Mélenchon, « l’Ultramarin » ?

Jean-Luc Mélenchon à son arrivée à La Réunion, en février 2022.

Le candidat de la France Insoumise est le plus populaire après Marine Le Pen dans les Outre-mer français. Déplacements, place accordée dans le programme et aux soutiens : Jean-Luc Mélenchon en a fait un axe important de sa campagne. Non sans angles morts, ni paradoxes.

[La présidentielle vue d’Outre-mer]

« La Polynésie, oui bien sûr, je m’y rendrai, mais peut-être pas tout de suite ! ». En souriant, Jean-Luc Mélenchon se reprend. Il vient de frémir à l’idée des quelque 20 heures de vol nécessaires pour rallier Tahiti depuis Paris, un trajet « plus de [son] âge ». Le candidat de la France Insoumise a déjà beaucoup de kilomètres au compteur : pour la campagne de l’élection présidentielle d’avril prochain, en quelques mois, il s’est rendu en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et à La Réunion.

C’est le seul candidat à s’être rendu dans autant de territoires ultramarins, au contact de populations qui lui ont systématiquement réservé un accueil chaleureux, en relation avec les scores élevés qu’il y a réalisés, lors des élections passées. Martinique, Guyane et Réunion sont tous trois des départements et régions d’Outre-mer (Drom) où Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Il y a réuni plus de 24% des suffrages exprimés.

Depuis Saint-Denis de La Réunion, à la fin du mois de février 2022, alors qu’il évoque ses voyages passés et à venir avec son « amie » Huguette Bello – une femme de gauche fraîchement élue à la tête du conseil régional – Jean-Luc Mélenchon explique pourquoi il est attaché à l’Outre-mer français. « Ici, comme en Guyane, que s’est-il passé ? Il a fallu être fort au premier tour pour pouvoir faire l’union au second. Gabriel Serville (nouveau président de la Collectivité territoriale de Guyane, CTG, ndlr) et Huguette Bello ont prouvé qu’on peut réussir en ne rejetant personne. La Réunion, la Guyane et d’autres départements et territoires d’Outre-mer ne sont pas ultra-périphériques, ils sont ultra-significatifs : les sociétés ici ont été détruites par la pauvreté et la remise en cause des droits, par le chômage, par l’inactivité des jeunes. Ce que je voudrais, c’est que dans la même situation, parce que c’est la même situation, les Français se disent, on va chercher Mélenchon. »

La « situation » dans l’Outre-mer français est connue. Ce sont d’abord des indicateurs sociaux qui donnent le tournis. À La Réunion, 37% de la population vit sous le seuil de pauvreté. En métropole, ce taux est de 15%. En Guyane, il atteint 50% et à Mayotte il dépasse les 77%. Dans un tel contexte, lorsqu’au lendemain de sa rencontre avec Huguette Bello, Jean-Luc Mélenchon évoque dans le discours de son grand meeting « l’état d’urgence social » qu’il entend déclarer dans l’Outre-mer au lendemain de son élection, c’est l’acclamation. Dans la salle surchauffée par l’été austral, un peu plus de 2000 personnes sont venues des quatre coins de l’île.

Une bonne partie des militants sont venus en bus du sud de La Réunion : les élus locaux, le député Jean-Hugues Ratenon, le député européen Younous Omarjee et plusieurs maires de gauche ont mis leur appareil logistique militant au service de l’organisation. « Son discours m’a beaucoup plu, se réjouit Joseph Siroumalé, quadragénaire. J’ai particulièrement apprécié que M. Mélenchon parle de la créolité, qu’il parle du vivre-ensemble réunionnais et de la créolisation du monde. Indiens, Arabes, Chinois, Noirs, si tout le monde parvenait à vivre ensemble comme nous le faisons, les problèmes dus à la guerre en Europe n’existeraient pas ! », conclut Joseph Siroumalé. Venu avec un ami du Sud de l’île, comme lui, il fait partie de ces militants montés dans l’un des nombreux bus affrétés par les organisations politiques locales jusqu’à Saint-Denis, pour le meeting du candidat de la France Insoumise.

Mayotte point aveugle

C’est la force paradoxale de Jean-Luc Mélenchon dans l’Outre-mer français : alors que son discours est basé sur une forte promesse de renouvellement politique avec la mise en place d’une Constituante s’il parvient à l’Élysée et de puissants accents dégagistes à la tribune de ses meetings, le candidat de la France Insoumise utilise pour faire passer ses idées des réseaux politiciens très anciens. « Encore aujourd’hui, le PCR est capable de mobiliser un tiers du corps électoral, précise Philippe Fabin, directeur des études pour Sagis, une société d’études à Saint-Denis, bon connaisseur de la société réunionnaise et de la vie politique locale. Son destin a été plus que compliqué. Il ne pèse plus beaucoup. Mais ses électeurs que sont-ils devenus ? Certains ont été rattrapés par l’âge, une partie a suivi Huguette Bello et une autre s’est abstenue. Le centre gauche est parti vers Macron et les sympathisants de gauche plus radicaux sont allés vers Mélenchon. »

Interrogé par Mediapart sur son positionnement par rapport à l’octroi de mer, un impôt qui perdure depuis l’époque coloniale et est responsable en grande partie de la « vie chère » dans les DOM, le candidat de la France Insoumise n’a pas répondu. Bien que les références à la vie chère et aux mouvements de contestation qu’ils ont suscités dans ces territoires soient nombreux, on ne trouve aucune trace, aucune mention, de l’octroi de mer dans son programme. Son équipe de communication précise par écrit qu’il est prévu « d’instaurer un bouclier douanier via une taxe kilométrique en faveur des productions locales à faible empreinte écologique » mais aussi « d’appliquer une préférence commerciale vers l’Hexagone et l’Europe ».

C’est une des conséquences de la campagne paradoxale de Jean-Luc Mélenchon dans l’Outre-mer : une partie de son discours résonne étrangement si on l’imagine en héritier à la Réunion de Paul Vergès, en militant décolonial. Il déclarait par exemple le samedi 26 février lors de son meeting réunionnais : « La France est une nation de l’océan Indien, la France est une nation des Caraïbes, la France a sa plus longue frontière maritime commune avec l’Australie, la France a sa plus longue frontière terrestre avec le Brésil, telle est la France que nous incarnons et nous l’assumons ! Nous disons devant les électeurs et les électrices, c’est cette France-là que nous assumons ! La France qui rayonne et qui est une partie du monde ! »

Contrer Marine Le Pen

« Assumer », dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon, c’est faire pièce à Marine Le Pen, sa grande rivale dans l’Outre-mer. « Ici, la première place nous est disputée par l’extrême-droite, déjà à la précédente élection. Maintenant, la bataille est commencée, nous devons être certains d’être au second tour, nous ne voulons pas choisir entre la peste et le choléra au second tour », s’émouvait l’ancien sénateur socialiste.

Arrivée nulle part en tête, contrairement à lui, la candidate d’extrême-droite rassemble davantage de voix que Jean-Luc Mélenchon à l’échelle des départements et territoires ultramarins. Elle promeut elle aussi un état fort et protecteur pour les classes sociales les plus en difficulté. « Les élections nationales sont d’une certaine manière des élections d’opinion quand les élections locales sont des élections de raison, constate Philippe Fabin. Le vote aux élections locales est un vote qui mélange les appareils municipaux, militants et à quoi il faut ajouter une partie des votes qui revêt une fonction utilitariste : une partie des électeurs attend un renvoi d’ascenseur. Pour une élection nationale, ces mécanismes-là n’existent pas. C’est une partie de l’explication à cette profusion de votes protestataires : à chaque présidentielle, on a presque la moitié des suffrages exprimé qui vont à des candidats anti-système. Ensuite, on revient à des élections locales où les déterminants politiques sont différents. »

À Mayotte, où Jean-Luc Mélenchon est perçu avant tout comme un opposant à Marine Le Pen, son score est bas : il n’a réalisé que 8% au premier tour du scrutin présidentiel de 2017. L’Ile aux parfums est également un angle mort de son programme au niveau diplomatie et relations internationales. Le candidat de la France Insoumise estime « ne pas être un manchot » dans ce domaine. Pourtant, dans son programme spécifique pour l’Outre-mer, les épineux sujets de relations internationales liés à Mayotte n’apparaissent nulle part. Pas plus que la tragédie de la circulation des personnes entre les îles, illégale aux yeux de la France, responsable de plus de 10 000 morts dans le bras de mer entre Anjouan et Mayotte depuis 1995.

L’Assemblée générale des Nations-Unies a réaffirmé à 14 reprises « la souveraineté de la République des Comores » sur Mayotte et « la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composé des îles d’Anjouan, de la Grande Comore, de Mayotte et de Mohéli ». Cet état de faits était rappelé de façon opportuniste en 2018 par le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, à l’heure où la France contestait l’annexion de la Crimée par la Russie. Questionné précisément par Mediapart sur ces résolutions onusiennes et leurs implications, Jean-Luc Mélenchon n’a pas répondu.

Dans les archives de son site internet, on trouve trace d’une vidéo où le député « rappelle que les Mahorais avaient de nombreuses fois exprimé leur volonté d’être Français et que, dès lors, la France devait leur garantir les mêmes droits que ceux qui ont cours dans l’hexagone. »

Une position qui, sans être maximaliste à l’image de celle de Marine Le Pen qui affirme vouloir lutter contre « l’immigration illégale » dans l’archipel des Comores, s’aventure sur le même terrain. Et surtout, fait fi du droit international et des résolutions onusiennes. Mayotte, île-martyr de l’océan Indien français, n’était pas au programme de Jean-Luc Mélenchon pour son marathon ultramarin de la présidentielle 2022.

Julien Sartre

A propos de l'auteur

Julien Sartre | Journaliste

Journaliste d’investigation autant que reporter multipliant les aller-retour entre tous les « confettis de l’empire », Julien Sartre est spécialiste de l’Outre-mer français. Ancien correspondant du Quotidien de La Réunion à Paris, il travaille pour plusieurs journaux basés à Tahiti, aux Antilles et en Guyane et dans la capitale française. À Parallèle Sud, il a promis de compenser son empreinte carbone, sans renoncer à la lutte contre l’État colonial.