Mayotte

[Mayotte] « Wuambushu » : une opération qui inquiète !

GAZETTE DES COMORES

Pour nourrir la réflexion, Parallèle Sud partage l’analyse de l’opération « Wuambushu » à Mayotte par le directeur de la Gazette des Comores, Said Omar Allaoui.

jeudi 20 avril 2023


Une opération policière de grande envergure contre l’immigration clandestine à Mayotte, baptisée « Wuambushu », signifiant en français « reprise à n’importe quel prix ». Certains lui donnent en langue swahili, un sens plus lourd : « tue-les » !


Lors d’un grand débat avec des élus ultramarins à l’Élysée en février 2019, le président Emmanuel Macron avait annoncé la mise en place d’une opération « Harpie » comparable à celle de la Guyane qui mobilise gendarmes et militaires dans la lutte contre l’orpaillage clandestin.

Rappelons que dans les mythologies grecque et romaine, les harpies étaient des divinités à tête de vautour, divinités de dévastation et de vengeance qui saccagent tout sur leur passage. Les deux termes « wuambushu » et «  harpie  » expriment désolation et malheur, conséquences de dévastation et de violence inouïes.

Pour cette opération « Wuambushu  », plus de 700 policiers seront envoyés en renfort à Mayotte, dont la CRS 8, «  une compagnie spéciale baptisée force d’action rapide, capable d’être mobilisée dans l’urgence pour intervenir partout en France. Elle est composée de 200 fonctionnaires de police qui se relaient chaque semaine par effectifs de 100. Une demi-compagnie de CRS 8 sera envoyé sur l’île  » (cf Mayotte 1ère 10 Avril 2023).

La plupart des expulsés ne sont pas relogés

L’opération va consister à raser plus d’un millier d’habitations dites insalubres, abritant en majorité des sans-papiers originaires de l’Union des Comores. Beaucoup de ces habitants y résident depuis plus de deux ou trois décennies. Des milliers de personnes dont des enfants, des femmes, et des vieillards, qui avaient leurs habitudes dans ce qui est devenu leur village, vont se retrouver dans la rue, dans des conditions abominables. Les possibilités de relogement, on le sait, sont quasiment inexistantes à Mayotte. Les précédentes opérations de « décasages » de moindre ampleur, ont montré que la plupart des expulsés, même ceux qui sont en situation régulière, ne sont pas relogés.

Rappelons que cette expédition va raser au bulldozer un village entier de plusieurs milliers d’habitants, qui vont se retrouver dans la rue, sans domicile, du jour au lendemain. C’est peut-être calculé pour faciliter leur transfert en masse vers Anjouan. Sur l’île dite française, les personnes en situation irrégulière arrêtées, sont en général expulsées, manu militari, sans qu’on leur laisse la possibilité de se pourvoir devant une juridiction.

Pour le ministre Gérard Darmanin, il faut mettre un terme, quoi qu’il en coûte, à l’immigration comorienne, « responsable de tous les maux qui frappent Mayotte  ».

Ce « nettoyage ethnique  », fondé sur la nationalité, et qui ne dit pas son nom, inquiète plus d’un. Albert Camus disait : « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. »
Les conséquences, pour l’instant incalculables, risquent d’être désastreuses.

Une jeunesse qui n’a rien à perdre

Parmi les futurs sans-abris, se trouveront beaucoup de ces jeunes élevés par la rue, déscolarisés et sans repères. Quelles seront les réactions de ces milliers de jeunes qui ont grandi dans la mendicité et la délinquance, qui constituent aujourd’hui le moteur de la violence sur cette île ? Cette jeunesse qui n’a rien à perdre, qui se trouve dans un vide social, comme diraient les sociologues, va- t-elle rester les bras croisés ?

Quelle sera la conduite des centaines d’autres jeunes scolarisés qui se trouvent dans une situation de désarroi, à qui l’Administration refuse le droit de poursuivre des études supérieures, comme leurs autres camarades bacheliers, pour le seul motif que leurs parents seraient originaires d’Anjouan ou de la Grande Comore ?

Qui peut prévoir le comportement de la population en provenance des îles sœurs qui représente près de la moitié des habitants de Mayotte ? Beaucoup de ces personnes, qui ont cumulé les rancœurs et les ressentiments, les humiliations et les frustrations, se retrouvent dans un grand mal-être social.

Ces questionnements restent aujourd’hui sans réponse. Les risques d’embrasement de l’île plongent de nombreux Mahorais dans l’angoisse.

« L’opération d’expulsion massive a déjà commencé »

Pour l’instant, le gouvernement français fait la sourde oreille, les préparatifs de l’opération vont bon train. Il faut coûte que coûte en finir avec l’immigration en provenance des îles sœurs, bouc émissaire de tous les maux dont souffre Mayotte. Avant même la fin du ramadan, date fixée pour le début de l’opération « Wuambuschu  » qui est prévu pour durer deux mois, les expulsions qui d’ailleurs, n’ont jamais cessé, se multiplient et se renforcent en plein mois sacré. Chaque jour, plusieurs dizaines de « clandestins  » sont débarqués au port de Mutsamudu dans l’île d’Anjouan.

Je vous livre un témoignage reçu d’un ami à Mayotte ce mardi 11 avril 2023 : 

« L’opération d’expulsion massive a déjà commencé dans ce mois de ramadan. Même aujourd’hui, à Mamoudzou, vers la fin de l’après-midi, il y a eu une descente de la police vers Baobab en plein marché du ramadan qui a semé la panique. Et les gens couraient dans tous les sens. Dire que ça va commencer à la fin du mois de ramadan, c’est faux, ça a déjà commencé. Il faut voir le matériel de guerre conséquent qui est arrivé au port en termes de camions militaires, de minutions etc. Ce n’est pas pour faire de la figuration. Donc on s’attend au pire. Mais c’est Dieu qui aura toujours le mot de la fin. Et espérons que ça sera un échec de plus ».

« Les policiers sont rentrés dans la mosquée »

Un autre témoignage d’un habitant du village de Barakani relate des faits plus inquiétants qui rappelle ce qui se passe à Jérusalem où les soldats israéliens pénètrent à la mosquée d’al-Aqsa, troisième lieu de l’Islam, pour pourchasser les Palestiniens : «  Hier, dans le village de Barakani, les policiers ont violé des domiciles en défonçant les portes pour prendre des personnes à l’intérieur. Ils sont même rentrés dans la mosquée lors de la prière de « taraweha » (prière du soir pendant le ramadan) et emmené, sans ménagement, les gens qui n’avaient pas de papiers. Ces personnes ont été mises le soir-même dans le bateau pour Anjouan. Deux navires sont partis hier dans la nuit transportant des centaines de personnes sans papiers.  »

L’opération programmée pour la fin du ramadan, aurait-t-elle déjà commencé, ou ces rafles ne seraient que l’avant-première de l’opération « Wuambushu  » ? Le ministre de l’Intérieur a-t-il précipité l’opération pour prendre de court les sans-papiers, en arrêtant le maximum de personnes afin de limiter les dégâts, avec les risques d’affrontements lors de la destruction du village dans les hauteurs ?

N’oublions pas que des centaines de jeunes délinquants aguerris et endurcis à la technique de bataille de rue et de guérilla, se trouvent parmi cette population.

De l’autre côté de la rive, en Union des Comores, l’arrivée en masse de ces jeunes sans repères, qui vont se retrouver dans un pays qu’ils ne connaissent pas, la plupart étant nés ou grandis à Mayotte, crée anxiété et inquiétude au sein de la population. C’est devenu une préoccupation majeure chez les élites comoriennes qui se demandent si l’arrivée en masse de ces jeunes déstructurés, qui sont dans un vide social, ne va pas déstabiliser la société comorienne et multiplier les actes délictueux.

Jeunes élevés par la rue

Les autorités françaises, qui ont légué l’éducation de ces enfants sans famille à la rue, et qui n’ont pas assumé le devoir qui leur incombe en matière d’enseignement et d’insertion sociale, vont-elles renvoyer sans scrupules la patate chaude à un État comorien qui n’a aucune responsabilité dans l’échec éducatif de ces jeunes élevés par la rue mahoraise.

Les partis politiques et la société civile se mobilisent et s’activent en multipliant les actions pour dénoncer ces expulsions de masse des Comoriens, qui sont chez eux sur le territoire comorien de Mayotte, eu égard au droit international.

Dans une conférence de presse tenue ce jeudi 13 avril, l’Union de l’opposition accuse le gouvernement comorien d’avoir « vendu une partie du territoire national à 150 millions d’euros !  » Elle demande au président Azali de dénoncer l’accord franco-comorien signé le 22 juillet 2019 qui portait sur le contrôle de l’immigration clandestine et en contrepartie l’octroi de 150 millions d’euros à l’Union des Comores.

Selon l’opposition, cette convention serait la base légale de l’opération « Wuambushu  ». Le président Azali serait-il en train de marcher sur les pas d’Andrianantsouli, ce sultan d’origine malgache qui a vendu l’île de Mayotte en 1841 à la France moyennant une rente viagère de 1000 piastres ?

Said Omar Allaoui
Directeur de la Gazette des Comores

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