[Politique] L’Outre-mer tout aussi insurgé contre la réforme des retraites

VU D’AILLEURS

De La Réunion à Tahiti en passant par la Guadeloupe et la Martinique, la mobilisation syndicale contre la réforme des retraites ne faiblit pas. Au risque, sur place mais aussi à Paris, d’un élargissement des revendications à des causes spécifiques aux territoires ultramarins. Cet article est paru chez nos amis de Mediapart.

Martinique. 2021.

En kreyol, syndicats « pa ka moli ». Coupures d’électricité, routes bloquées, « port mort », barrages filtrants autour de l’aéroport : toute la palette des modes d’action syndicaux est à l’œuvre ce jeudi 23 mars à La Réunion, par exemple. Voilà plusieurs jours que les personnes mobilisées contre la réforme des retraites ont élargi la palette de leur expression protestataire, bien au-delà des classiques défilés de la rue du Maréchal-Leclerc à la préfecture, sur le Barachois face à l’océan Indien.

« Le plus important pour nous cette fois, c’est notre rassemblement au Port, dans l’ouest de La Réunion, là où l’activité économique est concentrée, confirme Jacques Bhugon, secrétaire général de la centrale syndicale CGTR. La centrale électrique Albioma, des opérations-escargots, le blocage des dockers… Les initiatives sont diverses et variées. J’appelle la population à se mobiliser contre cette réforme injuste et antisociale. Notre combat a commencé le 19 janvier et nous ne sommes pas découragés ! Nous déciderons de la poursuite des blocages en assemblée générale au fil de la journée. »

Dans les Antilles françaises et jusqu’en Guyane, l’ambiance et les efforts pour créer une mobilisation large et visible sont absolument comparables. Interrogé par nos confrères du journal France-Antilles, Philippe Pierre-Charles, membre du bureau exécutif de la Centrale démocratique martiniquaise du travail (CDMT), qualifiait l’intervention à la télévision d’Emmanuel Macron de « dérisoire, menaçante et hypocrite ». Sur cette île, les perturbations les plus fortes sont attendues dans le milieu scolaire avec des dizaines d’établissements scolaires et de crèches fermées. Là aussi, et depuis une petite dizaine de jours, des zones commerciales, des hypermarchés ou des ronds-points importants pour la circulation à l’échelle de l’île ont été pris pour cible. Les blocages d’hypermarchés sont particulièrement visibles et importants sur l’île qui connaît d’intenses problèmes socio-économiques liés à la grande distribution des biens par une minorité ultra-puissante d’importateurs.

À Papeete, la capitale de la Polynésie française, sur l’île de Tahiti, l’intersyndicale des fonctionnaires d’État composée de l’Unsa, d’Alliance Police nationale, de Solidaires et du Syndicat territorial des instituteurs (Stip), appelle à une nouvelle mobilisation, ce jeudi. La manifestation doit être organisée sous la forme d’un sit-in devant le monument aux morts, face au haut-commissariat. Bien que les modalités d’application soient très différentes de la métropole sur ce territoire largement autonome, la mobilisation ne se dément pas depuis le mois de janvier.

Motion de censure outre-mer

Si elles sont tout aussi remontées contre le projet gouvernemental que dans l’Hexagone, les opinions publiques ultramarines peuvent compter sur le soutien de la quasi-totalité de leurs élus. Ainsi, des sept député.e.s de La Réunion qui ont tous et toutes voté la censure du gouvernement d’Elisabeth Borne. Et ce malgré leurs appartenances politiques différentes.

La séquence politique qui a vu la Première ministre échapper à la démission à neuf voix près a d’ailleurs remis les députés ultramarins au centre du jeu. Auteurs de la seule motion de censure transpartisane et donc susceptible d’être adoptée, les députés du groupe Liberté indépendants Outre-mer et territoires (Liot) ont cru leur heure venue. « Lundi, le gouvernement pourrait bien tomber et même si ce n’est pas certain, nous ferons tout pour qu’il tombe ! » s’enthousiasmait auprès de Mediapart, le député (Liot) de Guadeloupe Olivier Serva, le jour de l’utilisation par Elisabeth Borne de l’article 49.3 de la Constitution. Olivier Serva, pour déterminé qu’il était à faire chuter le gouvernement, n’en faisait pas moins partie de la majorité présidentielle lors de la précédente mandature.

Il ne fait, lui, pas partie du groupe Liot, mais le député (GDR) de Guadeloupe Christian Baptiste, confirme l’analyse de son collègue. Selon lui, « le gouvernement a profondément méprisé les députés dits d’Outre-mer tout au long de cette discussion sur la réforme des retraites et voilà que nous sommes au centre du jeu ! Aujourd’hui, on se rend compte que le centre, c’est nous ! Il y a eu un manque de considération pour l’ensemble de la représentation nationale. Alors que toutes les voix comptaient ! » Il a voté la motion de censure proposée par le groupe Liot.

Tout comme les élus de La Réunion, de la Martinique, de la Guyane et de Polynésie. Seuls les députés de Nouvelle-Calédonie et un élu de Mayotte manquaient à l’appel. Il faut dire que ces deux territoires ont des agendas et des préoccupations macro-politiques différentes des autres territoires ultramarins. Mansour Kamardine, député LR de Mayotte, a appelé au soutien du gouvernement parce qu’il n’y a selon lui, « pas de temps à perdre ». Dans un communiqué, il s’est réjoui de ce que « dans un mois, l’opération de grande envergure Wuambushu de reconquête du territoire, de lutte contre l’immigration clandestine et l’insécurité à Mayotte sera lancée sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer. »

Une colère plus large

« À La Réunion, 90% des entreprises comptent moins de 10 salariés et ils sont tous payés au SMIC, s’indigne Jacques Bhugon, de la CGTR. Les conventions collectives signées à l’échelle nationale ne s’appliquent pas ici : notre appel à la mobilisation est certes lancé contre la réforme des retraites mais aussi contre la vie chère et pour la hausse des salaires. » Services publics en voie de disparition, cherté des billets d’avion et manque de « continuité territoriale », mépris institutionnalisé, les raisons de la colère sont bien ancrées dans chaque île et en Guyane.

La mobilisation ultramarine à Paris ne concerne d’ailleurs pas que les élus. Il y a quelques jours, Romain Katambara et quelques amis à lui ont tenté de déployer une banderole devant l’Assemblée nationale : ils ont été interpellés par la police « comme des terroristes » et ont écopé d’une amende pour rassemblement non autorisé.

Ces jeunes font partie du mouvement Ka Ubuntu, un collectif panafricain et indépendantiste réunionnais. « La réforme des retraites, qui va s’appliquer de plein droit à La Réunion et renforcer nos inégalités sociales, illustre notre statut colonial car nous n’avons pas notre destin entre nos mains, avance Romain Katambara. C’est pour ça que nous sommes indépendantistes ! Voilà le message que nous souhaitons faire passer à propos de la réforme des retraites. »

Dans le même temps, une tribune signée de l’écrivain antillais Patrick Chamoiseau et de plusieurs dizaines de personnalités de « la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de la Réunion, « gens d’ailleurs et de tous les côtés », appelait à « faire pays ».

Dans ce qui est décrit dans le document comme « un moment historique », les pétitionnaires appellent une fois de plus à sortir « des fictions territoriales, identitaires, historiques et culturelles » que sont les départements d’Outre-mer (Dom). C’est encore un autre nom pour une autre forme de la « gilet-jaunisation » des Outre-mer : la colère couve toujours en pays dominés.

Julien Sartre

A propos de l'auteur

Julien Sartre | Journaliste

Journaliste d’investigation autant que reporter multipliant les aller-retour entre tous les « confettis de l’empire », Julien Sartre est spécialiste de l’Outre-mer français. Ancien correspondant du Quotidien de La Réunion à Paris, il travaille pour plusieurs journaux basés à Tahiti, aux Antilles et en Guyane et dans la capitale française. À Parallèle Sud, il a promis de compenser son empreinte carbone, sans renoncer à la lutte contre l’État colonial.

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