VU DE PARIS
Après les résultats catastrophiques pour le pouvoir en place aux dernières élections et après « l’Appel de Fort-de-France », Emmanuel Macron tente d’offrir des perspectives d’émancipation à ces territoires. Il a reçu des élus de Mayotte, de Guyane, de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion à dîner à l’Élysée. Cet article est paru chez nos amis de Mediapart mais aussi chez nos amis de Guyaweb.
Peut-on se décoloniser en acceptant une invitation à dîner au palais de l’Élysée ? La question peut paraître abrupte mais elle s’est posée très concrètement aux élus de sept collectivités ultramarines, mercredi 7 septembre 2022. « Nous avons eu une rencontre d’une heure et quart avec M. Darmanin (ministre de l’Interieur et des Outre-mer, ndlr) et le ministre délégué M. Carenco, répond Serge Letchimy, président de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM). Après cette rencontre, on a eu trente à quarante minutes avec le président de la République pour connaître ses intentions. Ça nous a rassuré pour ceux qui ne voulaient pas aller dîner. Et nous avons eu pratiquement trois heures de réunion-débat sur des thèmes très importants. Il n’y a eu aucun tabou : je suis personnellement satisfait de cette rencontre et « l’Appel de Fort-de-France » a produit son effet, l’État a réagi ».
« L’Appel de Fort-de-France », c’est ce document signé le 17 mai dernier, depuis la Martinique, par les président.e.s d’exécutifs régionaux et départementaux de Guyane, Guadeloupe, Martinique, Mayotte, Saint-Martin et La Réunion. Alors qu’ils étaient tous réunis à Fort-de-France, en Martinique, à l’occasion d’un sommet des régions ultra-périphériques (RUP) de l’Union Européenne, les présidents des collectivités ont souhaité lancer un appel solennel à refonder les relations entre Paris et ses territoires d’Outre-mer. « Face aux situations de mal-développement structurel à l’origine d’inégalités de plus en plus criantes qui minent le pacte social », il devient urgent « d’ouvrir une nouvelle étape historique pour nos territoires d’outre-mer », écrivaient-ils notamment. Autonomie, nouveau statut pour la Guyane, pouvoir normatif local : les élus estimaient urgent d’acquérir plus de responsabilités pour faire face aux désastres sociaux et sanitaires qui font rage dans leurs territoires.
« Je sais qu’il y en a qui iront mais moi, c’est très clair : je n’irai pas à un dîner, je n’ai nul besoin d’être honoré »
Jean-Victor Castor, député de Guyane
Leur « Appel » est passé relativement inaperçu dans un premier temps. Il n’a en tout cas été entendu distinctement à Paris qu’à l’aune des résultats des élections présidentielle puis législatives. Alors que Marine Le Pen gagnait partout au second tour de l’élection présidentielle et que la Nupes raflait la mise dans des proportions égales lors des législatives, les responsables nationaux se sont dits qu’il fallait faire quelque chose. D’où cette invitation à dîner.
Une invitation, « en l’honneur des élus ultramarins », indiquait l’agenda du président de la République mercredi 7 septembre. « Je sais qu’il y en a qui iront mais moi, c’est très clair : je n’irai pas à un dîner, je n’ai nul besoin d’être honoré », tranchait d’un ton offensif Jean-Victor Castor, député (GDR-Nupes) de Guyane. Son collègue (GDR-Nupes) Davy Rimane a publié un communiqué dans lequel il fustige « l’absence de tout déroulé, l’absence de thématiques visant à orienter les débats », « un « dîner de travail » qui est un rendez-vous manqué ». D’autres élus partisans du boycott, comme Karine Lebon (GDR-Nupes) de La Réunion ont déploré le gouffre entre le clinquant d’une invitation sous les ors de la République et les indicateurs sociaux devenus chaque année plus affolants, dans des territoires où la proportion de personnes vivant sous le taux de pauvreté va de 40 à 70%. Où le taux de prévalence de certaines maladies comme le diabété de type 2 peut être jusqu’à 4 fois supérieur à celui de la métropole.
Emmanuel Macron : « Quel type d’autonomie ? »
De quoi faire dire à Gabriel Serville, président de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG) à la sortie du raout que « les territoires d’Outre-mer ont selon [lui] été entendus ce soir. Après quatre heures et demi de réunion-marathon avec la Première ministre, le ministre de l’Intérieur, le ministre délégue et le président de la République, j’ai vraiment le sentiment que notre appel a été entendu. J’avais mis comme condition à ma participation que le président de la République s’engage à établir une feuille de route permettant aux territoires d’Outre-mer de repartir sur de nouvelles bases. Il y a une fenêtre de révision constitutionnelle entre fin 2023 et 2024 à cause du statut de la Nouvelle-Calédonie, à nous de nous en saisir. Nous avons maintenant un calendrier, des objectifs, une méthode. »
C’est la principale annonce qui est sortie de ce « dîner de travail » : en raison de son statut particulier et de son histoire, la Nouvelle-Calédonie va imposer à la France une révision de son texte fondamental au plus tard au début de l’année 2024 et le gouvernement actuel n’est pas opposé à ce que les autres territoires ultramarins se saisissent de cette « fenêtre d’opportunités » pour modifier les articles qui les concernent.
Les « vieilles colonies », c’est leur surnom, que sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion sont des départements français depuis 1946. « La « consécration départementale » n’a pas abouti à une fin de l’histoire dans les relations entre l’État et ces îles de la Caraïbe qui comptent parmi les plus vieilles terres de colonisation française », pose l’historien Sylvain Mary dans l’introduction de son ouvrage, Décoloniser les Antilles ? Une histoire de l’État post-colonial. Plus loin, il poursuit : « La mise en œuvre de ce nouveau statut s’est traduite par la formation d’un antagonisme entre les défenseurs du département et les partisans de l’autonomie et de l’indépendance, chacun voyant dans cette alternative les termes d’une véritable décolonisation des Antilles ».
Julien Sartre