LIBRE EXPRESSION
Depuis plusieurs mois, certains articles de presse dénoncent des faits de maltraitance institutionnelle que la modernisation de nos sociétés n’a nullement su atténuer. Même si ces procédés sont enracinés dans les habitudes politiques réunionnaises les plus exécrables, ce qui me vaut l’observation ironique selon laquelle je ne fais qu’enfoncer des portes ouvertes. Il n’empêche !
Semaine après semaine, reviennent sans désemparer les affaires du licenciement abrupt, pour l’heure dans les établissements scolaires, de dizaines d’employés compétents et chevronnés, embauchés au cours des mandatures précédentes. Ils sont brutalement remplacés par des contractuels sans aucune expérience, ni diplôme, ni capacité, dont le recrutement ne paraît relever que d’un clientélisme politique ou familial. Difficile pour les victimes, souvent isolées, de se réclamer de leur savoir-faire et de la satisfaction unanime qu’il entraîne. C’est le formalisme et le juridisme qui dominent … CDD égale contrat à durée déterminée. Et vlan ! Même au-delà de toutes les échéances légales, jamais respectées…
Compétences manifestement incontournables, utiles à la collectivité, saluées par tous, handicaps physiques graves reconnus, situation de vie précaire, contexte familial fragile, voire en grand danger… rien n’existe devant la bureaucratie, en la circonstance clientéliste,… rien ne résiste à son aveuglement, et pour être plus précis, rien ne résiste aux intérêts électoraux, garantie de la perpétuation de ces pouvoirs que, depuis toujours, on n’a jamais vu reculer devant l’injustice la plus déshonorante.
D’où les appels au secours et les dénonciations qui se répètent, dans le mutisme opiniâtre du système judiciaire, qui ne surprend que les citoyens non informés, dans la mesure où, trop souvent, les connivences sont structurellement établies et soigneusement sauvegardées. Bien au-delà des clivages politiques qui ne sont jamais qu’un habillage occasionnel et capricieux, c’est à ça que servent les réseaux °°° bien connus et les intérêts de classe.
Soyons clairs ! Le fonctionnement global des institutions ne porte en aucune façon la préoccupation du bien-être personnel des citoyens, de leurs difficultés existentielles, d’une résolution concrète de leurs multiples problèmes de vie ou même de ce qui serait à leur égard simplement et humainement moral et équitable. La finalité véritable de ces organisations de l’existence collective, c’est d’assurer sans faille la prépondérance et la reconduction de leurs dirigeants. À perpétuité si c’était possible… Dans leur comportement, il semble exclu de s’embarrasser sans la moindre raison de facteurs humains parfaitement subsidiaires. Les discours convenus, les incantations et les éléments de langage à la mode sont uniformément chargés d’éloigner les risques possibles de contestation et de rébellion. Et de nourrir une sorte de tranquillité sociale dont nul n’ignore pourtant la précarité…
De ce fait, la protection que les sommets des hiérarchies semblent accorder aux individus sert essentiellement les intérêts de leur pouvoir et le maintien de sa structure. On le sait, mais il convient de le répéter encore et encore : l’octroi d’un minimum de sécurité matérielle, d’un revenu considéré comme suffisant, d’une protection sociale anesthésiante, d’un statut, d’une éducation et d’une formation, de la reconnaissance des autres… toutes choses que l’administré perçoit comme profitables, n’ont pour finalité réelle que la perpétuation, espérée sans fin, de la structure du pouvoir en place et de ses détenteurs… Dans une logique qui ne légitimise que la violence d’État —ou plutôt la violence du pouvoir qui s’y dissimule et la maltraitance systémique qui en est trop souvent la conséquence— l’individu fait toujours l’objet d’un sacrifice impitoyable, intérêts, bien-être, équilibre psychologique, santé même s’il le faut, etc. Tout est subordonné à cette pérennisation de la détention du pouvoir établi, avec la mise en œuvre des stratégies supposées l’assurer.
Seule l’alternance des dominants du moment, selon leurs manœuvres et leurs intérêts, détermine la variation des bénéficiaires… Lorsque la « protection » des populations et des individus —et a fortiori leur bien-être— ne coïncide plus avec les intérêts dominants, plus aucune raison n’interdit de les sacrifier aux bénéfices de la classe hégémonique nouvellement installée… « Dégagez ! Vous êtes les agents de nos adversaires ! On ne vous doit rien ! »
Quelles que soient les convictions en jeu, réelles ou feintes, quelles que soient les raisons invoquées, qu’elles soient fondées ou douteuses, de toute manière le pouvoir décide ce qui l’arrange et saura toujours imposer ses arguments pour se justifier. Les gens qui se retrouvent éjectés n’y sont parfois pour pas grand-chose, et à vrai dire, le plus souvent pour rien. Comme toujours, lorsque les puissants au pouvoir ne savent pas résoudre les problèmes humains que créent leurs conflits ou leurs malversations, ils s’ingénient de manière sommaire à en faire oublier l’énoncé, voire à le supprimer. Et ici, « l’énoncé », ce sont les employés de valeur jetés sans ménagement dans les poubelles de l’indifférence institutionnelle.
Il importe également de regarder du côté des bénéficiaires de ces pratiques dégradantes. Dans la circonstance présente, à chaque alternance politique, quels qu’aient pu être les motifs de leur embauche, légitimes ou la plupart du temps grâce à un favoritisme inconvenant, le présent et l’avenir des heureux sélectionnés —alliés par la famille, la conviction partagée ou l’intérêt le plus obscène— sont toujours aux mains des détenteurs du pouvoir qui les instrumentalisent et les manipulent selon leur bon vouloir. Quand bien même on pourrait se demander dans quelle mesure ces embauches suspectes ne reflètent pas une certaine fragilisation qui pourrait bien menacer tôt ou tard en retour les leaders du népotisme institutionnel… Le jeu de la barbichette que tout le monde connaît…
L’aspect le plus désespérant de ces pratiques clientélistes devrait sans doute émerger de leur inéluctable répétition : chaque changement de dirigeants entraîne son lots de victimes, toujours ahuries de leur élimination… À tous les coups, ce sont les sommets des hiérarchies qui gagnent. Et, au suivant… le petit « enfoiré », qui s’imaginait « arrivé » et qui ne sert plus les intérêts supérieurs, peut toujours aller se faire voir.
On ne va pas jouer ici les justiciers, même dans un contexte qui semble mettre en évidence la défaillance des institutions dont l’application de la justice est la mission explicite. D’autant que les pratiques soulignées dans cet article semblent faire partie de l’identité politique réunionnaise la plus tenace quoique la moins honorable. On peut seulement espérer au travers de ces lignes d’alerte, aider autant que possible et avec lucidité quelques unes au moins des personnes en souffrance, celles qui font l’objet de cette maltraitance généralisée qui s’appuie toujours sur des comportements manipulateurs, des principes obscurs et des intérêts prépondérants, guère préoccupés du destin des gens réels, exploités sans aucun ménagement, exceptés lorsqu’il est attendu d’eux voix et services, bien entendu… En affirmant notre solidarité avec les malmenés et les cabossés de la technostructure sourde et aveugle, quels qu’aient été leurs choix partisans, non seulement nous souhaiterions leur apporter un tout petit peu de réconfort sinon de clairvoyance, mais en plus, nous voulons nous écarter de ceux qui, dans les institutions, prétendent par leurs déclarations, leurs discours et leurs textes, incarner les valeurs les plus élevées, alors que dans les faits, ils s’empressent de les trahir à chaque instant.
Arnold Jaccoud
On ne devrait pas dire ça… et pourtant :
Les voyous ne sont pas ceux que les gendarmes embarquent après que la lâcheté
ou les dérobades institutionnelles les aient poussés à bout.
Les vrais délinquants
bien placés dans la société s’en tireront toujours.
Ils n’auront jamais à faire aux forces de l’ordre, puisque ce sont eux qui les commanditent !
Ils n’auront jamais à faire à la justice, puisqu’ils l’ont habituée à légaliser leurs méfaits !
Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.