Un curé a construit la première maison en dur de Mafate

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Aujourd’hui, jour férié, les journaliste se reposent. Et Parallèle Sud ouvre ses archives pour que ses lecteurs découvrent ou redécouvrent quelques sujets sympas. Celui-ci a été publié une première fois le 28 janvier 2022…

HISTOIRES DE MAFATE, ÉPISODE 1 : LA PREMIÈRE MAISON EN DUR DE ROCHE PLATE

Embarras et malaise. Alors que toute construction est sous haute surveillance dans Mafate, le curé de Roche Plate bâtit la première maison en dur du cirque.

La partie de Roche Plate au pied du rempart du Maïdo vit sous la menace d’un éboulement massif.
L’article lu

Mecque du tourisme à pattes, le cirque de Mafate ne se résume pas pour autant  aux cris joyeux de ses visiteurs, randonneurs du dimanche ou raideurs de l’extrême. A l’écart des gîtes et de l’agitation, il y a des habitants discrets et accrochés à leurs concessions de génération en génération.

Mènent-ils une vie paisible ? Sans doute… Le décor fait en tout cas rêver et attire souvent de nouveaux venus à la recherche du temps perdu, loin de la ville. Mais la pièce qui s’y joue est plus intense qu’on ne l’imagine. Elle se tourne en sourdine. Sous tension…

« Ici, on dépend tous de nos concessions. Le système est de plus en plus compliqué : une concession pour l’habitation, une concession pour le gîte, une concession pour l’agriculture. Si tu ouvres trop ta g… tu risques de ne pas être renouvelés », lâche Jean-René Hoarau, qui tient gîte et boutique à Roche Plate, tout en cultivant ses champs d’oignons et de pistaches.

Roche Plate, sous le rempart du Maïdo. Nous y voilà ! Une épée de Damoclès pèse sur l’îlet. En novembre 2020, l’incendie, tout là-haut, a mis à nu la roche et fragilisé le rempart. Les ingénieurs du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) y ont repéré des failles s’élargissant rapidement.

Doutes sur la solidité du rempart

Face au risque d’éboulement massif, l’administration a fermé, par précaution, l’école, le dispensaire de santé ainsi que le gîte de Juliette Thomas. Tous ces bâtiments étant situés dans le couloir d’avalanche. « Si on n’avait pas protesté, on aurait tous été expulsés », précise Jean-René Hoarau qui doute aujourd’hui de la réalité du danger : « un gars de l’ONF m’a dit que c’était stabilisé ». Son avis n’est pas partagé par tous. Restent dans la mémoire collective des souvenirs de désastres et d’évacuations d’îlets rayés par les cyclones.

L’ambiance à Roche Plate est à l’image de l’ombre portée de cette falaise de menaces : lourde. L’avenir est incertain. On manque d’eau et de touristes. La moitié des enfants de l’école a disparu. Il n’y a plus qu’une classe au lieu de deux. Et on vient d’apprendre qu’une loi française interdit toute construction nouvelle depuis le début de cette année.

Comme un éternel paradoxe, le village continue à se construire, grâce aux permis déposés avant le 1er janvier de cette année. Involontairement, semble-t-il, le curé a jeté un parpaing dans cette mare relativement agitée… Il est en train de bâtir la première maison en dur du cirque de Mafate; ce bâtiment fera office de cure à côté de la petite église en bois sous tôles. 

Première maison en dur de Mafate. La présence de parpaings aurait échappé à la vigilance de l’architecte du Parc national selon le responsable du secteur Ouest.

Du béton, oui. Des matériaux héliportés, évidemment. Les Mafatais vivent bien au vingt-et-unième siècle. Mais une maison montée en pierres artificielles ! Ça non, il n’en avait jamais été question.

« Notre permis a été approuvé par la mairie de Saint-Paul »

Voyant cela, des voix se sont élevées. Il y aurait même eu des courriers. D’autres Mafatais se sont plaints de cette exception quand eux se sont toujours vu refuser l’emploi de moellons pour leurs projets de construction. Mais plus personne ne semble vouloir porter publiquement la contestation parce qu’on ne veut pas dire du mal du curé. Là-haut, on l’aime bien le père Sylvain Labonté qui dit la messe à l’îlet des Orangers et désormais à Roche Plate depuis un quart de siècle.

« Je suis un peu embarrassé par cette histoire, confie le père. Je monte à Roche Plate une ou deux fois par mois, et je voulais avoir un pied à terre plutôt que dormir dans une cabane ou chez l’habitant. On a cru bien faire. Notre permis a été approuvé par la mairie de Saint-Paul avec les avis favorables et conformes de l’ONF et du Parc national. Nous n’avons voulu tromper personne ».

Le permis de construire est incontestable selon l’architecte et le curé.

L’architecte saint-louisien, Georges Chung Poo Lun avait dessiné les plans, bénévolement, comme un acte de foi. Lui aussi confirme que le Plan Local d’Urbanisme autorise les parpaings à Mafate : « Notre permis est valable, il n’y a pas de contestation possible. L’architecte du Parc nous a accompagné bien en amont. Personne ne peut dire qu’il ne savait pas. Le parpaing, c’est quand même plus sûr, plus durable, par rapport au bois qui pourrit à cause de l’humidité et des termites. Regardez la petite église à côté, elle est en piteux état ». Il est d’ailleurs question de la reconstruire.

Le Parc regrette de ne pas avoir vu les parpaings à temps

Les parpaings de la future cure sont certes réglementaires, au regard du PLU. Mais ce seront les derniers… au grand dam des quelques concessionnaires qui veulent faire du cas de l’église de Roche Plate une jurisprudence. « Ce n’était pas très clair dans le projet, commente Janik Payet, le responsable du secteur Ouest du Parc national. Nous nous y serions opposés si ça avait été plus clair. Quand nous nous sommes rendus compte que les murs étaient en dur, il était trop tard. Nous ne pouvions pas demander de détruire la maison. Les parpaings de la cure devront en tout cas être invisibles, recouvert d’un bardage en bois. Nous serons plus vigilants à l’avenir, le parpaing n’est pas à sa place dans Mafate ».

Cette histoire de parpaing tombe d’autant plus mal qu’elle se télescope avec de nouvelles contraintes en matière de construction. La plus lourde concerne la loi Elan qui interdit quasiment, à partir de ce 1er janvier,  toute nouvelle construction dans les hauts ruraux des communes maritimes. Ça concerne toutes les municipalités de La Réunion dont Saint-Paul et La Possession qui se partagent le cirque de Mafate.

Depuis le 1er janvier 2022, la loi Elan interdit l’instruction de tout nouveau permis de construire à Mafate.

Cette loi, à laquelle tous les députés réunionnais s’opposent, est particulièrement pénalisante pour le cirque car elle tolère la densification des constructions mais pas leur extension. Selon ses articles, il faudrait que les bâtiments ne soient pas espacées de plus de 20m. Or ça n’a pas de sens à Mafate où les îlets sont traditionnellement clairsemés avec des espaces de plus de 100m entre les cases.

Résultat : aucun permis de construire ne peut plus être instruit à Mafate depuis le début de l’année. Collectivités, députés, et même les services préfectoraux, plaident pour obtenir des dérogations. Mais la négociation avec la machine étatique française s’annonce longue.

D’après un observateur avisé, dans l’urgence, une petite vingtaine de permis a été déposée avant la date butoir du 31 décembre. Mais, « dans tous les esprits, cette loi Elan, assortie avec le schéma d’aménagement des îlets en cours d’élaboration, est une punition », glisse-t-il. De nouvelles préconisations — obligations ? — concerneront les matériaux utilisés et la taille des habitations. On parle de 81m2 maximum et pas de combles aménagées… Voilà qui met déjà en colère les familles nombreuses. « Pas de permis, tout est interdit. Mais quel avenir auront mes enfants à Mafate si on ne peut plus construire ? », s’interroge Judex Thomas, gîteur de Roche Plate.

Franck Cellier

Première maison à Mafate

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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