LIBRE EXREPSSION
Quelque part dans la campagne profonde de Franche-Comté,
« Un bourrin, y faut que ça sorte tous les jours ! On ne peut pas le laisser à l’écurie comme ça ! T’entends, la tête de mule ? Si y fait pas ses cabrioles, y va nous chopper la maladie ! Même si y a un mètre de neige y faut dégager c’te porte non de bleu ! ». Mais la tête de mule ne voulait rien savoir !
– Le tracteur, lui, au moins, y fait pas chier, et quand y a un temps pourri on reste au lit ! Et pis les boucheries chevalines, c’est pas fait pour les cochons ! voilà ce qu’elle te dit, la tête de mule !
-Va falloir que je le fasse moi-même quoi ! Tiens j’va y aller avec la gamine, ça la dégourdira aussi !
Ce qu’il y a de pratique avec les vieilles fermes, c’est que les animaux sont sur place. On traverse le cellier, enfin là où ce qu’on met les bidons de lait, et on est tout de suite dans l’étable. Le Coco, il est à la première place en entrant, après, c’est les vaches avec les veaux. Le Vieux, il avait déjà essayé de tirer sur la porte coulissante, mais j’t’en fous ! 30-40 cm à tout casser ! Avec ce qui a glissé du toit en plus de ce qui est tombé du ciel, ça fait un beau paquet derrière ! Alors, on se faufile et on attaque. Lui avec sa grosse pelle, moi avec une pelle à chenis que sa femme m’a prêtée à condition que je la lui ramène. La vache ! Un mur de neige ! Un tunnel de neige…un igloo…un château ! La poudreuse tassée au fond de mon seau, quand je le retourne, ça fait des petites briques rondes. L’idéal pour fabriquer un donjon et avec des créneaux s’il vous plaît ! Je ferai ça c’t après-midi. Alors, je me mettrai au milieu et je monterai les briques de neige en rond autour de moi. Oui mais après, je ferai comment pour sortir ! Faut que je passe par-dessus le mur, tant que je peux l’enjamber, après je construirai de l’extérieur. Oui mais là, je ferai comment pour rentrer dedans mon château ?… « Oh ! La gamine ! Viens donc m’aider à pousser sur c’te porte ! T’es en train de piquer du nez dans ton seau ma parole ! T’as encore sommeil ? » On y arrive, la voilà assez ouverte pour laisser passer le Coco qui commence à piaffer devant son râtelier. Il le détache, ça me fait peur, je me cache dans un coin. Un comtois de presque une tonne, ça fait un de ces raffut quand ça se déplace ! Le voilà qui s’arrête net avant de passer la porte, surpris lui aussi, par le blanc. Le vieux lui met une claque sur la croupe. Geste affectueux que le Coco lui rend aussi sec en lui balançant sa queue dans la figure. Avec précaution il tâte la margelle du sabot, des fois que ce soit verglacé. Il avait dû déjà se faire avoir à cet endroit, et avec les fers sous la corne on ne se rend pas bien compte. Mais une fois passé l’endroit critique, il a commencé à relever la queue et à secouer la crinière.
Et que je m’ébroue, et que je hennis, et que je tape du paturon dans le tas, et que je m’avance là-dedans jusqu’au poitrail, et vas-y que je me roule les quatre fers en l’air… « On va aller se mettre au chaud, la gamine, pis on le r’gard’ra par la fenêtre, allez viens ! Attends !… C’est quoi ce bruit ? Nom de bleu, ils ont déjà rouvert la nationale ! Bin ils ont dû t’y foutre un sacré paquet de sel ! Ha bin ça va êtes bon pour mes arbres ça, tiens ! »
Ses arbres, c’est des pommiers qu’il a plantés dans les pâtures pour faire son cidre et pour manger des pommes toute l’année. Il a aussi des mirabelliers, pour sa gnôle qui a une sacrée réputation parce qu’on voit débarquer souvent des gens de la ville qui viennent lui en acheter. C’est vrai que quand il débouche une bouteille, ça sent dans toute la pièce ! Un jour, il sera le dernier bouilleur de crû de la région. Il a aussi des ruches, et 18 vaches pas une de plus, c’est déjà assez de boulot comme ça ! Et il fabrique lui-même sa cancoillotte : la meilleure du monde.
Aussi, il connaît l’âme de son canasson jusque dans ses moindres recoins, et il savait bien, va, qu’il ne mettrait pas plus d’un quart d’heure pour nous damer la cour. « Tiens ! Viens donc voir, le mulet ! C’est pas ton tracteur qu’en f’rait autant ! Et sans qu’on lui demande en plus ! Pis au moins ça pue pas ! Non ! Tu m’ôteras pas de l’idée que les gaz qui lui sortent du cul à ton tracteur, c’est du poison sur la terre, du poison, parfaitement du poison ! Écoute bien ça la gamine ! Tu verras quand tu seras grande, tu verras, c’est qui qu’avait raison ! ».
Gigi
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