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[Médias]  Une alternative à la formule « pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! »

LIBRE EXPRESSION

Le documentaire qu’a proposé le journaliste Laurent Payet en événement de clôture du mois isopolia (événement Isopolis) montre des Réunionnais témoignant de leur défiance des médias. Ces Réunionnais disent la distance qu’ils ont pris avec la fréquentation des médias d’actualité et le justifient par le climat anxiogène véhiculé par les informations.

Informer n’est pas effrayer !

Pourtant, la définition de l’information ne signifie pas l’assignation à l’anxiété. L’information ne renvoie pas automatiquement à la peur, à l’alerte imminente et inévitable ou au malheur constant et permanent.

Le centre national de ressources textuelles et lexicales indique : « Action de donner ou de recevoir une forme». L’enseignement de ce que désigne l’information, en sciences de l’information et de la communication, proposé à l’école de journalisme et de communication de Marseille (EJCM)[1] correspond  à cette définition de l’action de  « donner forme ». Le préfixe « in » signifiant l’action de « mettre dedans », il s’agit d’intégrer un renseignement dans une forme de connaissance pour la préciser, la corriger ou encore l’enrichir, en tout cas la transformer.

Informer ne se restreint donc pas à « faire peur ».  

L’information serait plutôt un « faire part », puisque « informer » signifie « transmettre les faits ».

Les journalistes incarnent ce rôle de transmetteur de ce qui se passe, et normalement de tout ce qui se passe dans un régime démocratique, afin que le public reste en phase avec la réalité qui le concerne de manières géographiquement et immédiatement proches ou de manières plus lointaines dans le temps et dans l’espace.

Or, la dynamique en cours de la relation entre les médias et le public révèle que la transmission est biaisée car elle ne montre qu’une partie de la réalité. Bien entendu, saisir la réalité de manière complète reste impossible même au plus honnête journaliste, même s’il est équipé du plus performant des matériels. Et de fait, lorsque la télévision est devenue « en couleur », elle n’a pas transmis que des nouvelles belles comme des arcs-en-ciel, la radio n’a jamais émis que des mélodies ou des discours agréables à tous, internet n’a pas constitué le village global idéal et pourvoyeur de solutions mondiales, et la presse, zarboutan de l’actualité, dépérit malgré la modernisation des moyens de tirage. L’impression de papiers d’informations apparaît un peu comme un vieillard à qui on a offert une béquille, puis un déambulateur, puis un respirateur, puis un lit médicalisé. La presse survit surtout grâce au numérique.

Et, de plus en plus, le public débranche de cette déchéance médiatique.

L’écart se creuse entre médias et public

La part de la population réunionnaise qui préfère ne pas avoir de nouvelles plutôt que de n’avoir que des mauvaises nouvelles semble de plus en plus importante.

Dans le documentaire de Laurent Payet, on entend à propos des médias des considérations telles que : « manipulation », « anxiogène », « course au buzz », « trash », « gore », « sale », « mise en scène du sensationnalisme », « fake news ».

Cependant, face à l’influence néfaste des médias, une des personnes en appelle justement à cette capacité d’influence des médias pour provoquer l’effet inverse : « nous élever ».

Parce qu’on entend aussi dans ce documentaire le souhait du public de retrouver la confiance envers les médias. Cette confiance qui ne pourra reposer que sur la fiabilité et le traitement intègre des « nouvelles ».

Et c’est là qu’intervient la proposition de Laurent de développer ce qu’il appelle la résilience médiatique. Selon lui, le journalisme n’exclut pas la couverture « optimiste » des faits. Ainsi, mettre en lumière ce qui va bien, ce qui renforce la cohésion, la solidarité, les réussites collectives d’une population face à un événement difficile, voire traumatisant, doit faire partie des propositions médiatiques. Car après tout, c’est aussi « la » réalité des gens qui se fédèrent, qui s’entraident, qui inventent des moyens de donn’ la main dans un contexte dévasté. Selon lui, l’empathie et la compassion existent face au drame et, surtout, permettent des réalisations concrètes de sorties de catastrophes sociales et sociétales. En cela, elles ont toute légitimité à pleinement prendre place dans le flux de ce qui peut être transmis par les journalistes via les médias.  

La réconciliation entre médias et public

Les étudiants formés par Laurent Payet à l’école des médias de l’Océan Indien (EMOI) ont adhéré à sa vision du métier et ont expérimenté cet angle du traitement de l’information. Aujourd’hui diplômés et professionnels, ils se sentent préparés pour ne pas vivre leurs missions de terrain comme des relayeurs de malheur ou des serviteurs d’audience à la peur.

Les journalistes aguerris et entendus dans ce documentaire confirment la nécessité de bouger les cadres du métier. Ophélie Vignot parle de la pratique d’un journalisme « d’informations saines » ou « de solutions ». Gora Patel plaide pour un rappel de l’éthique dans la profession, dont il dit avoir personnellement expérimenté les bénéfices. Il invite les professionnels à équiper leur caméra et leur micro d’un « bouclier de bienveillance ». Jean-Pierre Germain et certains bureaux de rédactions radiophoniques se disent volontaires et prêts à adopter cette vision de résilience médiatique et à la prolonger. Enfin, entre émotion et raison, l’information doit revenir à sa définition avec Franck Cellier. Lui, pratique déjà un journalisme « plus respectueux de l’humain pour comprendre ce qui nous entoure ».

Les applaudissements à la fin de cette projection en plein air ovationnent ce documentaire. Les quelques interventions suivantes sont faites de « merci » et de « bravo ». Sur place, une des participantes confie qu’après trente ans de dénonciation des effets néfastes des médias, elle retrouve l’espoir que ce 5e pouvoir serve au bénéfice de la société.

Avec ce documentaire, Laurent montre que l’information en tant qu’élément d’éclairage pour la compréhension globale d’un fait divers, d’une annonce politicienne, ou d’une mesure économique n’est pas condamnée au sensationnalisme ou au pathétique instantané.

De nombreux aspects essentiels au fonctionnement des médias ne sont pas abordés dans ce documentaire, tels que leur mode de financement ou la prolifération des logiciels de fabrication d’articles et d’images, mais il démontre que le public n’attend pas que du sang et des larmes, que les journalistes le savent désormais et que certains s’en trouvent soulagés.

Les avancées vers la réconciliation entre le public et les médias sont enclenchées à la Réunion, c’est une bonne nouvelle.

Alice Dubard


[1] A l’époque où je l’ai fréquentée

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