LIBRE EXPRESSION / LE JOURNAL DE PAUL HOARAU
Le Moyen-Orient (Gaza) et l’Europe (l’Ukraine) occupent nos esprits « d’occidentaux » avec, en fond de décor, les bombardements qui détruisent les villes et les campagnes, qui jettent sur les routes et dans les camps de réfugiés des populations entières par milliers. Que se passe-t-il concernant l’Ukraine ? Il est plus facile de semer la mort que de conclure une trêve. Dans le même temps, les remous d’Afrique et d’Amérique parviennent jusqu’à nous comme en sourdine. Un reportage récent sur une chaîne de télévision nous a montré l’étendue et la profondeur des malheurs qui frappent si cruellement et apparemment sans issue en Haïti, ce peuple d’Amérique.
En France, à Mayotte, à La Réunion, le monde est partagé entre les besoins urgents d’indemnités et d’aides consécutifs aux dérèglements météorologies, les besoins courants croissants et les impératifs imprévus de menace de guerre aggravés par le désengagement américain.
Chez nous, « Réunion la Première » nous a offert un reportage sur le cyclone Garance suivi d’un sobatkoz sur les leçons à tirer. Personnellement, le cyclone Garance m’a beaucoup rappelé le cyclone de 1948 (en ce temps-là, les cyclones n’avaient pas de nom).
Ce qui m’a frappé, c’est le nombre de toits littéralement emportés. Ma famille elle-même a connu cela à Saint-Denis en 48. Notre maison était une maison correcte, mais un détail technique négligé a été la cause de son détoitage. En général, les maisons de l’époque (beaucoup de bidonvilles) n’étaient pas comparables aux maisons et aux immeubles « en dur » de maintenant, qui ont été emportées. On a parlé des poteaux électriques de haute tension qui ont été renversés. Je me souviens du poteau imposant du Barachois qu’on appelait « la sirène » qui, en 1948, a été allongé par le vent. Il ne reste plus de la sirène que son soubassement qui donne une idée de l’importance de l’ancrage de l’ouvrage : rien à voir avec l’ancrage de nos modernes poteaux de haute tension.
Je ne parle pas de l’eau qui a causé des dégâts considérables là où Garance est passé. À Saint-Denis, l’eau a provoqué des inondations torrentielles, notamment à partir des canaux qui étaient censés la canaliser et la contenir. Quant au réseau routier, il a subi lui aussi, et gravement, les conséquences du cyclone. En 1948, ma troupe de scouts campait au Bois de Chênes de Cilaos quand, un après-midi, par un temps d’un calme absolu, les gendarmes sont venus nous dire qu’il fallait d’urgence nous réfugier au petit séminaire en raison de l’imminence d’un cyclone qui promettait d’être méchant. J’ai été à la fois sceptique et abasourdi. Il n’empêche que, dès le soir, le temps a mal tourné. La route de Cilaos a été fermée pendant plusieurs semaines au point que par crainte de manquer d’alimentation (il n’y avait pas d’hélicoptère), nous avons regagné La Rivière-Saint-Louis à pied par le Tapage, épuisés.
Le sobatkoz de Réunion la Première sur les leçons à tirer du passage de Garance a beaucoup tourné, naturellement, autour de l’urgence. En France, à Mayotte et ici même, il faut reconstruire, retrouver ses biens, ses outils perdus. Compte tenu de l’ampleur des dégâts, les dispositifs d’aide, les assurances, les mouvements spontanés de solidarité ne suffisent pas. Les malheurs du climat frappent fort au moment où, par ailleurs, le Gouvernement mène une politique de restructuration sociale qui touche au pouvoir d’achat des travailleurs et des retraités, entraîne la diminution des PEC, provoque des fermetures d’entreprises et des licenciements en cascades ; au moment où, suprême imprévision, les Gouvernements d’Europe lâchés par l’Amérique, se mobilisent pour des centaines de milliards, pour une guerre éventuelle.
La présidente de la Région ne cache pas son indignation de voir qu’il paraît plus difficile de trouver les milliards nécessaires pour sauver les sinistrés, que les centaines de milliards pour tuer, pour la guerre. Il est plus facile de semer la mort que de faire s’épanouir la vie. Toutes tendances confondues, tout le monde est derrière nos élus politiques, professionnels et associatifs pour reconstruire La Réunion sinistrée. Cela sera le principal objectif de la visite du ministre des Outre-mer.
Mais les images de champs de cannes dévastés, de plantations de papayers littéralement couchés, des serres déchirées, ont interpelé ceux qui pensent au développement d’une économie de production locale « par, avec et pour le Réunionnais ». Que se passerait-il si toute cette production locale devait être emportée par un cyclone ou par un autre cataclysme ? Dans l’urgence, le pays serait condamné, comme aujourd’hui, à indemniser les producteurs sinistrés et à importer. A-t-on suffisamment réfléchi sur les moyens d’anticiper ? Comment techniquement, financièrement, économiquement, politiquement protéger davantage notre production contre les menaces de la météorologie, mais aussi du feu ? Un dialogue sérieux entre les politiques, les chercheurs et les acteurs dans l’agriculture, les arts, l’artisanat, l’industrie, le commerce, etc. s’impose.
Mais il n’est pas sûr que « le développement de la production locale par avec et pour les Réunionnais » soit la ligne politique du moment. Aujourd’hui, l’heure est à l’urgence, laissons les responsables régler l’urgence. Mais viendra l’heure de « la refondation ». Les responsables à ce niveau, ce sont d’abord les Réunionnais : le Peuple Réunionnais . Pour négocier « la refondation », il faudra bien l’interlocuteur Réunionnais avec ses propositions. Quel est son projet ?
À ce niveau, au niveau « des fondamentaux », le projet ne doit pas être le projet d’un parti, d’une profession, d’associatifs, d’un homme, mais Le Projet du Peuple Réunionnais, ratifié par un référendum local. L’unité du Peuple doit être évidente. Au niveau des « fondamentaux », les chamailleries qui divisent doivent laisser la place aux exigences qui unissent. Il est des moments où l’unité s’impose par la nécessité. Elle s’impose aussi par la décence. À la mort du Maire de Saint-Pierre, nous avons vu les barrières partisanes tomber pour un hommage quasi unanime rendu à l’homme (ce respect dû à l’homme comme à tous les hommes, aurait dû mieux apparaître de son vivant, il n’aurait pas empêché la diversité, les différences, les oppositions). Il aurait permis d’avancer sur le projet de refondation par le dialogue…
L’urgence, oui ; mais bien vite « la refondation ».
Paul Hoarau
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