dire : il y a le mauvais œil, on m’a jeté un sort, je suis possédé·e, je n’ai pas honoré les ancêtres depuis longtemps, ou encore c’est le karma. Derrière tout ça, il y a des pratiques religieuses, des rituels, donc des prières, des cérémonies, des guérisseurs ou des exorcistes. Cela peut créer une incompréhension entre les soignant·es, les patient·es et les familles. La transculturalité, c’est avant tout la reconnaissance de cette diversité. Comment soigner, comment écouter, comment comprendre quand les repères, les langues et les références sont multiples ? Comment construire des ponts là où parfois il semble y avoir des limites ? »

Un.e jeune sur quatre est en dépression

Le concept est posé, et semble tout autant révolutionnaire que d’une actualité criante. Aujourd’hui, un·e jeune sur quatre est en dépression, et un·e sur trois a déjà eu des pensées suicidaires. Ces résultats, nous les devons à une nouvelle étude publiée le 2 septembre dernier par la Mutualité française, l’Institut Montaigne et l’Institut Terram sur la santé mentale des jeunes, de l’Hexagone aux Outre-mer. De quoi dresser un bilan inquiétant, mais qui rappelle l’urgence de s’intéresser à des solutions thérapeutiques pour répondre à l’un des maux du siècle.

Le pôle réunionnais d’études et de pratique des consultations transculturelles est en avance par rapport à d’autres territoires, notamment parce que la Réunion est une terre de métissage, de cultures et de religions différentes, ce qui en fait un parfait laboratoire pour la pratique de ces consultations. Pour bien comprendre le dispositif transculturel, il faut comprendre l’ethnopsychiatrie, concept qui nous vient de Georges Devereux.

Tout commence lorsque ce psychanalyste et anthropologue travaille aux États-Unis avec le peuple autochtone des Indiens des plaines. Celui-ci est interpellé par la dénomination que donnent les Indiens à leurs troubles. Il entend parler du « tueur de sorcier », ou de la « psychose du scalpeur », et comprend qu’elles désignent ce que lui appelle les maladies mentales. Il y a quelque chose qui se joue dans la prise en charge des Indiens des plaines, et plus largement dans la prise en compte des cultures dans la médecine psychologique. C’est le début de l’ethnopsychiatrie (en grec ancien ethno signifiant «peuples», et psychiatrie : «psyche» , c’est-à-dire esprit, et , iatrós «médecin» ).

Ouvrage de Georges Devereux – Psychothérapie d’un Indien des Plaines

Une consultation atypique

Dans la prise en charge même, ce dispositif se différencie des autres. C’est une consultation de deuxième intention, c’est-à-dire qu’elle est adressée par des soignant·es, éducateur·rices ou psychiatres qui estiment que la problématique culturelle du·de la patient·e est intéressante à explorer. Il ou elle est invité·e à venir avec sa famille, ou une personne qui lui est importante. Un médiateur est présent et pourra traduire les échanges dans la langue maternelle du·de la patient·e, “langue des émotions”, ajoute Cécile Jean-Baptiste, psychiatre et responsable des consultations transculturelles à l’EPSMR (Établissement Public de Santé Mentale de la Réunion). Des co-thérapeutes accompagnent le·la thérapeute principal·e, ce qui donne à la consultation une ambiance de “repas de famille”, ajoute la spécialiste. Généralement positionné·es en rond, autour d’une table, la consultation peut commencer. Le·la clinicien·ne ne se pose alors ni en juge, ni en thérapeute des croyances, mais il·elle se doit d’accepter l’altérité, et même “l’inquiétante étrangeté”.

Religion, traditions et culture sont source d’interprétation des maladies

Margareth Ah Pet tient aussi à rappeler que les croyances des patient·es sont très fortement liées à leur culture propre et donc à leurs traditions, mais aussi à leur religion, puisque, comme le rappelle l’anthropologue Champion, “À La Réunion, la religion est partout. C’est le système de relation que les vivant·es entretiennent avec les mort·es.” Le christianisme populaire, l’hindouisme populaire tamoul, le culte aux ancêtres de Madagascar et d’Afrique, et les nouvelles allégeances pentecôtistes sont les quatre principaux paysages religieux que mentionne Margareth Ah Pet, auxquels elle ajoute l’islam des Indo-musulman·es et des Mahorais·es. Mais de toutes les traditions et cultures présentes à La Réunion, il semble qu’elles se soient accordées sur l’existence d’un monde invisible, habité de dieux, d’esprits et d’âmes, par-delà le monde sensible. La psychologue ajoute que ce culte des ancêtres est l’axe principal de ce langage commun, et qu’il s’exprime aussi au travers de la maladie.

Préparation d'une marche sur le feu à Grand Bois. © Olivier Ceccaldi
Préparation d’une marche sur le feu à Grand Bois. © Olivier Ceccaldi
Autel de Saint Expédit. © Olivier Ceccaldi
Autel de Saint Expédit. © Olivier Ceccaldi
Préparation d'une marche sur le feu à Grand Bois. © Olivier Ceccaldi
Préparation d’une marche sur le feu à Grand Bois. © Olivier Ceccaldi
Eglise de la plaine des Grègues. © Olivier Ceccaldi
Eglise de la plaine des Grègues. © Olivier Ceccaldi
Fidèles lors de la prière du Maghreb qui marque la fin du jeûne quotidien.
Fidèles lors de la prière du Maghreb qui marque la fin du jeûne quotidien.

Un autre prisme d’analyse existe, celui des étiologies traditionnelles, permettant de comprendre comment les différentes sociétés expliquent les maladies, avant ou même en parallèle de la médecine biomédicale moderne. « Si l’on se réfère aux étiologies traditionnelles, on part du principe qu’il y a un désordre entre le monde visible et le monde invisible. Murdock a mis en évidence trois grandes catégories de désordres qui peuvent être attribuées selon lui à des causes mystiques, magico-religieuses ou animistes », explique Ségolène Meyssonier.

Selon les animistes, le mal est causé par les esprits et par les ancêtres. La guérison relève de la réconciliation avec les invisibles. Pour les causalités magico-religieuses, c’est un mal causé par un ennemi, par un sorcier, par quelqu’un qui nous voudrait du mal, de l’ordre du conflit social. Pour guérir, il faut neutraliser l’agresseur. Enfin, pour les causalités mystiques, c’est un mal causé par la transgression, qui est impersonnel et dont on guérit par des purifications et le rétablissement de l’ordre cosmique.

Si l’ensemble de ces éléments forment un tout complexe où se mêlent une diversité de religions, de traditions et de cultures, la consultation transculturelle a justement pour objectif de s’intéresser à la singularité des croyances de chaque patient·e touché·e par une maladie mentale. En clair, l’idée n’est pas de juger ou de convaincre, « de soutenir la complémentarité des approches. C’est important de pouvoir expliquer aux patients qu’il faut continuer les soins à l’hôpital et que au-delà de ça, c’est important de pouvoir aller faire une cérémonie, un rituel, se protéger et c’est ça qu’on vient questionner dans les consultations transculturelles. » ajoute Ségolène Meyssonier .

Sarah Cortier

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A propos de l'auteur

Sarah Cortier

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique et persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits, Sarah a rejoint l'équipe de Parallèle Sud. Elle souhaite participer à ce travail journalistique engagé, et apporter de nouveaux regards sur le monde.

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