Le roman Ligne Paradis de Pierre-Louis Rivière prend pour décor la Réunion


« De la même manière que pour mes précédents romans, Ligne Paradis est l’aboutissement d’un long parcours pendant lequel des
éléments, des fragments s’accumulent en désordre dans mon atelier sans destination précise, hors de tout projet.  » Voici les mots de l’auteur de Ligne Paradis, écrit par Pierre-Louis Rivière et publié en juillet 2023.

Analyse du roman

Cette histoire a pour décors les lieux, villages, sites, paysages d’une « Île Montagneuse » en laquelle le lecteur initié reconnaît immédiatement La Réunion. L’intrigue s’inscrit, se circonscrit principalement dans cet espace insulaire circulaire, sous la forme intimiste d’un périple en voiture qu’effectue Gabriel, voyageur de commerce, avec une ancienne amie qu’il vient juste de retrouver et qu’il nous présente par son « ti-nom gâté » : MAD…

L’essentiel du récit, émaillé de termes et d’expressions créoles, consiste en la transcription de bribes chronologiquement discontinues, rapportées par elle-même, de la vie de la passagère. L’auteur effectue un habile entremêlement des statuts des personnages : le personnage Gabriel est au volant mais c’est MAD qui impose l’itinéraire, les pauses, la visite éventuelle de lieux qu’elle a autrefois fréquentés, et, bien que le narrateur soit statutairement la personne qui conduit l’enchaînement des fragments narratifs dans le temps de l’écriture, c’est encore MAD qui oriente la narration dans le temps du récit préalable en s’accaparant la totale maîtrise du déroulement de ce qu’elle choisit de confier à son compagnon de route. « Nous roulions depuis des heures et pourtant j’avais la sensation étrange que nous restions immobiles, bercés par les paysages qui défilaient au dehors pendant que s’écoulait le flot des paroles de MAD… »


Quel est au demeurant le scénario ?

MAD s’est rapprochée de Gabriel au prétexte premier qu’elle est supposément la cible potentielle de la vengeance d’un ex-associé mouillé dans des affaires louches. Mais on comprend vite que l’élément déclencheur de sa réapparition dans le quotidien de Gabriel est le désir obsessionnel de se défouler, de se libérer d’un lourd passé, d’énoncer sa vie avec le dessein d’en faire réaliser un livre par l’écrivant qu’elle imagine qu’est son vieil ami. Et en vérité, sa vie est un roman, dont elle file la trame, dont elle relie entre eux, sous la forme d’un quasi monologue, régulièrement décousu, les rencontres, les drames, les chemins de traverse.

Parmi les chapitres de sa vie erratique, chaotique, émerge la reconstitution des circonstances de son accointance avec Angi, un jeune peintre marginal et tourmenté habitant le quartier Ligne Paradis, dont les œuvres la bouleversent, sans qu’elle sache s’en expliquer la raison. Le lecteur est vite animé par le besoin de savoir comment va évoluer cette liaison très équivoque dont les aléas sont évoqués par bouts intermittents.

Parallèlement à l’évocation des sites traversés par la voiture qui tourne et vire dans les tortuosités de l’île, la plupart du temps sans direction préméditée, MAD dirige un autre véhicule romanesque important, peut-être essentiel : tournant de façon tout autant sinueuse autour d’un pot dont elle se rapproche petit à petit, dont le couvercle s’entrouvre progressivement sur ce qui, consciemment enfoui, remonte d’une mémoire méandreuse, elle confie et révèle des lambeaux de son enfance et de sa jeunesse dont on découvre de manière sporadique les tristes, puis les sombres, puis les abominables épisodes s’inscrivant dans l’intimité sordide d’une sphère familiale dont les protagonistes, un frère adoré, un père haï, une mère impuissante, et MAD elle-même, entretiennent une relation turbide et turpide. « Elle avait quitté pour toujours le domicile familial dès qu’elle avait pu et elle avait laissé derrière elle son frère dévasté… »

Alors la « Ligne Paradis », toponyme bien connu des Réunionnais, devient paradoxalement, une fois qu’a explosé le couvercle du pot, la ligne frontière au-delà de quoi le lecteur effaré se retrouve face à l’enfer de la perversité humaine.

Patryck Froissart

Contribution bénévole

Réflexions sur la genèse du roman et sur l’art
romanesque, par l’auteur


De la même manière que pour mes précédents romans, Ligne Paradis est l’aboutissement d’un long parcours pendant lequel des
éléments, des fragments s’accumulent en désordre dans mon atelier sans destination précise, hors de tout projet. Il me faut laisser le temps agir pour que, histoires, situations, lieux, toutes ces notes éparses commencent à tisser entre elles des liens solides et à
construire la forme du roman. Lorsque je n’ai pas le temps de travailler, les pièces du puzzle restent là, insignifiantes, inutiles. Et puis, il y a cette joie qui surgit au moment où l’on trouve le temps de l’attention nécessaire, quand les pièces s’assemblent brusquement en une forme imprévue et pourtant évidente. Je viens des arts plastiques et pour moi, la forme est ce qui m’importe avant tout.


Cette fois, parmi les pièces du puzzle il y avait ces messages que je recevais de personnes qui me demandaient d’écrire leur vie ou leur expérience. Demandes auxquelles je m’excusais de ne pouvoir répondre, par manque du temps nécessaire et de l’expérience suffisante. Me revenait aussi ce personnage (déjà apparu dans Notes des Derniers Jours), le «démarcheur», le commerçant itinérant qui, sans cesse sur la route, regarde la société se transformer au fil des jours. Je vois bien après des années que ce sont toujours les lieux qui me guident dans mon écriture (Vertige, mon précédent roman se construit autour de la découverte d’une maison abandonnée). Ici, ce sont les routes qui sillonnent le paysage de l’île qui m’ont aidé à construire la narration. Ma passion pour la peinture reste forte et je savais qu’un jour le personnage d’un peintre brillant et silencieux s’inviterait dans un récit. Et c’est ici qu’il a fait son apparition parce qu’il me semblait nécessaire dans la structuration du roman (Rendre hommage à mes anciens élèves était
aussi une note qui trainait sur ma table …)

Et puis, il y avait cette interrogation qui reste en suspens à propos d’une certaine littérature à la mode aujourd’hui, ses stratégies et ses codes. Ces éléments et d’autres encore sont venus imprégner peu à peu l’élaboration du roman et ont fait surgir des questions inédites qui en ont de nouveau modifié la composition. La forme, la composition, sont mes principales préoccupations, ce sont elles qui portent le sens autant que l’histoire racontée. La musique a aussi une grande importance pour moi et je n’imagine pas que l’on puisse demander à un musicien le « sujet » de sa composition. La composition absorbe une grande part de mon temps consacré à l’écriture. C’est pour cette raison que j’ai besoin de longs moments de concentration que je trouve dès que possible lors de résidences à l’étranger. (Pour écrire Ligne Paradis, je devais me rendre en résidence d’écriture en Inde. Projet que j’ai dû abandonner à cause du covid.)

J’avoue que je suis assez mal à l’aise avec les milieux du livre qui aujourd’hui entretiennent une grande confusion entre une littérature utile sans doute, légitime et de qualité parfois, mais souvent « utilitaire » (romans à sujet, autofiction …) et art littéraire, et privilégie désormais l’une (loi du commerce ?) au détriment de l’autre. Bien entendu, un roman raconte une histoire, évoque des sujets, l’art du roman s’approprie luimême sujets de société et éléments autobiographiques, il parle du monde, mais il s’efforce d’apporter la plus grande attention aux manières de l’évoquer, loin des formes appauvries ou standardisées imposées par l’économie capitaliste (Cf. Le fétiche et la plume, La littérature nouveau produit du capitalisme, Hélène Ling & Ines Sol Salas, Ed Rivages, 1922. ]

Biographie de l’auteur


Pierre-Louis Rivière, né en 1951 à Paris, arrive à l’âge de 6 mois à La Réunion, île d’origine de sa famille, puis retourne plus tard à Paris où il entreprend des études d’arts plastiques, fréquente les milieux artistiques et s’initie à l’art dramatique au théâtre de La Colline. De retour dans l’île, il rejoint le groupe Ek Zot, et participe en tant que dessinateur à sa fiévreuse interrogation du mouvement culturel réunionnais. Il entre au Théâtre Vollard en 1981 pour se joindre en tant que comédien et saxophoniste à la création phare de cette époque, Marie Dessembre. Dès lors, il devient membre permanent de la compagnie, ajoutant à son travail de comédien son
expérience de scénographe et concepteur d’affiches. Après avoir abordé la mise en scène par des œuvres classiques, il se lance dans l’écriture dramatique en 1985.

Avec sa trilogie Garson, Carousel, et Émeutes, écrite entre 1987 et 1995, il apporte au Théâtre Vollard un point de vue plus intimiste au travail de la compagnie. Émeutes est la première œuvre à témoigner des « Évènements du Chaudron » de 1991. Sa pièce, créée dans l’île, est sélectionnée en lectures scéniques dans plusieurs festivals : Francophonies de Limoges, Aria en Corse et Théâtre du Rond-Point en 2010. Son travail de scénographe et de musicien se poursuit entre temps au sein du groupe musical Tropicadéro du comédien et compositeur Jean-Luc Trules avec lequel il tourne régulièrement de 1989 à 1995. Parallèlement, il enseigne à l’école des Beaux Arts de La Réunion (ESA Réunion) et à l’École d’architecture (EARL de Montpellier).

Grâce à une bourse du Centre national du livre (CNL), il s’éclipse quelque temps, voyage, se consacre à l’écriture. De retour dans l’île, il se passionne pour la civilisation malgache, assure la scénographie et le commissariat de quelques expositions pour lesquelles il produit plusieurs textes. Il reprend ensuite son enseignement à l’École Supérieure d’Art de La Réunion et poursuit son
activité d’écriture pour Le Margouillat, mensuel satirique.

Bibliographie


ROMANS

Territoires intimes, in Catalogue de l’exposition Latwal rapyésté, Artothèque du
Département, mars 1998 (commissaire d’exposition : PL Rivière)

Ligne Paradis, Éditions Orphie, 2023 (Finaliste Prix Athéna 2025)

Vertige, Éditions Poisson Rouge, 2020. (Prix Flamboyant, 2021)

Todo Mundo, Éditions Orphie, 2016.

Clermance kilo, Voyante extralucide, Éditions Poisson Rouge, 2016.

Le vaste monde, Éditions Orphie, 2014.

Notes des derniers jours, Éditions Orphie, 2003. (Prix de l’Océan Indien, 2000, Prix du
Livre Insulaire, Ouessant, 2003).


NOUVELLES

Double salto arrière, Revue Kanyar, mai 2013.

Novela, Revue Kanyar, novembre 2013.

Game boy, Magasine JAIMES, février 2004.

OGM, Revue Le Margouillat, n°2, 2001.

Carousel, in Carousel, théâtre, Éditions du Théâtre Vollard, 1992.

Clermance kilo, Voyante extralucide, feuilleton. Revue Le Margouillat, n°3 au n°13,
2002-2003.


THÉÂTRE

Noéla et sept pièces de théâtre pour marmailles, Emmanuel Genvrin et Pierre-Louis
Rivière, édition bilingue créole/français, Éditions Orphie, 2019.

Émeutes, Éditions Grand Océan, 1995.

Carousel, Éditions du Théâtre Vollard, 1992.


INÉDITS

Garson, 1987, (création Théâtre Vollard)

Une région obscure, écriture en résidence, Cité Internationale des Arts, Ville de Paris/
ANETH, Paris, 2009 .

La malle madame Débassyns, 1990, (création Théâtre Vollard) / Tyé set bles katorz,
1986, (création Théâtre Vollard) / Le chasseur de tangues, 1985, (création Théâtre
Vollard), in Noéla et sept pièces de théâtre pour marmailles.


TRADUCTION

Nema … Lento Cantabile Semplice, de Koffi Kwahulé. (Traduction français/créole
réunionnais). Production : Théâtre Varia (Bruxelles)/ Théâtre Les Bambous (La Réunion),
2011.


TEXTES CRITIQUES

Le dédale du temps, à propos des 30 ans de l’Artothèque du Département

La patience des images, in Catalogue de l’exposition « Trafic », Artothèque du
Département, avril 2009 (commissaire d’exposition : Laetitia Espanol)

La roche sens dessus dessous, in Catalogue de l’exposition « Nature de pierre », Éric
Pongérard, Maison du Volcan, mars 2001

L’étrangeté familière, in Catalogue de l’exposition « L’étrangeté Familière »,
Artothèque du Département, décembre 2000 (commissaire d’exposition : PL Rivière)

L’actualité littéraire à Parallèle Sud

Auteurs, autrices de La Réunion (de Maurice, de Madagascar…)

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Patryck Froissart

13 rue des papangues – 97460 Saint-Paul

patryck.froissart@gmail.com

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A propos de l'auteur

Patryck Froissart

Reporter citoyen. Patryck Froissart, Saint-Paulois depuis près de 50 ans, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.
Membre permanent des jurys des concours nationaux de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France)
Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)
Membre de la SGDL (Société des Gens De Lettres)
Membre de la SPF (Société des Poètes Français)

Publications :
-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)
-Li Ann ou Le Tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)
-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)
-Contredanses macabres, poésie (Editions Constellations)

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