Oté Filippini, toué la roule anou !

LIBRE EXPRESSION

*Le préfet Jérôme Filippini a donc quitté La Réunion après un séjour de 26 mois dans l’île. Son départ nous avait été annoncé avec des sanglots dans la voix par nombre de commentateurs de la vie politique locale. Des Réunionnais soigneusement triés l’ont décrit comme un quasi-thaumaturge : « M. Filippini était tellement proche de la population, il a réglé tant de problèmes… Il nous a protégés du cyclone Belal » (dont il a un peu exagéré la dangerosité tout en ouvrant au maximum son parapluie via le déclenchement d’une alerte violette qui a fait grincer des dents). Il y a même eu une pétition réclamant son maintien à La Réunion qui a recueilli 204 signatures !

Monsieur Filippini a évoqué son action en l’enrobant d’une singulière dose de démagogie et d’autosatisfaction : « Un bon préfet, c’est quelqu’un qui respecte les personnes, qui les aiment. » (sic) ; « Je me sens Réunionnais d’adoption… » (quel honneur !) ; « De la plus belle île de l’Océan Indien à la plus belle île de Méditerranée… »

Sans lui dénier de réelles qualités, dont un évident talent de communicant, à double tranchant, il faut admettre que son alerte violette, ses talents de négociateur et de danseur de maloya en uniforme font piètre figure comparativement à l’héritage de nombre de ses prédécesseurs.

Ainsi, en 1665, Étienne Régnault a jeté ex nihilo les bases de ce qui deviendra La Réunion, créant notamment les « quartiers » de Saint-Paul et de Saint-Denis. Au XVIIIe siècle, Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais, le « détestable » gouverneur des îles Mascareignes selon le nouveau préfet de Corse-du-Sud, a développé l’économie des îles de France et de Bourbon, les transformant en places fortes au service de la France dans l’Océan Indien. En 1848, Joseph Sarda Garriga, même si sa méthode -adaptée au contexte de l’époque- est contestée par certains de nos contemporains, a été l’artisan de la mise en application du salutaire décret d’abolition de l’esclavage du 4 mars 1848. En 1943, André Capagorry, dernier gouverneur de La Réunion, a sauvé cette dernière, sous blocus, de la famine, ce qui lui vaudra le surnom affectueux de « Papa de riz ». Pour le XXIe siècle, on peut sans doute retenir le nom de Dominique Sorain qui, lui aussi, « a fait le boulot », sans esbroufe, en respectant son devoir de réserve ainsi que la dignité et la neutralité attachées à sa fonction.

Durant son séjour à La Réunion, M. Filippini a soigné son image d’homme d’ouverture. Outre son maloya endiablé du 20 décembre 2023, il n’avait pas hésité, lors du 20 décembre précédent, sous la houlette de Madame Ericka Bareigts, maire de Saint-Denis, à s’asseoir quasiment sur le bitume dans le « Camp Jacquot », toujours en uniforme, à côté du président wokiste de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, M. Jean-Marc Ayrault, ancien premier ministre, et en compagnie de tout un aréopage (dont Madame Marie-Jo Lo-Thong, DAC-Réunion).  On aurait pu se croire dans « Black Panther : Wakanda Forever », mettant en scène des soldats français prisonniers, à genoux devant la reine du Wakanda.

Dans l’île du vivre-ensemble, qui a su assimiler et homogénéiser sa population sans effacer les différences, M. Filippini a pris grand soin de n’oublier (presqu’)aucune « communauté » dans son désir de passer pour un rassembleur : invitations diverses issues des communautés musulmanes,  danse du dragon du jour de l’an chinois, ordination du nouvel évêque, reconnaissance de la date du 11 novembre pour la commémoration de la fin de l’engagisme indien. A cet égard, ce n’est nullement le principe de cette commémoration qui serait de nature à susciter des réticences mais le choix, qui ne doit rien au pur hasard, d’une date qui télescope sans ménagement l’autre 11 novembre, celui de notre Fête nationale et patriotique qui rend hommage au sacrifice de nos anciens, parmi lesquels nombre d’ultramarins et de Réunionnais, toutes origines confondues. 

De tels comportements n’ont rien d’anodin car ils révèlent une récente et inquiétante dérive institutionnelle consistant à servir le prestige personnel des agents de l’État au détriment des intérêts de la Nation, et à accorder beaucoup d’importance aux différences religieuses, ethniques et culturelles des Réunionnais au détriment de ce qui les rassemble grâce au creuset républicain. 

La Loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 n’exige-t-elle pas des représentants de la République davantage de distance par rapport aux différents cultes ? Ce n’est manifestement pas l’avis de M. Filippini qui, comme beaucoup de hauts fonctionnaires d’aujourd’hui, semble avoir adopté le nouveau logiciel multiculturaliste et « décolonial » qui nous conduit inéluctablement au communautarisme.

M. Filippini a ainsi fait le jeu d’associations (ex : Laproptaz nout péi ») qui ont réclamé et obtenu le déboulonnement de la statue de Mahé de La Bourdonnais. Or, ces associations sont notoirement des adeptes du discours racialiste et aussi ouvertement raciste du virulent panafricaniste Kémi Séba. Notons que cet activiste, stipendié par ailleurs par le régime de Vladimir Poutine, est visé par une procédure de perte de nationalité française engagée par le Ministère de l’Intérieur. Il a en outre été interpellé le 14 octobre 2024 dans les rues de Paris. Selon son avocat, Juan Branco, Kémi Seba est placé en garde à vue pour « intelligence avec une puissance étrangère » et « atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ».

Telles sont les connexions ou connivences idéologiques qui ont présidé à la confiscation de la statue de Mahé de La Bourdonnais que M. Filippini et ses interviewers se sont bien gardés d’évoquer à l’occasion de son départ. Certes, l’affaire doit encore être jugée au fond en décembre 2024, mais pourquoi une telle « omerta » ?

Rappelons que ce déboulonnage n’a pu être réalisé qu’à la sauvette, le 4 décembre 2023, pour prendre de court les opposants (dont le Collectif « Touche pas nout statue »). Il a fallu, pour en arriver là, que Madame Bareigts et M. Filippini ignorent des pétitions qui ont recueilli 2 500 signatures. Il a fallu aussi mépriser l’avis unanime d’éminents historiens réunionnais issus de tous les horizons culturels et politiques. Il a fallu encore que Madame Lo-Thong s’assure que ses services rendent bien un avis d’opportunité conforme aux espérances préfectorales et municipales. Ne méritait-elle pas en retour de recevoir les Palmes Académiques le 5 décembre 2023 ? Hélas, il a fallu aussi obtenir que le Commandant supérieur des FAZSOI du moment se plie à la mascarade consistant à affirmer que la statue, une fois réimplantée dans l’enceinte interdite au public de la caserne Lambert, serait plus utile à la connaissance de l’Histoire que dans le square La Bourdonnais où elle était pourtant accessible à tous les Réunionnais, admirateurs ou contempteurs de ce grand gouverneur : « Dans ce déplacement, il n’y a pas d’effacement, il y a au contraire un enrichissement de la mémoire historique » a osé M. Filippini. Quelle maîtrise de la langue de bois !

M. Filippini a fait montre d’une facile et anachronique bien-pensance car, à l’époque de Mahé de La Bourdonnais, tous les peuples et toutes les cultures pratiquaient l’esclavagisme depuis la nuit des temps. Mahé de La Bourdonnais, qui n’avait aucune compétence pour abolir l’esclavage, a dû s’en accomoder.

M. Filippini a délibérément sali la mémoire du grand personnage historique que fut Mahé de La Bourdonnais. Jalouse-t-il ce héros national qui a, par ailleurs, montré ses qualités humaines en emmenant avec lui en France sa fille (qu’il avait eu d’une esclave), Marie-Madeleine Mahé ! (oui, Mahé ! car il l’avait reconnue et confiée à sa famille métropolitaine à une époque où il était fort courageux de s’afficher avec une enfant naturelle, roturière et métisse qui plus est) ?

Constatons que Maurice possède et protège différents témoignages de l’action du gouverneur, dont deux statues, l’île principale des Seychelles s’appelle toujours Mahé et la ville indienne de Pondichéry n’a nullement l’intention de débaptiser sa « Rue Mahé de La Bourdonnais ». Ces États seraient-ils gouvernés par des arriérés ?

M. Filippini a déversé sur le pays qu’il est censé servir une dialectique délibérément culpabilisante : « la France a eu une politique détestable à cette époque ». Ignorerait-il que la République Française a aboli l’esclavage le 4 février 1794 et que Saint-Domingue avait même obtenu l’abolition dès le mois d’août 1793 ?

S’il est sincère avec lui-même et avec nous, une fois rendu à Ajaccio, M. Filippini pourra tenter d’obtenir des Corses le déboulonnage de la monumentale statue de Napoléon 1er qui y trône (mais il lui est conseillé d’agir très prudemment). En effet, l’Empereur des Français ne fut-il pas celui qui avait rétabli l’esclavage dans les colonies françaises avec la Loi du 20 mai 1802 ?

Quand à Madame la maire de Saint-Denis, qui cherche désespérément un nouveau nom pour le « Square La Bourdonnais », ce serait justice de le rebaptiser « Square Jérôme Filippini », cela en reconnaissance du soutien sans faille qu’il lui a apporté dans la poursuite et la réalisation de son dérisoire projet.

Ziskakan chantait dans les années 1980 « Oté Sarda toué la roule anou ! ». Ne serait-il pas légitime aujourd’hui de chanter « Oté Filippini toué la roule anou » ?

Christian Cadet, Association Fort Réunion

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A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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