Le livre et l’écran : amis ou ennemis ?

LIVRES A DOMICILE

Depuis quelques années, les auteurs publiés à la Réunion sont de plus en plus nombreux.

On pourrait penser ce nombre inversement proportionnel à celui des lecteurs, vu la variété croissante d’ouvrages, mais aussi la concurrence de tous les autres loisirs offerts au public ; à commencer par le temps libre perdu à regarder des âneries sur les réseaux sociaux.

D’ailleurs Internet devient un moyen d’expression plus accessible que l’édition d’un livre.

Et de toute façon, on peut même s’auto-éditer sur Internet, livre papier, ou livre électronique.

Ou même en payant un pseudo-éditeur peu scrupuleux. (J’y reviendrai dans une autre chronique).

Multiplication des prix

Il en résulte une énorme variété de bouquins en tous genres, dont beaucoup ne seront vendus qu’à quelques dizaines d’exemplaires.

Mais malgré cette évolution qui pourrait mener à la disparition du livre papier, les salons du livre n’ont jamais été aussi fréquents dans l’île ; les associations privées comme les organismes officiels multiplient les concours pour attribuer des prix, qui deviennent aussi nombreux que ceux attribués aux bouteilles de vin dans les hypermarchés.

Dans les années 60, un certain nombre d’écrivains s’inquiétaient déjà de la montée en puissance du premier écran : la télévision. Qualifiée par certains penseurs de « culture de ceux qui n’en ont pas ». Georges Duhamel disait en substance : « L’homme s’impose le texte, alors que l’écran s’impose à lui et le rend intellectuellement paresseux ». Et à cette époque, il n’y avait qu’une seule chaîne, et bien sûr pas d’Internet !

Bonne culture livresque

En fait, cela fait soixante ans qu’on dit que le livre va mourir, et il est toujours là. Mais quand on reprend l’histoire de cette évolution médiatique, il apparaît que si le livre n’a pas été complètement étouffé, c’est aussi grâce aux émissions littéraires mises en place à la télévision.

On peut alors se demander si, à la Réunion, les médias ayant la plus forte audience remplissent ce rôle culturel vis à vis de la littérature.

Au cours des années 70-80, on trouvait dans les trois quotidiens locaux des rubriques littéraires fréquentes ; le seul reproche à leur faire était peut-être un certain manque d’objectivité de leurs critiques. Mais ceux-ci possédaient une bonne culture livresque, et lisaient les textes avant d’en parler.

Les radios et télévisions locales ont réagi beaucoup moins vite ; même aujourd’hui, les interviews durent la plupart du temps entre trente secondes et deux minutes, sauf bien sûr pour les auteurs ou autrices déjà « bankables », pour parler comme les économistes.

La culture est secondaire

Car c’est d’abord une question d’audience et de profit pour les médias. La culture n’est que secondaire dans leur approche.

On va me dire qu’il y a au moins une émission d’une heure par semaine consacrée au livre local sur les chaines de télé, et entre quelques lignes et une page, de manière très irrégulière, dans les journaux. Encore faudrait-il que les animateurs ou les journalistes adoptent un ton plus vivant, posent des questions originales, vu l’ennui qui se dégage parfois de ces présentations. Bernard Pivot et quelques autres avaient pourtant tracé le chemin pour rendre la lecture attrayante, depuis des décennies. Il faut savoir susciter l’intérêt des gens pour qu’ils éteignent leur télé ou leur ordinateur afin de lire !

Qu’en est-il de la culture sur les radios privées commerciales de l’île ? Pas grand chose ! Les petits médias, radios associatives ou presse alternative, font souvent mieux, car ils sont moins sujets à cette obligation mercantile qui pourrit tout… mais ils ont moins d’audience ! On sait bien que c’est plus facile de vendre du divertissement facile, de la soupe musicale, et de niveler l’intelligence du public vers le bas.

Fast-food de la culture

La plupart des médias sont les fast-food de l’information et de la culture.

A leur décharge, notons qu’ils auraient du mal à lire tous les ouvrages qui paraissent chaque mois dans l’île, en particulier les auto-édités, mais c’est un autre aspect des choses dont nous parlerons plus tard .

En fait, le livre doit-il forcément être défendu, s’il est aussi niais qu’une émission de télé réalité ? Autrement dit, si l’on parle culture, élévation de l’esprit, doit-on défendre une romance mal écrite face à un documentaire sur Arte ?

Un point peut se discuter aussi : la blogueuse d’Instagram, le journaliste, le chroniqueur radio ou télé, peuvent-ils se permettre de se livrer à une vraie critique d’un livre ? Il semble que depuis la disparition de rubriques littéraires régulières (Alain Gili ou J.F. Sam Long dans les années 80, Marine Dusigne, encore un peu présente) le politiquement correct de tous les médias consiste à ignorer totalement les livres qu’ils n’aiment pas. Mais ce silence ne constitue-t-il pas une forme de censure ?

Tant il est vrai que si l’on parle, même en mal, d’un bouquin, il se vendra mieux que s’il demeure inconnu!

À bientôt,

Alain Bled

A propos de l'auteur

Kozé libre

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