[Mafate] « À Mafate lavé les Bains »

EPISODE 39 – HISTOIRE DE MAFATE LES EAUX

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Dans le 39e épisode, il parle de Mafate les eaux, ses origines et son histoire.

Catherine Lavaux – Du battant des lames au sommet des montagnes – éd. Cormorans 1983

Mafate est devenu le nom du cirque tout entier. La légende veut que ce soit à l’origine celui d’un Noir marron, sorcier, qui se serait installé près des eaux sulfureuses.

On est surpris de voir ce nom très précisément indiqué sur la carte et d‘apprendre qu’il existait là, jadis, l’îlet de Mafate, car, sur place on ne voit que roches et cailloux. Les eaux de Mafate étaient connues des Marrons et c’est en 1804, dans les cahiers de Lemarchand, qu’on a retrouvé les premières indications les concernant : « J’ai envoyé le malgache Nicaise, chercher de cette eau dont on m’a parlé ». Et trois jours plus tard : « Nicaise m’a apporté de cette eau, je ne puis en apprécier la saveur ».

Antoine Roussin – litho.

En octobre 1853, Hubert-Delisle va à « Orère », les héritiers Lemarchand lui montrent le registre et le gouverneur pense à des eaux thermales, il interroge les porteurs qui connaissent bien la source et les envoie chercher un peu de cette eau à l’odeur si caractéristique. Une analyse est faite par Delavaud médecin de la Marine (dans son rapport, il attribue la découverte à Troussail). Les eaux ont des analogies avec les eaux de Cauterets et d’Amélie-les-Bains et sont recommandées pour les affections de la poitrine, du larynx et les rhumatismes. Les sources avaient un débit de 900 litres à l’heure.

Vers 1870, un petit village s’installa autour et on trouve cette description dans l’album de Roussin : « Voici Mafate : ses maisons apparaissent au détour d’un chemin après cinq heures de marche. Le village est situé dans l’encaissement de deux parois rapprochées de la rivière des Galets ; un éboulis immense s’est détaché du rempart de la rive droite, et c’est là, sur le point le plus élevé, que s’est établie la maison du Dr. de Fontarabie, partisan déclaré des eaux de Mafate. C’est là que se sont établies les maisons comme des nids d’oiseaux.

« Ce talus est coupé en deux par la ravine du Cimendal et sur la rive gauche se dresse le Bronchard dont on ne contemple pas la silhouette énorme sans inquiétude. De la maison du Docteur, on voit le rempart de la Nouvelle au milieu duquel serpente un sentier que suivent, sans broncher, les créoles qui alimentent Mafate en légumes, volailles, fruits de toutes espèces ».

On venait là pour les eaux ou en « changement d’air ». Les îlets avoisinants, de Roche-Plate et de la Nouvelle approvisionnaient les curistes :

« À Mafate lavé les Bains, zot y vient en changement d’air; lété bien bati. Nou lété encor p’ti, nous portait bazar pou zot, mi rappelle, chez m’sieu Aubry ,lété juge d’instruction st D’nis. »

On trouvait là une auberge, vingt maisons, une église et la cure : de vieilles personnes se rappellent y avoir fait leur première communion. Pour se rendre à Mafate, on traça dès 1870, un chemin à travers la rivière des Galets.

Un voyageur le décrit ainsi : « Le chemin est très mauvais, on entre dans le lit de la rivière des Galets et on n’en sort plus pendant 16 km. On peut le faire à cheval grâce à un sentier tracé par la commune de Saint-Paul; de là on gravit par des sentiers presque verticaux, jusqu’aux îlets de Bloc et de Romuald. Ce parcours de 2,5 km ramène le voyageur dans le lit de la rivière obstrué par des blocs énormes qui ne peuvent être franchis qu’au moyen de très grandes fatigues, en gravissant les 19 échelles installées par les soins de M. Troussail.

« Cependant les hardis et vigoureux créoles de la rivière des Galets mettaient leur orgueil à parcourir ce chemin d’un pas rapide en chantant de gais refrains. Ils portaient sur leurs robustes épaules les voyageurs, étonnés et ravis à la fois. Le plaisir du voyage semblait être pour ces joyeux porteurs qui riaient de l’effroi des voyageurs de se voir, au détour d’un chemin, suspendus dans le vide, en fauteuil c’est vrai, mais au dessus d’un précipice ».

Cette route de Mafate fut entretenue et réparée aussi souvent qu’elle fut détruite, presque chaque année. Elle fut la deuxième de nos routes départementales ! Mafate resta donc un ilet du cirque jusqu’au jour, où, au début du siècle, par un temps très clair, le rempart du Bronchard, qui le surplombait, s’écroula. Cet effondrement de 300 à 400 cents mètres cubes n’était pas important mais d’énormes blocs de basalte, impossibles à dégager, bouchèrent le lit de la rivière formant barrage. L’eau se mit à monter et les maisons à flotter. Les habitants des îlets voisins assistèrent impuissants à l’inondation. Ils racontèrent à J. Lougnon : « Nou la vu, nous la essaye amare la case, nous la tient bon longtemps. La case lété qui va à droite, lété qui va a gauche, nou la tient bon un boute, a un moment la corde la pété ! »

On pense que le Cimendal, affluent de la rive droite de la rivière des Galets, débouchant juste en face du Bronchard, l’attaqua progressivement jusqu’à l’éboulis. Il n’y eut que des dégâts matériels, personne n’étant présent. Seuls restèrent debout l’église et la cure qui étaient situées sur un terre-plein. On décida par la suite de transporter l’église à Grand-Place et la cure à la Nouvelle ; ce qui fut fait par les courageux habitants de Mafate. On en reste songeur l

Le bois des maisons fut récupéré et vendu aux habitants de Roche-Plate. Les alluvions comblèrent le lit de la rivière et ensevelirent le reste des constructions.

En 1929 des travaux furent entrepris pour retrouver les eaux. On fora un puits, mais les sources s’étaient mélangées avec l’eau de la rivière et on dut abandonner. Ces sources se situent en amont des énormes blocs posés au fond de la rivière des Galets, au pied du Bronchard. C’est en descendant de Roche-Plate qu’on peut essayer de trouver quelques vestiges et de situer l’ancien îlet de Mafate.

Le sentier quitte Roche-Plate, tracé à même l’éboulis du Bronchard ; il est resté extrêmement caillouteux. En face, sur la rive droite de la rivière, on voit un mur de soutènement sur un replat, c’était celui de l’église, de la cure, et quelques maisons. Le Bronchard est ce piton tronqué, reconnaissable de partout, sur lequel est situé le cimetière de Roche-Plate ainsi que quelques cultures. Il doit son nom au chasseur de Noirs marrons, Bronchard.

Sur la problématique toponymique, il faut également retenir l’interprétation d’Emmanuel Souffrin (1991), qui apporte son regard d’anthropologue :

Si l’origine des noms atteste toutes ces influences, la transmission de la mémoire joue parfois des tours à l’histoire. Et l’héritage transmis est parfois âprement discuté et disputé. Celui de Mafate par exemple …, auquel plusieurs sens ont été attribués.

Ce nom serait lié à la source découverte dans la rivière des Galets par un esclave du premier grand propriétaire Olive Lemarchand, qui possédait près de la moitié du cirque. Le pharmacien et le médecin qui à partir de 1853 essayent de développer le thermalisme à cet endroit, au lieu-dit de la source, prennent comme définition « qui pue », « qui est repoussant » en raison de la forte odeur de cette eau de source, tout en proposant l’étymologie « Mafana » qui désignerait le chaudron en Malgache. La source et les maisons qui s’étaient construites le long de la rivière seront ensevelies en 1916[1] par un éboulis.

Sur un plan de 1834 établi pour Amédée de Boisvilliers qui désire s’installer dans le cirque, « Mafaque » désigne un bras de la rivière des Galets. Je n’ai retrouvé aucune autre trace de ce bras dans les autres plans que j’ai consultés, ni sa signification, mais le mot est donc bien présent dès cette époque bien qu’il ne désigne pas encore la totalité du cirque. Mafate, désignant le « sorcier malgache des eaux chaudes » est aussi régulièrement repris à la suite du roman Bourbon pittoresque d’Eugène Dayot paru vers 1870.

Enfin son dernier sens, beaucoup plus identifiable, « qui tue » viendrait du malgache Mahafaty, qui désigne quelque chose de dangereux, voire mortel. À La Réunion, un poison destiné à tuer les chiens est toujours nommé Mafat anboi. De « qui pue » à « qui tue » nous pouvons suivre les différents regards que les hommes extérieurs au cirque ont porté sur ce lieu. Choisir l’une de ces acceptions pour rejeter l’autre, c’est taire la complexité de la construction historique du cirque. Mafate « la source qui pue » ou Mafate « qui tue » existent bien tous deux dans la mémoire du site.

Arnold Jaccoud

[1] Ce serait plutôt 1913 ou 1914, selon d’autres données. Le Dr Louis Ozoux indique, lui, la date de 1907 !

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud