[Mafate] Les vingt-deux conseils de Marie-Jeanne Thomas

ÉPISODE 24 — MÉDECINES LONTAN

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Pour ce 24e épisode, il s’entretient avec Jeanne-Marie Thomas sur les pratiques médicinales populaires qui ont jalonné sa vie. C’était le 20 septembre et le 25 octobre 2005.

Traditions de la médecine populaire

Jeanne-Marie Thomas est née le 13 juin 1942. Elle se défend d’un savoir particulier. Les pratiques qu’elle raconte, c’était simplement sa vie et la vie des gens de tous les jours.

Mafate
« Kan i akonte marmay koman nou té i viv, zot i kroi pa. Zot i kroi nou la inventé… »

Beaucoup de Réunionnais utilisent encore aujourd’hui les plantes médicinales pour se soigner. La flore réunionnaise leur permet de cultiver et de perpétuer ces plantes aux apports bénéfiques.

Jeanne-Marie énumère spontanément les maladies auxquelles les familles étaient confrontées et comment dans le cirque elles y faisaient face en l’absence de soins médicaux, en s’appuyant sur la tradition des anciens…

1 • Quand quelqu’un, un enfant, a un « oppressement« , l’estomac (elle se montre la poitrine), on met un escargot (2 ou 3) dans un bocal, avec un peu de sucre, pour le faire baver, baver, puis on le retire, on mélange avec un peu de miel, (un peu de tisane…), comme un genre de sirop. On donne à l’enfant …, ça passe. 

2 • Le marc de café… Café grillé là… (une fois qu’on l’a fait couler). On le prend et on le met dans une toile avec du sucre. On le place dans un bac ou une marmite. On le fait bouillir longtemps. Et après on refait un sirop avec ça. C’est bon pour l’estomac, l’oppressement. L’oppressement prend dans les flancs.

3 • Les grenouilles. Si quelqu’un a de l’albumine, on prend une grenouille. On l’attrape, on la fait cuire. On la fait frire comme un cari et après on donne à l’enfant pour guérir.

4 • Pour l’albumine, on fait cuire également le cœur de calebasse douce, et puis on boit. Ça passe !

5 • Si quelqu’un « la gagn un froi« , est atteint d’un refroidissement, parce qu’il a bu quelque chose de frais : il prend le mazambron, de la patte de poule, du safran vert, un peu d’huile, un peu de miel. Et on ajoute un petit peu d’urine. On boit ça et le refroidissement passe. (Mazambron très amer = aloès amer [aloe barbadensis Miller]).

6 • Le même refroidissement : « Ou mett in kalité, ou mett in kalité… dans le mèm boîte« . On met diverses herbes dans la même boîte. Et quand on boit, on boit tout d’un seul coup. On met du benjoin, de la citronnelle, de la cannelle, des feuilles d’oranger, on fait cuire tout ensemble. On peut mettre du sucre dedans. On boit tiède. On peut également mettre du rhum. Avec la tisane, le « p’ti rhum, il tue le microbe » !

7 • Miracle de la guerivit : Quand quelqu’un l’a « suité » rechuté, on fait cuire la « guérit-vite« . On fait bouillir et on boit. On donne pour la rechute. Pas rien qu’une fois, plusieurs fois, ça dépend de la durée de la maladie.

8 • Si quelqu’un est brûlé (une brûlure sur la jambe) on grille la feuille, on met sur la brûlure et ça fait guérir.

« Sa crase le feuil, et le feuil de gerivit sa crase fin et après sa crase bien sur le brûlure com sa et le feuil fé guérir. »

9 • Ou sinon les « tay » des cabris (crottes de cabris), sa cras, sa met dessus les brûlures et sa fé guérir.

10 • Il y a des brûlures où il faut mettre des lentilles aussi. Des lentilles qu’on mange, pour des brûlures particulièrement profondes. On fait bouillir les lentilles, on emballe les lentilles, on met comme une plaque, on met bien épais comme ça et après on « garrotte« …

11 • Beaucoup de choses font guérir. Pattes de poule pour les tisanes de froid (rafraîchissement). François à Aurère en a une belle touffe dans la cour.

12 • Bois desto (ou dosto – bois de lousteau), c’est rafraîchissant. On fait bouillir et on boit. C’est contre les inflammations (« forts inflammatoires« ). On boit, ça passe. On tire les petites peaux noires sur le bois, on racle le blanc… on fait infuser dans de l’eau et on boit. On peut aussi faire bouillir les feuilles. Pour une inflammation il faut boire frais. Ça glace. N’importe quelle inflammation : avec du piment ou si on a fait des belles cuites. C’est bon de toute manière. Qu’on soit saoul ou non.

13 • Bois de maman, on fait bouillir, c’est rafraîchissant. On peut aussi mettre dans le rhum ? (pas entendu)

14 • Le joli cœur le grain de joli cœur contre l’arthrose, des reins, des bras aussi. On fait cuire contre l’arthrose.

15 • Contre les rhumatismes : On prend le « zerbe rumatik même… il y a de la cendre dessus. On fait bouillir ça pour prendre des bains pour les rhumatismes.

16 • … Et pour la croissance, comme ça… On prend des fleurs jaunes. Pour les garçons, on prend la racine et pour les filles on prend les fleurs. On fait bouillir pour la croissance, quand ils commencent à être grands. Des fois il y a des problèmes, ça marche pas. Les garçons aussi ont leurs problèmes… On fait cuire ça avec des patates de belles de nuit. Et après ils sont en forme, avec les tisanes qui trafiquent (agissent)… Les racines de fleurs jaunes et les patates de belles de nuit pour les garçons. Les filles prennent le jan robert et les fleurs jaunes

17 • Le bois d’arnette pour les calculs. On tire « le petit peau noire« , (on racle le blanc), on met infuser dans l’eau pour le mal de rein.

18 • Un vermifuge contrôlé : Le cœur de pêche et le zerb a bouc pour les vers. La racine de zerb a bouc et les feuilles de pêches pour tuer les vers. On fait bouillir. Il tue les petits vers, mais il reste toujours le patron. Si il tuait tout, on ne serait pas là. Il faut qu’il y ait des vers, … pour la vie. Il y a des vers qu’il ne faut pas tuer !

19 • La racine de pikan pour le diabète. Si on a un fort diabète, et pour les fortes tensions aussi, on fait cuire. ça fait baisser les tensions.

20 • Pour le diabète aussi, on fait bouillir du fumter (fumeterre), mais également pour faire baisser les tensions. De même les graines de filaos, qu’on fait bouillir avec du jean robert. Ça éclaircit le sang ! On se sent bien.

21 • Le goyave marron pour les maux d’estomac. On tire les petites peaux noires, on met à infuser et on boit comme de l’eau. Et c’est bon pour l’estomac. Seulement il faut pas boire tout le temps. Quand le mal est passé, on arrête, et quand ça recommence, eh bien on connaît la recette…

22 • Quand on n’a pas d’appétit, on fait cuire le goyave marron, on met deux ou trois cœurs de traînasse, des feuilles de café pays, on boit et on est en forme.

Heu… à votre santé !

Arnold Jaccoud

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud