Patrick Hoareau, ex-directeur des coopératives agricoles réunionnaises a animé une conférence de Luniversité maron sur l'évolution et les perspectives de l'agriculture réunionnaise.

L’architecte du modèle agricole réunionnais défend sa création

CONFÉRENCE DE PATRICK HOAREAU, EX-DIRECTEUR DE LA FÉDÉRATION RÉUNIONNAISE DES COOPÉRATIVES AGRICOLES

Patrick Hoareau a accompagné pendant plus de 40 ans les « gratteurs de pioche » des années 1960 à devenir des exploitants agricoles… dont certains dépriment aujourd’hui sous les dettes. Il rend aujourd’hui compte de cette évolution.

Il est libre Patrick Hoareau. L’ex-directeur de la Fédération réunionnaise des coopératives agricoles pendant trente ans vient de prendre sa retraite et il a envie de donner son point de vue éclairé sur l’agriculture réunionnaise. Le sujet est brûlant comme le signalent les discours des candidats à l’élection de la Chambre d’agriculture. La CGPER et l’UPNA parlent d’un modèle agricole proche de l’explosion alors que la FDSEA salue le travail des anciens mais reconnaît qu’il faut évoluer.

Or Patrick Hoareau se présente lui-même comme « l’un de ceux qui ont construit le modèle agricole réunionnais ». Il est donc particulièrement bien placé pour expliquer comment on en est arrivé là. Un livre sur « l’évolution de l’agriculture réunionnaise de 1960 à nos jours » est en cours de finalisation. Avant sa sortie, son auteur a donné une série de conférences sous l’égide de Luniversité Maron.

  • Patrick Hoareau, ex-directeur des coopératives agricoles réunionnaises a animé une conférence de Luniversité maron sur l'évolution et les perspectives de l'agriculture réunionnaise.
  • Patrick Hoareau, ex-directeur des coopératives agricoles réunionnaises a animé une conférence de Luniversité maron sur l'évolution et les perspectives de l'agriculture réunionnaise.

Il y a quelques jours à la médiathèque du Tampon, un public nombreux est venu y assister avec en son sein quelques altermondialistes, écologistes et défenseurs du bio. Bref un public critique, loin d’être acquis à la cause du conférencier. Celui-ci leur a expliqué la sous-représentation des agriculteurs parmi les décideurs politiques. « Il n’y a que 2 agriculteurs sur 100 élus au sein du Département et de la Région ». Difficile dans ce rapport de forces, de défendre les intérêts des agriculteurs.

Le bouleversement de l’arrivée de tonnes d’engrais chimiques

L’agriculteur réunionnais exploite de petits terrains (6,7 ha en moyenne) qui sont souvent de « mauvaises terres difficilement mécanisables vendues par les usines dans les années 1980. » Malgré ce handicap, il est plutôt « bon élève » par rapport à ses homologues des autres territoires ultramarins. Il sait mener ses productions mais il doit s’adapter au contexte de la « vie chère » : « Il faut produire pour celui qui est au RSA, pour celui qui est au Smic et pour les classes supérieures qui ont les moyens de se payer des produits de qualité supérieure », résume Patrick Hoareau.

Dans le temps, les planteurs faisaient pousser du maïs, des haricots ou des légumineuses entre les cannes à sucre. Ils possédaient un ou deux bœufs moka qui leur fournissaient de l’engrais naturel. Les années 1990 sont marquées par le « bouleversement » de l’entrée de « tonnes d’engrais chimiques ». « Et aujourd’hui, La Réunion est le département qui consomme le plus de pesticides », reconnaît l’ancien cadre.

« Mais on ne peut pas imposer un retrait de molécule aujourd’hui, sans proposer une alternative, poursuit-il. Si l’agriculteur n’a plus accès au désherbant alors qu’il est de plus en plus difficile de trouver de la main d’oeuvre, eh bien les mauvaises herbes, les fatak, envahissent les champs et on constate que la productivité diminue. Sur les 2 300 planteurs de cannes, il y en a déjà 990 dont le rendement est inférieur à 60 t/ha. Et quoi ensuite ? Il tombe à 40 t/ha, puis à 20 t/ha. À ce moment-là, il ne lui reste plus qu’à demander le déclassement de son terrain ».

C’est ainsi que La Réunion a perdu 6 000 ha de terres agricoles en dix ans et 1 million de tonnes de cannes… Et elle devrait méditer sur le cas d’Hawaï qui était le leader mondial de la canne il y a quelques décennies avec des rendements de 240 t/ha et a tout abandonné au profit des bétonneurs américains.

Agriculture canne à sucre pesticide engrais
Les années 1990 sont marquées par le « bouleversement » de l’entrée de « tonnes d’engrais chimiques ».

« Le bio est en train de mourir »

Pour Patrick Hoareau, l’île bio relève du rêve. 600 agriculteurs, représentant 2 400 ha se sont inscrits dans cette filière. Mais « le bio est en train de mourir », lance-t-il en citant la liquidation de la coopérative Uprobio et le refus de l’administrateur de verser quelque 200 000 € d’aides dues aux producteurs. Ceux-ci sont contraints de réorienter leurs fruits et légumes bio sur le marché conventionnel avec les pertes financières que cela suppose. « Tout est importé sur les rayons des magasins bio, Naturalia, J’aime la vie ou la Vie claire », constate le conférencier.

Dans la filière volaille, la guerre d’Evollys entre les établissements Duchemann et l’Urcoopa relève d’une « stratégie suicidaire », selon l’ex-directeur de la FRCA qui dénonce « un problème générationnel ». « On veut être calife à la place du calife mais tout part en live, on risque le démantèlement complet », prévient-il.

Hormis les réussites des productions de fruits et légumes sous serre, Patrick Hoareau relève que tous les bilans sont en baisse. « Ce n’est pas aussi marqué qu’en métropole, mais ici aussi, depuis deux ou trois ans, on commence à parler des suicides dans la profession. Allez au tribunal de commerce et vous verrez qu’il y a beaucoup d’agriculteurs endettés ».

Agriculture canne à sucre pesticide engrais
Avec 200 millions d’euros d’aides nationales et européenne par an — dont la moitié pour la canne à sucre — l’agriculture réunionnaise reste fragile et dépendante.

200 millions d’euros d’aides par an

L’homme est inquiet alors qu’il décrit des décennies de progrès. Il évoque l’exemple du propriétaire du seul verrat d’un bourg des hauts qui pouvait devenir « le pape de son village » grâce à la structuration de la filière porcine. « Il s’achetait un costume pour aller à l’assemblée générale de la coopérative. Les gratteurs de pioche des années 1960 sont devenus propriétaires exploitants, ça a été un choc pour eux. Ils étaient traumatisés, ils étaient sous le contrôle du technicien qui gardait leur carnet de chèques. »

En tant qu’architecte de cette structuration, il n’en dira que du bien. Pas question pour lui de remettre en cause le modèle local où chaque adhérent doit consacrer 100% de sa production à sa coopérative. « C’est un choix, il faut respecter les règles », insiste-t-il. De fait, pour les fruits et légumes, 850 adhérents produisent 32 000 tonnes pour les Coop, les autres envoient 25 000 tonnes au marché de gros et 30 000 tonnes hors circuits organisés chez les bazardiers (chiffres de 2014).

« Nous avons eu une structuration des filières agricoles exemplaires, résume-t-il. Les valeurs ajoutées générées par les abattoirs ou les usines peuvent revenir à l’agriculteur. On a toujours su s’adapter pour répondre à l’urgence sociale, traverser la crise du Covid ou satisfaire des consommateurs de plus en plus exigeants. »

Mais avec 200 millions d’euros d’aides nationales et européenne par an — dont la moitié pour la canne à sucre — l’agriculture réunionnaise reste fragile et dépendante. « Les politiques doivent garder en tête que si l’exploitant n’arrive pas à se dégager un revenu décent, s’il ne peut pas vivre de sa parcelle, il ne pourra pas la transmettre. Et ce sera la fin », conclut-il.

Franck Cellier

Le modèle agricole réunionnais

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A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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