LIBRE EXPRESSION
Le lieu sommeille depuis quelques années déjà. Nous sommes dans le fond d’une cour du quartier Waki à la Rivière Saint-Louis.
Il semble que quelqu’un ait ouvert les portes.
On aurait pu s’attendre à une odeur de renfermé ou de moisissure, pas du tout, c’est un doux parfum de patchouli qui se dégage.
La lumière y pénètre doucement.
Après l’ouverture de toutes les portes, c’est soudain un arc-en-ciel qui envahit la grande pièce.
Tant de tableaux sont là. Un monde de personnages qui dansent, prient.
Cette œuvre est celle de Clermont Chamand, né en 1951 ici même dans ce quartier. Peu connu du grand public, il l’était toutefois des artistes. Car il avait roulé sa bosse.
Un artiste musicien, compositeur, peintre, mélomane qui avait choisi l’art pour s’exprimer.
Il avait mené de nombreux combats pour faire entendre son message, déjà en métropole dans les années 70-80.
Il avait enrôlé son frère pour créer le groupe Marmay, des compositions parlant de la vie des immigrés, de la prise de conscience du mouvement écologiste. Puis il s’était mis à peindre, participant à la biennale des Outremers.
En 1990, il entre de nouveau en studio pour enregistrer un CD de 16 titres, qu’il intitulera : Tou Sèl.
Il fera tout pour que sa voix soit entendue, ses textes qui dévoilent sa prise de conscience. Loin de La Réunion par l’espace kilométrique, La Réunion est plus que jamais présente, il aura à cœur d’analyser les effets de l’esclavage, de l’esprit colonial sur les êtres. Il avait beaucoup lu, Senghor, Césaire, James Baldwin…
Il se sentait si proche du peuple amérindien, et leur ressemblait incroyablement.
Clermont revient à la Réunion en 1991.
Une autre période artistique s’ouvre alors, et une longue série de peintures verra le jour. Clermont aura l’occasion d’exposer dans plusieurs lieux.
Il fera également des concerts, ouvrira successivement une boutique d’art et d’artisanat à Saint-Louis “Le Kontvan” puis à la Rivière “Kaskavel”.
En parallèle, il se consacre à la Terre, il plante dans sa cour une quantité d’arbres fruitiers essentiellement, des caféiers, manioc…
Décrire la vie de Clermont n’est cependant pas l’objectif de cet article.
Ma mission est de lever le voile et de mettre en lumière son travail.
Cette œuvre est destinée à l’humanité, et surtout au peuple réunionnais. J’espère pouvoir la présenter lors d’un hommage qu’il serait légitime de rendre à Clermont.
En attendant, je mets quelques photos de ses tableaux, un texte qui semble être le plus près de cette œuvre écrit par Sully Fontaine. Des liens postés sur Youtube et la page Facebook qui lui est consacrée. Bonne découverte à vous.
Pascale Chamand
Observation & analyse de l’œuvre picturale de Clermont Chamand par Sully Fontaine
Entrer dans la peinture de Clermont Chamand, c’est un peu mettre les pieds dans un tumulte chaotique, dans lequel émerge un artiste dont l’œuvre résonne comme un écho lointain de mondes inconnus, où se profile l’incroyable talent d’un peintre tourmenté, un virtuose ignoré dont les toiles naïves évoquent à la fois le génie d’un Rousseau et la fantasmagorie délirante d’un Jérôme Bosch.
Clermont Chamand est cet artiste énigmatique, qui d’année en année a tissé, peint, cousu, sculpté et dessiné un monde pictural empreint de rêves et de mystères, un univers où les figures oniriques dansent parmi les couleurs vives et les formes exubérantes.
Dès le premier regard posé sur ses œuvres, on est frappé par l’intensité de son imagination débridée. Chaque toile semble être le fruit d’une féerie hallucinée, où des créatures fantastiques côtoient des figures connues de son entourage proche, mêlées à des paysages luxuriants dans un équilibre précaire, entre cauchemar et conte de fées pour adultes.
Dans sa production picturale, on croirait un instant reconnaître les influences précurseures de l’Art Brut, on les croit palpables dans la manière dont l’artiste capture l’innocence enfantine, à travers des lignes simples et des couleurs éclatantes, mais il n’en est rien, tout vient des tréfonds de son âme, sans les béquilles et les repères de l’histoire de l’art officiel.
Clermont a sa propre cosmogonie… Son propre univers… Ses propres galaxies… Ses propres systèmes… Là où, dans l’anonymat, seul tel un ermite, dans l’errance inspirée, il pénètre les recoins les plus sombres de l’âme humaine, révélant des mondes intérieurs complexes et parfois perturbants.
Ses toiles semblent être des portails vers des dimensions inexplorées, où nos lois physiques ainsi que nos codes moraux sont défiés. Les personnages qui peuplent ces scènes surréalistes ont des visages figés dans l’étonnement ou la terreur, capturant l’instant où le rêve bascule dans le cauchemar.
Les yeux écarquillés des figures énigmatiques semblent défier le spectateur, les invitant à plonger dans un monde de symbolisme ésotérique et de signification cachée.
En contemplant ces tableaux, on ne peut s’empêcher de penser à l’héritage de Jérôme Bosch, ce maître flamand du XVIe siècle, dont les œuvres sont peuplées de démons grotesques et de visions apocalyptiques.
Comme Bosch, le peintre rivierois crée un bestiaire étrange où des chimères hybrides se mêlent à des humains effrayés, formant un tableau vivant de l’imaginaire humain dans toute sa complexité.
Pourtant derrière cette apparente bizarrerie se cache une profonde humanité. Ces figures étranges et fantastiques semblent être les reflets déformés de nos propres angoisses et désirs inavoués. Dans chaque détail, chaque ligne hésitante et chaque couleur vibrante, l’artiste parvient à exprimer l’inexprimable, à capturer l’essence même de l’âme humaine en proie à ses tourments intérieurs.
En somme, l’œuvre de ce peintre torturé transcende les frontières du naïf et du surréaliste, du fantastique et du cauchemardesque.
À travers ses toiles, il nous invite à plonger dans l’abîme de l’inconscient collectif, à explorer les méandres de l’esprit humain avec une sincérité brute et dérangeante. Dans ce monde d’ombres, de lumières, de rêves et de réalités tordues,
Clermont nous invite à le suivre sur un chemin connu de lui seul, murmurant des vérités cachées à travers les traits de ses personnages.
Une voix que nous ne pouvons ignorer, car elle résonne, au-delà de sa propre production musicale, avec la puissance intemporelle d’un art de l’instant, d’un art de l’urgence, d’un art allant à l’essentiel, questionnant nos failles et nos limites.
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