[Mafate] La kour, au cœur de la famille

KAZ AN PAY • CASES EN PAILLES — ÉPISODE 4

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail… » Sociologue, Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il propose aujourd’hui de partager avec les lecteurs de Parallèle Sud. Il nous ouvre ses cahiers et ses albums photos des jours et des nuits qu’il a passés auprès des habitants du cirque de Mafate. L’enquête se déroule durant la première décennie du 21ème siècle (2005-2007). Certains témoins ont disparu ou ont changé. Mais l’essentiel demeure.

Le voyage sera long, il s’agit cette semaine du quatrième épisode. Partons avec Arnold Jaccoud à la découverte de « la réalité restituée et ressuscitée de ce que fut la vie dans Mafate et, plus généralement, dans les Hauts ». 

Parallèle Sud

Arnold Jaccoud a mis en exergue quatre cases en paille notables de Mafate.

Les pages dans lesquelles vous entrez présentent une sorte d’inventaire, sans doute incomplet, de l’état des cours et des cases en paille et anciennes assimilées, une trentaine, dans le cirque au début du XXIe siècle. Alors que d’autres choix auraient été possibles, il a fallu me restreindre… Chacune des quatre « kour » esquissées dans ce chapitre présente des particularités qui m’ont donné envie de m’arrêter.

En 2006, le spectacle de la Kour de la famille de Samuel et Berthéa Hoareau à la plaine aux Sables, a attiré mon attention avec sa dizaine de kaz an pay dont je ne dissociais pas immédiatement si elles abritaient animaux ou humains. En dehors du parcours touristique qui conduit à Trois Roches, et pourtant tout proche, elle illustre l’époque d’il y a trente ans dans les Hauts de l’île.

À la Ravine Grand-Mère au-dessous des Orangers, dans une région désertée depuis longtemps par manque d’eau, je voulais savoir, en 2007, ce qu’était devenue la concession d’Honoré Louise, « gramoun de miel », dont le plan avait été dressé en 1983 par un atelier d’architecture métropolitain. Pas de déception, à la suite du décès de « gramoun de miel » une année auparavant, elle avait été achetée par Paul Melade dont les activités emportèrent mon intérêt.

Sur îlet à Bourse, j’étais en admiration devant la splendide kwizine de Jeanne-Marie Thomas, reconstruite après le passage du cyclone Jenny de février 1962, avec ses parois extérieures hybrides recouvertes pour moitié de l’ancienne tôle plate récupérée par démontage de bidons et pour l’autre moitié de cette tôle ondulée et galvanisée, plus moderne mais coûteuse, témoignage de l’évolution du revenu familial…

Enfin, j’ai souhaité rappeler le travail effectué par l’équipe interdisciplinaire qui œuvrait à Mafate sous le leadership de Geneviève Planchat-Bravais en m’arrêtant plus longuement sur les deux îlets Cernot et du Chemin Charrette à La Nouvelle entièrement occupés par la famille Cernot. C’est sur ce micro-territoire que l’équipe a expérimenté une méthodologie interactive d’exploration patrimoniale. 15 ans après, je sais que les projets qu’y élaborait la famille ont trouvé une part importante de leur concrétisation…

L’espace de vie familial s’organise autour de la kour

Ce chapitre sur les kour traite aussi bien des conceptions architecturales et des implantations, que des matériaux et des modes de construction, des aménagements intérieurs qui renvoient à la manière de vivre des familles et des personnes qui les utilisent encore ou des usages domestiques difficiles et précaires, dont les anciennes constructions demeurent les témoins.

On doit s’imprégner du rapport véritablement symbiotique qu’entretiennent dans la kour, les habitants avec le végétal, il faut lire les fonctions de protection (clôture et ombre), de production (arbres fruitiers), ou décoratives et symboliques, etc. La kour est la circonscription métaphorique et matérielle d’un espace de vie familier, elle est enclos de marquage social, de préservation et de sauvegarde, regroupant les différentes fonctions de l’habitat exercées dans les diverses constructions réparties tout autour.

J’emprunte au mémoire de master Habitats réalisé par Vanessa Lacaille du CAUE, « Mafate, cœur habité d’un parc national » quelques lignes qui synthétisent, de façon significative et sans doute plus prosaïque, vie et organisation de cet espace proprement familial. « On retrouve, presque toujours, un potager à proximité d’un logement, où poussent du maïs, patates douces, tomates, etc. Beaucoup d’arbres fruitiers entourent les maisons comme les fruits de la passion, les bananiers, les manguiers qui assurent une production de fruits tout au long de l’année.  De nombreux arbres et plantes sont souvent plantés pour leur utilité alimentaire mais aussi médicinale, car la tisanerie est une pratique courante à Mafate…

L’auto-construction mafataise, c’est comme les recettes de cuisine. Les changements ne s’opèrent pas si facilement, la créativité n’est pas à l’ordre du jour, la manière de faire est la plupart du temps structurée par la transmission familiale.

« Les abords immédiats de la maison sont souvent plantés, ces clôtures peuvent prendre différentes formes selon la situation. On rencontrera parfois le cas de terrains pentus nécessitant des murets de pierres sèches pour soutenir la terre. Dans les terrains en pentes plus douces, des talus associés à des haies de bambous, utiles pour la construction et très opaques, ou de vétiver, utilisés pour le revêtement de toiture, marqueront les limites.

Le poids de la tradition

« A première vue, la kour d’une habitation peut sembler être un charmant désordre, une surabondance de végétation, compte tenu de l’environnement luxuriant, mais chaque plante ou arbre, a une utilité, un usage qui justifie sa présence à cet endroit précis. Chaque maison est la parfaite illustration de la vie de son occupant et de sa famille. On le retrouve également dans la manière de bâtir. »

Il convient tout de même d’ajouter que l’auto-construction mafataise, c’est comme les recettes de cuisine. Les changements ne s’opèrent pas si facilement, la créativité n’est pas à l’ordre du jour, la manière de faire est la plupart du temps structurée par la transmission familiale.

Arnold Jaccoud

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