A l’occasion du festival Opus Pocus, qui a mis en ce mois d’août à l’honneur les trompettes et saxophones, Laurent Bouvier nous a retracé au fil d’une conférence, l’histoire des orchestres en cuivre à La Réunion. L’ancien journaliste nous rappelle notamment comment derrière ces instruments se cache une pratique de la musique vivante, dont l’évolution est permanente jusqu’à aujourd’hui.
La conférence se tient dans l’une des salles de concert du Kabardock, situé dans la ville du Port. En arrivant dans la salle ou se tient une petite scène de spectacle, il nous est permis d’assister à la fin de répétition de quelques musiciens, une ambiance festive règne dans les lieux. Peu à peu, les instruments sont rangés dans leurs étuis, sauf un saxophone qui reste posé sur la table sur laquelle s’appuie le conférencier. Une bonne vingtaine de personnes sont venues écouter l’histoire des orchestres en cuivre à La Réunion, racontée par Laurent Bouvier, ancien journaliste du Quotidien, et joueur de saxophone. La conférence commence par cette première précision quant à cet instrument faisant partie de la famille des bois et non des cuivres, comme il pourrait nous être tenté de croire avec son apparence.
L’histoire qui nous est contée remonte au XIXe siècle, et prend racine dans les innovations techniques issues de la révolution industrielle ayant débuté en Angleterre. L’apparition du piston permettra aux cuivres de couvrir un éventail plus large de notes, tandis que cette période rime également avec l’arrivée des tubas, comptés dans la nouvelle famille des saxhorns, des saxophones, mais aussi de nouvelles innovations pour les flutes et les clarinettes.
En bref, l’histoire se lance avec le perfectionnement technique de ces instruments qui s‘accompagne de l’apparition des fanfares, sur le modèle des associations. A l’époque, ce sont les hommes qui se retrouvent pour jouer, vêtus de leurs uniformes militaires, tandis que les orchestres s’érigent au service de la République. Les photos d’époque qui défilent sur le grand écran nous permettent d’illustrer l’histoire qui nous est racontée.
Au grès des vagues, les cuivres arrivent à La Réunion
A partir des XVII et XVIIIe siècle, les instruments à vent et autres cuivres arrivent à La Réunion par les colons et voyageurs de passage, et occupent une place centrale dans le divertissement des équipages présents sur les bateaux de lignes à destination de l’île. Par ailleurs, la pratique de ces instruments reste savante et s’ancre surtout dans les milieux aisés, en parallèle d’une pratique musicale militaire qui finira par s’essouffler.
C’est à la demande des communes que les fanfares municipales voient le jour à l’image de celles des villes de Saint-Pierre et Bras-Panon. Si le répertoire reste militaire et patriotique, les fanfares accompagnent aussi bien des défilés et commémorations officielles, que des fêtes de clubs sportifs, des concerts d’associations de charité ou d’écoles. Celles-ci représenteront le berceau des carrières musicales de nombreux artistes réunionnais tels que Jules Arlanda père et fils, Loulou Pitou, ou encore René Lacaille.
Imitation, adaptation, une musique qui prend vie
Avec le temps, les orchestres en cuivre intègrent la sphère privée, et dans un contexte d’après guerre, occupent une nouvelle fonction: celle de faire danser. Des instruments bon marchés rejoignent l’orchestre, à l’instar de l’accordéon, le banjo, le « jaz », mais aussi nous raconte Laurent Bouvier, des instruments de “bric et de broc”, rafistolés avec les moyens du bord, pour que la musique triomphe toujours…
Nous avons même le droit d’écouter un des airs de saxophone, adaptés de sa version militaires à sa version pour un usage civil, joué par Laurent Bouvier lui même, pour nous plonger dans l’évolution musicale ayant eu lieu durant ces année d’après guerre. La polka, la mazurka ou le quadrille, dansés par les Réunionais.e.s à cette époque sont désormais accompagnés de ces orchestres.
Les fanfares escortent les marches de mariages avec de nouvelles adaptations à un répertoire d’antan. Parfois, la reprise de certains titres témoigne du long chemin spatio-temporel parcouru par la musique à l’image de la reprise d’un titre de Line Renaud, de 1952, « Les noces de Maria Chapdelaine». Ce titre extrêmement populaire à cette époque accompagnait selon le procédé, l’arrivée de la mariée jusqu’à l’église, puis jusqu’au lieu du repas et du bal.
Sauver les orchestres en cuivre du déclin?
Avec une pointe de déception, Laurent Bouvier entame la période du déclin des orchestres en cuivre, expliqués par l’émergence de l’électrification, des disco-mobiles et se traduisant par leur survie qualifiée de “low cost” dans les fêtes foraines. Un tableau dont l’image est tout de même redorée par l’existence de quelques orchestres répartis sur l’île, à l’image des Cuivres de lʼEst, la fanfare du Ouaki, ou encore de la Triomphale de lʼOuest, dont les représentants sont venus assister à la conférence.
S’en suit alors une discussion sur les enjeux de survie de ces fanfares à La Réunion, dont la question sous-jacente apparait très vite s’ancrer sur la notion de leur accessibilité. En clair, comment les rendre attractives, quel répertoire proposer, notamment aux jeunes Réunionnais.e.s souhaitant les rejoindre? Comment mutualiser les forces de ces fanfares pour créer une dynamique collective de renouveau et faire perdurer leur rôle dans la vie de quartier? Des questions, des pistes d’actions, de potentielles synergies, et un possible accompagnement politique sur la question des orchestres en cuivre, suggéré par Guilène Tacoun, conseillère au pôle “Musique et danse, publics empêchés et relations internationales” de la DAC (Direction de affaires culturelles).
Mais pour l’instant, l’heure est à la fête dans la petite salle du Kabardock. Jusqu’au dimanche 25 août les orchestres en cuivre ont fait danser le public venu assister aux concerts du festival Opus Pocus. Rendez-vous l’année prochaine pour découvrir un nouvel instrument mis sur le devant de la scène…
Sarah Cortier