Pourquoi on n’est pas près de mettre fin aux violences urbaines…

BRAS FUSIL, FAYARD, BAS DE LA RIVIÈRE, CHAUDRON… ET LES AUTRES !

Il ne s’agit pas de faire la leçon à quiconque. Simplement de rappeler ce que l’histoire du traitement des violences juvéniles nous a appris depuis des décennies ou aurait dû nous apprendre. Aucune incrimination des personnes en tant que telles. Un rappel des mécanismes en jeu. Et il est hors de question de penser et d’affirmer que c’est facile…

1 • Pourquoi ce buzz autour des violences des jeunes dans les quartiers de l’Est ?

L’agitation (multi)institutionnelle de ces derniers jours renforce le sentiment de l’ignorance et de l’impuissance, voire de l’incapacité, dans laquelle sont plongées les autorités à propos de l’approche des manifestations actuelles (ou répétées) en matière de violences urbaines juvéniles. En même temps, elle souligne l’absence de capitalisation des expérimentations antérieures et donc la régression du savoir faire, des méthodes d’intervention et de la maîtrise globale de la situation. Les réunions urgentes de responsables à tous les niveaux l’illustrent sans indulgence. Comme si hier n’avait jamais existé, pour tenter d’apaiser l’anxiété et la colère de la population, « on » repart chaque fois à zéro, en amateurs peu compétents, dans toutes les directions, en jouant sur un renforcement quantitatif à la va vite des forces de l’ordre et sur un déferlement de mesures sécuritaires la plupart du temps sans lendemain. Comme souvent, l’habitude d’intervenir sur les conséquences sans traiter les causes ne conduit qu’à perpétuer les problèmes. Et on est pourtant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville…

2 • Qui est responsable en première ligne ?

Faut-il rappeler ici la fonction du politique ? C’est partout et fondamentalement d’organiser la société et de la mettre en ordre. C’est une tâche exigeante qui suppose bien sûr probité morale et intellectuelle, dignité, mais surtout compréhension systémique et maîtrise des mutations sociales en cours, aptitude coordinatrice et visionnaire du territoire administré, ainsi que de l’action effective de ses institutions, connaissances et compétences multiples en matière de techniques, capacité à maintenir la sécurité absolue des citoyens, acceptation d’un feed-back démocratique permanent. 

Dans le contexte de déconsidération qui affecte aujourd’hui trop souvent les autorités élues, autant dire combien on doit s’efforcer de croire à la pleine légitimité de la gestion de la chose publique et de l’engagement qu’elle doit susciter.

Mais là, en matière de sécurité et d’approche des violences urbaines qui semblent proliférer, on voit bien que ça ne fonctionne pas. Les débordements menacent en permanence. À l’évidence, la responsabilité des autorités est flagrante dans la mesure où on sait à quel point les comportements personnels et leurs interactions sont fondamentalement tributaires des conditions de vie que sont supposés organiser de façon concrète et continue les pouvoirs politiques, ainsi que les administratifs qui en dépendent. Ni acusation, ni moralisation, c’est simplement dans l’ordre des choses. Il se fait que l’environnement social, avec les interactions qu’il stimule ou entrave, détermine largement le comportement des groupes et des individus.

3 • Les causes effectives des violences sociales générées par les jeunes, vérifiées depuis toujours :

Indépendamment de la stigmatisation trop commode d’une population migrante ciblée qui aggrave les choses, on connaît depuis des dizaines d’années et on repère dans les quartiers dits « sensibles » les causes (ce qu’on appelle dans le jargon des facteurs psychosociaux) qui produisent la violence sociale des jeunes. Ce sont elles qui constituent cet environnement dans lequel grandissent les individus. Inutile de vouloir en établir une hiérarchie. Elles fonctionnent dans les faits toutes ensemble en interactions et en renforcement réciproques. Elles caractérisent l’existence collective dans les milieux défavorisés. Les professionnels chevronnés doivent sans doute en repérer d’autres encore. Résumées ici, on les discerne parfaitement, avec évidemment des exceptions, il faut en convenir. Leur numérotation ici n’a qu’une valeur descriptive !

1 • Un désoeuvrement permanent, aucune activité productrice, et chez les plus jeunes, une fréquente descolarisation précoce et une absence systématique de formation. 

2 • Une existence entièrement arythmique et décalée (horaires, vie nocturne, veille et sommeil, inactivité quotidienne, consommation de stups, relations de distance à l’égard des lieux normaux où s’inscrit la vie sociale : école, sports, loisirs, culture, clubs, etc.).

3 • Aucune référence à la loi ou simplement à une loi, en dehors de celle de la rue, imposée par la brutalité verbale ou physique, la plupart du temps dans des bandes dont les rivalités sanglantes sont devenues une menace générale croissante. 

4 • Des intérêts personnels à distance absolue et hostile à l’égard du fonctionnement des institutions collectives, 

5 • La privation dès l’enfance de tout modèle d’identification autre que ceux que leur fournit la sous-culture fragmentaire des réseaux sociaux.

6 • Le renforcement de la désaffiliation sociale, par l’impunité réelle de la multiplication répétée des actes d’incivilité et de délinquance.

7 • Une famille subsistant par le biais, sans aucune contrepartie, de revenus de transferts gérés sous contrôle social et caractérisant une précarité matérielle, déterminant principal de son statut social.

8 • En outre, une famille fatalement submergée par une impuissance éducative fondamentale.

9 • Un entassement social menant à une hypervisibilité réciproque, sans possibilité d’évitement du regard de l’autre. De plus dans des groupements d’habitations sociales où aucun responsable n’est jamais présent.

10 • Le sentiment total de son inutilité personnelle et d’un abandon qui confine à l’exclusion…

La plupart du temps, l’affaire est donc globale, à la fois familiale – éducative – sociale – économique – juridique – culturelle – psychologique et de l’ordre de l’habitat.

4 • Tant que ces causes existent, aucun changement n’est à espérer !

Résoudre les problèmes des violences urbaines des jeunes, c’est traiter régulièrement l’ensemble de leurs sources, c’est supprimer leurs causes, c’est agir dans un environnement donné sur l’abolition des facteurs qui les génèrent, dans la continuité et la constance. Et c’est mettre en œuvre ses pouvoirs organisateurs et ses compétences politiques et administratives pour le faire, radicalement et dans une continuité sans faille. 

Ne pas agir concrètement sur la résolution méthodique et ordonnée de ces fondements et sur leur suppression et leur élimination ne changera absolument rien au-delà d’un endiguement temporaire des manifestations redoutées. La complexité de ces opérations et des programmes nécessaires à leur mise en œuvre est certainement réelle et délicate, mais leur efficacité et les changements effectifs qui doivent se produire relèvent de la responsabilité des cohortes de politiques, d’administratifs, d’experts, de spécialistes, de consultants et d’intervenants de toutes disciplines qui occupent l’espace social. (On peut relire au paragraphe 3 ci-dessus la liste des 10 facteurs en cause sur lesquels ces responsables doivent agir). Tout le reste n’est que discours et « éléments de langage » défensifs et autojustificateurs…

Il faut le répéter  : « Dieu rigole à gorge déployée des hommes qui pleurnichent sur les conséquences des causes qu’ils préfèrent ignorer »

5 • Assécher le marécage : l’urgence absolue 

S’il importe d’établir des priorités dans l’action, il convient absolument d’éviter le piège banal de l’oscillation indécise entre prévention et répression. Avant de « faire de la prévention », (Ah ! l’animation sociale bienveillante…), il faut commencer d’abord par déminer le terrain, assécher le marécage. Radicalement. La répression « tolérance zéro » par élimination durable sans hésitation des leaders du désordre ! Même pas en douceur… 

Mais la répression et l’intervention sécuritaire ne peuvent constituer que le début de l’action et jamais ni sa finalité, ni sa totalité. Après seulement on peut causer prévention et éducation, envoyer des médiateurs, des CESF – Conseillers.ères en économie sociale et familiale, des accompagnant.e.s, des animateurs – animatrices et mobiliser l’action associative.

Certes, iIl est toujours plus aisé d’écrire que d’agir. Mais sans diagnostic certain et sans réflexion préalable fiable, les opérations lancées sont hasardeuses. Selon les interventions auxquelles j’ai été associé précédemment, s’y prendre pour déminer le terrain et assécher le marécage exige 

– un réel courage politique, s’appuyant sur une conscience populaire qui ne manque jamais de discernement, et accompagné d’une cohérence à ré-élaborer constamment entre forces de l’ordre et système judiciaire dont les trop fréquents désaccords sont néfastes et stérilisants en matière de violence sociale des jeunes.

– une clarification rigoureuse partagée avec la population, systématiquement diffusée et rediffusée à tous les âges dans tous les espaces d’éducation, de culture et de rencontre, des règles de la vie sociale et des procédures de sanction qui lui sont attachées en cas de transgression.

– un encadrement interdisciplinaire que l’on peut qualifier à la fois de sécuritaire, sociothérapeutique et pédagogique, conjuguant contrôle, surveillance et présence constante le jour et, surtout la nuit, sur une période plus ou moins étendue !

Ce n’est qu’une mesure temporaire, à surmonter rapidement pour éviter toute fascisation de la vie sociale collective. L’essentiel doit venir après, dans la (re)construction méthodique d’un idéal de vie et de conscience civique. « Mais ceci est une autre histoire… » À suivre donc !

Arnold Jaccoud

Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud

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