RITUEL POLITIQUE
Vendredi dernier, un spectacle atypique a enflammé le Fanal, à la Cité des Arts. Un mélange de rock industriel et de maloya inédit, entre performance et provocation, qui appelle les ancêtres à nous « débarrasser des tous les politiciens, les capitalistes et leurs chiens de garde ».
La salle du Fanal, à la Cité des Arts, est carrée, éclairée d’une lumière tamisée, un micro placé à chacun des coins. Le public attend l’arrivée des artistes, naturellement appuyé aux murs. « Si vous ne vous mettez pas au centre, on ne joue pas », annonce François Cambuzat se plaçant au micro. Il est accompagné de son alter ego Gianna Greco et de trois Réunionnais, Fany Turpin, Sylvette Annibal et Zan Amemoutou.
Une bonne centaine de personnes sont venues pour le Kabar Nwar. « Mais que l’on soit bien clair : ce n’est pas du maloya. C’est une mise à mort », indique Cambuzat sur sa fiche de présentation. « Devant l’impossibilité de nos fausses démocraties inefficaces à développer et faire évoluer nos sociétés, voici maintenant un rituel convoquant les esprits pour se débarrasser de/tuer tous les politiciens, les capitalistes et leurs chiens de garde », y est-il encore écrit.
Résultat: une bonne heure d’incantations et de musique radicale mélangeant un rock extrême (auto-défini comme « avant-rock, industriel et électro ») propre aux deux porteurs du projet et à leur groupe Putan Club, avec des percussions et une esthétique maloya, pour « lancer les esprits et les démons contre les politiciens, les profiteurs et tous leurs corrompus : les faire crever ». Autant dire qu’on ne fait pas dans la dentelle.
« Quand elles m’ont proposé leurs créations, j’ai demandé à Fany (chant) et à Sylvette (danse) qu’on n’intellectualise pas, il faut que ça soit direct », confie l’auteur de la pièce musicale. C’est même du brutal, comme dirait un tonton qui aurait échangé un vieux pistolet à silencieux contre une guitare électrique. Et ça marche. Créé en trois mois alors que François Cambuzat et Gianna Greco étaient venus dans l’île attirés par la tradition des services kabaré, Kabar Nwar est un spectacle qui prend l’auditeur aux tripes et l’emmène dans un voyage musical inédit. Après la longue litanie des grands de ce monde cloués au pilori d’un rituel ancestral, on en redemande, hébétés, mais ravis.
Philippe Nanpon
Rock, gnawas et chamanes
François-Régis Cambuzat est un rockeur. Un vrai. Avec un propos politique, engagé, féministe, un rebelle intellectuel. Il baigne dans la musique la plus radicale et expérimentale depuis les années 80, a été tour à tour ou en même temps, musicien, journaliste, cinéaste, organisateur de festivals, documentariste passionné d’ethno-musicologie, les yeux et les oreilles grands ouverts sur le monde.
De New York à la Chine du Xinjiang, de l’Italie à l’Afrique du Nord, dans le Sahara et en Tunisie, il fréquente les Cramps ou Iggy Pop et les Fleshtones, travaille avec les chamanes du Kazakstan, les musiciens gnawas, sujets d’interviews ou de films adoubés par le CNRS. Il collabore avec Denis Lavant ou Lydia Lunch, donne deux cents concerts par an partout en Europe avec Putan Club et Gianna Greco, après avoir écumé les scènes avec L’Enfance Rouge, et a voulu travailler sur les services kabarés réunionnais. C’est ainsi qu’il est arrivé dans notre île.
« J’ai rencontré la famille de Granmoune Lélé qui nous a accueillis, Gianna et moi, dans les cérémonies familiales, mais je me suis rendu compte que c’était fragile, qu’il ne fallait pas abîmer cette tradition. J’ai renoncé à faire un film et imaginé ce Kabar Nwar », explique-t-il. Pour une musique métisse, à l’image de celles composée de guitares électriques saturées et des rythmes d’appels aux ancêtres de toutes sortes de civilisations.
François Cambuzat y retrouve son goût immodéré pour la musique de transe. Pour lui, les Cramps, « c’est aussi des chamanes ». Ou, des musique des civilisations pré-islamiques d’Afrique aux riffs new yorkais, la musique ne fait qu’un.
PhN