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Mary Prince, première femme noire à briser les chaînes de l’esclavage dans les colonies britanniques

LIBRE EXPRESSION

« J’ai été esclave. J’ai ressenti ce que ressent un esclave et je sais ce qu’un esclave sait » – Mary Prince

En 1831, en pleine campagne pour l’abolition immédiate de l’esclavage menée par Elisabeth Heyrick et autres militantes, paraît en Angleterre le récit de vie de Mary Prince, The History of Mary Prince.

C’est un véritable choc dans l’opinion publique anglaise sensible au problème de l’esclavage dans les colonies. Ce n’est pas tant que c’est le premier témoignage ou récit autobiographique d’une femme noire esclavisée sur sa condition, que la dure réalité de la vie des esclaves dans les colonies anglaises que l’ouvrage révèle au public.

« La vérité doit être dite (…) car peu de gens savent ce que c’est l’esclavage », écrit Mary Prince.

Et de dénoncer dans la foulée ses terribles conditions de vie d’esclave entre les mains de cruels planteurs britanniques. En soulevant l’indignation du public anglais, le récit puissamment réaliste de Mary Prince – qui se présente comme une succession de scènes de tortures, infligées soit à Prince elle-même, soit à ses compagnons d’infortune (Frédéric Regard, 2010) – a eu un impact déterminant sur l’abolition de l’esclavage en Angleterre (août 1833).

Mary Prince Plaque, Université de Londres, Malet Street, Londres, Photographie de Peter Hughes [ CC BY-NC-SA 2.0 via Flickr ]
Mary Prince Plaque, Université de Londres, Malet Street, Londres, Photographie de Peter Hughes [ CC BY-NC-SA 2.0 via Flickr ]

L’histoire et le combat de Mary Prince

Mary Prince est née en servitude dans une ferme de Brackish Pond dans la Paroisse de Devonshire aux Bermudes aux environs de 1788, dans une famille esclavisée d’ascendance africaine. Son père était bûcheron et sa mère servante, tous deux détenus par deux maîtres différents.

Mary vivait avec sa mère et ses trois frères et deux sœurs chez le capitaine Williams, après un passage dans les familles Myners et Darrell. Au décès de Mme Williams, Mary (elle a alors 12 ans) et ses petites sœurs sont vendues le même jour, chacune à un maître différent.

Mary est achetée par le capitaine John Ingham et sa femme, qui se révèlent rapidement être des maîtres sévères et cruels. Les esclaves sont souvent fouettés pour des broutilles et Mary, blessée, finit par prendre la fuite. Sa mère la cache et soigne ses plaies, mais son père finit par la retrouver et la ramener chez son maître (cf. Mary Prince, témoin de l’esclavage, in L’histoire par les Femmes).

Mary n’a jamais accepté facilement les indignités de son asservissement et a souvent été fouettée. En guise de punition, elle est vendue à un autre maître qui l’envoie travailler dans les marais salants aux îles Turques. Travailler dans l’eau salée jusqu’aux genoux pendant de longues heures à extraire le sel sous le soleil, poussant ensuite la brouette de sel assez vite pour éviter les coups de fouet, est un travail éprouvant et cruel.

Quatre ans plus tard, en 1810, elle suit son maître aux Bermudes et travaille pour sa fille. En 1815, Mary est à nouveau vendue pour la quatrième fois. Son nouveau maître, John Adams Wood, l’emmène à Antigua – nom donné par Christophe Colomb (1451-1506) qui découvre l’île en 1493 – en tant qu’esclave domestique pour s’occuper d’un jeune enfant, de la maison et du linge.

C’est pendant un séjour à Dane Hill – où se trouve l’une des grandes plantations sucrières de la région – avec ses maîtres au moment de Noël que Mary rencontre les Méthodistes (un courant du protestantisme), puis fréquente l’Église morave (une dénomination protestante non-conformiste) qui cherche à témoigner de l’amour chrétien aux esclaves dans les plantations. Elle apprend à lire et se fait baptiser en 1817 (Eric Mesnard, 2025 ; Yvette Boissarie, 2001).

En 1826, elle rencontre le charpentier-tonnelier Daniel James, qui avait racheté sa liberté grâce à l’argent récolté par son travail, et l’épousa. Ses maîtres, les Wood, lui reprochèrent ce mariage avec un homme noir libre, mais finirent par accepter que Daniel James puisse vivre à proximité.

En 1828, elle accompagne, toujours comme domestique, les Wood pour un séjour à Londres.

Mary dévoile l’horreur de la condition faite aux esclaves

À Londres, Mary ne se trouve pas dans le même contexte qu’à Antigua. Elle a entendu dire qu’un esclave foulant le sol anglais ne pouvait plus être considéré comme esclave, mais qu’elle serait de nouveau en situation de servitude à son retour à Antigua, sans un acte d’affranchissement.

D’où ses demandes répétées aux Wood de l’affranchir. De guerre lasse, elle quitte les Wood en novembre 1828 et finit par frapper à la porte de la Société contre l’esclavage, The Anti-Slavery Society (fondée en 1823), en novembre 1829, où elle trouve un emploi, après un passage chez les Frères moraves (voir ci-dessus) à Hatton Garden.

Plus précisément, un emploi chez Thomas Pringle (1789-1834), militant abolitionniste, alors rédacteur en chef de l’Anti-Slavery Monthly Reporter et secrétaire de la Société contre l’esclavage, où elle est prise en charge par les abolitionnistes.

Pour que les gens en Angleterre « entendent d’un esclave ce qu’un esclave avait ressenti et souffert », Mary Prince souhaite raconter son histoire. Son hôte, Thomas Pringle, l’encourage vivement à le faire. Et c’est l’écrivaine Susanna Strickland, qui séjournait alors chez les Pringle, qui a l’honneur de recueillir les paroles de Mary (sous sa dictée) pour les transcrire en un récit, mis en forme et édité par Thomas Pringle en 1831, à Londres.

De par son caractère inédit et son authenticité, L’Histoire de Mary Prince eut un impact ou effet important sur l’opinion publique et le récit connaît trois éditions la première année. C’est en effet la première fois qu’une femme ayant connu l’esclavage prend la parole et dénonce les sévices endurés aux mains de ses anciens maîtres.

The History of Mary Prince, a West Indian Slave est salué par les abolitionnistes, mais le récit est contesté par les Wood et James Macqueen, un éminent militant pro-esclavagiste. Deux procès en diffamation ont suivi la publication de l’Histoire de Mary Prince, donnant ainsi l’occasion à Mary de confirmer qu’elle avait été victime d’abus sexuels, entre autres.

Mary ne s’est pas contentée de raconter sa propre histoire de brutalité, elle a également raconté les expériences d’autres esclaves. Le récit fait éclater l’horreur de la condition faite aux esclaves aux Antilles.

Les triomphes de l’esprit humain

Dans la trajectoire mouvementée de l’histoire de Mary, la violence est omniprésente. Elle est inséparablement physique et morale. Elle émane des récits de coups et tortures, des scènes de ventes aux enchères et des séparations incessantes.

Mais, comme le souligne Ziggi Alexander, « Son histoire est intéressante parce qu’elle a souligné non seulement la souffrance et les indignités de l’esclavage, mais aussi les triomphes de l’esprit humain. Elle a démontré comment une femme peut être réduite en esclavage et pourtant ne pas être un esclave » (cf. préface de l’édition 1987, Pandora Press – Londres et New York, 1987).

Après la publication de son récit, on sait très peu de choses sur la vie de Mary Prince. On sait qu’elle était toujours à Londres en 1833, à la fin de l’esclavage. Mais on ignore si elle a pu ensuite retourner dans les Caraïbes pour rejoindre son époux ou si elle est restée en Angleterre. On ne connaît ni la date de sa mort, ni l’endroit où elle est décédée et inhumée.

Son histoire est même tombée, un moment, dans l’oubli, retrouvant par la suite un regain d’intérêt. En 2007, la contribution de Mary Prince à l’abolition de l’esclavage a été reconnue par la localisation d’une plaque en son honneur au Sénat de l’Université de Londres et sur le site de la maison où elle a vécu en 1829. En 2012, elle a été intronisée héroïne nationale des Bermudes.

Par son témoignage, Mary Prince a donné une voix à toutes les femmes et à tous les hommes qui refusent de se laisser enfermer dans une vie de servitude. Et son combat nous rappelle que l’esclavage est un crime contre l’humanité.

Reynolds Michel

(Contribution bénévole)

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