[Projet] Une « batterie d’eau » dans la rivière Langevin

STEP : STATION DE TRANSFERT D’ÉNERGIE PAR POMPAGE

Dans six ans, le site de la rivière Langevin à Saint-Joseph pourrait accueillir un bassin artificiel de 138 mètres de diamètre. Ce serait la partie la plus visible d’une station de stockage d’énergie plus propre et moins coûteuse que les batteries au lithium qui ont tendance à se multiplier en complément des sources d’énergie renouvelable.

Quelle solution ? Il suffit de poser la question de l’autonomie énergétique de La Réunion pour découvrir que les projets ne manquent pas. Aujourd’hui Denis Payre, PDG de la société Nature & People First, dévoile le projet d’une Station de transfert d’énergie par pompage dans la rivière Langevin à Saint-Joseph.

1000m de dénivelé séparent le bassin du haut à la Crête du bassin inférieur dans le lit de la rivière Langevin, face à la centrale hydroélectrique.

Une STEP, comme nous l’expliquions la semaine dernière en complément de la présentation du projet d’éoliennes en mer, permet de stocker l’énergie solaire ou éolienne. Pour résumer, la STEP joue le rôle d’une batterie au lithium tout en étant moins polluante et moins coûteuse. L’électricité produite par le soleil ou/et l’éolien sert en partie à pomper l’eau d’un premier bassin pour la remonter vers un autre bassin plus haut. Lorsque le vent est tombé et que le soleil s’est couché, l’eau est renvoyée dans le bassin du bas pour faire tourner une turbine.

L’idée a été imaginée au 19e siècle, elle s’est développée dans les années 1970-1980 en France pour faire face au pic de consommation de fin de journée. Puis elle a été abandonnée. En 2017 un rapport du ministère de l’industrie a même conclu qu’il n’y avait plus de potentiel pour les STEP dans l’hexagone. Il n’est en effet plus envisageable, et c’est heureux, de noyer des vallées entières pour y développer un va-et-vient d’eau entre deux bassins. Pas question de refaire en France un lac artificiel comme celui de Grand Maison en Isère (1,8GW de puissance). Et encore moins à La Réunion qui a échappé dans les années 1950 au projet de noyer Mafate par un barrage à Deux-Bras.

Grand Maison (Isère): 1.800 MW de puissance avec un barrage de 550 mètres de long sur 140 mètres de haut, 140 Millions de m3 d’eau….

Une dizaine de STEP envisageables à La Réunion

S’il convient que les méga-STEP n’ont plus droit de cité — en tout cas dans les pays où la population a son mot à dire — Denis Payre et son associé Guillaume Faure estiment que la technologie ne doit pas être abandonnée. Ils défendent le concept des « micro STEP » à faible impact environnemental : « Les unités de petite taille (7 à 20 MW) sont rentables avec un fort dénivelé. Et La Réunion, avec son relief montagneux, dispose d’une dizaine de sites qui présentent de belles équations économiques avec des besoins fonciers très limités. »

Le projet de Saint-Joseph est le plus avancé car il prend son emprise sur les terrains d’un seul propriétaire qui a déjà conclu une promesse de bail emphytéotique avec Nature & People First. Le plus haut bassin se situe à 1140m d’altitude au bout du chemin Assing à la Crête. Il y existe déjà une retenue collinaire. Un bassin intermédiaire (à 300m d’altitude) apparaît sur le plateau qui surplombe la rivière, au bord du chemin de la Petite Crête et le bassin inférieur qui mesurerait 138m de diamètre serait aménagé sur la rive droite de la rivière en face de la station hydroélectrique de Langevin, au pied de la conduite forcée déjà existante à 140m d’altitude.

Le dossier affiche une capacité de production de 20,3 MW, pour une utilisation de 4 heures par jour. L’électricité serait injectée dans le réseau EDF via les postes sources de Langevin ou de Montvert. Denis Payre évalue le coût de construction entre 40 et 50 M€, financé par des fonds privés avec le complément d’une subvention européenne. « Il faut compter 2 ans d’études et 3 ans de travaux », une fois le feu vert obtenu.

Ce feu vert attendu sera allumé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui doit écrire le cadre réglementaire des futures STEP. Nature & People First table sur la fin de l’année. Ce qui nous amène à un objectif de mise en service en 2030. La société porte également le projet d’une STEP à Saint-Pierre en Martinique, un projet plus avancé que celui de Saint-Joseph.

Le projet de Step de Saint-Pierre de Martinique a déjà obtenu son certificat d’urbanisme.

Un lac ou une batterie

Denis Payre est optimiste. Il cite un article du New-York Times saluant la « renaissance » des stations hydroélectriques depuis 2021. La montée en puissance des énergies renouvelables remplaçant peu à peu le pétrole s’accompagne obligatoirement d’une augmentation des capacités de stockage pour palier l’intermittence du vent ou du soleil. Et le choix se résume à un lac ou une batterie. 

Les arguments pour le stockage d’eau font consensus : Sa durée de vie est de 100 ans. Son empreinte carbone, très forte au moment de sa construction est lissée sur la durée et est deux fois moindre que celle d’une batterie. Le coût de l’énergie produite est moins élevé à condition de fonctionner avec un dénivelé de plus de 1000m, l’économie se répercute sur la Contribution au service public de l’électricité( CSPE), donc sur les factures aux consommateurs. Les STEP peuvent se combiner avec la lutte contre les incendies ou des systèmes d’irrigation… 

Le système des STEP est éprouvé, il représente dans le monde 94% des moyens de stockage d’énergie.

Surtout, la solution des retenues d’eau assure une autonomie du territoire concerné face à la domination chinoise et sud-américaine sur la production des batteries. Il assure également des créations d’emplois locaux tant pour la construction que pour l’exploitation. Les députés Jean-Hugues Ratenon et Nathalie Bassire sont tous deux montés au créneau pour défendre le modèle des Step. La Région l’a inscrit dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en 2019.

Reste maintenant à étudier la compatibilité des différents projets avec la protection de la biodiversité, la préservation des paysages et l’acceptation des populations riveraines. Autant de sujets que Denis Payre aborde avec sérénité : les prélèvements d’eau sont marginaux car c’est un circuit fermé, l’activité ne génère pas de pollution, la consommation de foncier peut se combiner avec un parking ou des panneaux photovoltaïques flottants.

Denis Payre, président de Nature & People First.

« En Martinique, tous les partis ont voté pour inscrire les STEP dans la PPE, il y a vraiment un consensus. Il n’y a pas d’hostilité du tout car nous concevons des objets qui sont très raisonnables en taille, très acceptables, insiste Denis Payre. On apporte les emplois locaux et l’indépendance énergétique. Le fait de se dire qu’on aura rien à importer pendant cent ans, c’est très rassurant. »

Franck Cellier

Akuo et BlueFloat Energy défendent la faisabilité de leurs éoliennes

La présentation la semaine dernière du projet d’un parc offshore éolien au large de La Réunion par le groupe Akuo – BlueFloat Energy a suscité quelques questions. Réponses des promoteurs Akuo et BlueFloat Energy :

– La résistance aux vents cycloniques est précisée pour des rafales de 287 km/h, est-ce suffisant car en 2023 les rafales du cyclone Freddy ont atteint 295 km/h et l’on prévoit des cyclones de plus en plus intenses à cause du réchauffement climatique ?

Les éoliennes de classe T (pour Typhoon) sont construites pour résister aux cyclones de classe 5 les plus violents. La majorité des projets éoliens flottants en Asie sont prévus dans des zones cycloniques. De nombreux prototypes éoliens flottants installés en Asie depuis une dizaine d’années ont été confrontés à des conditions cycloniques sévères (cyclones de classe 5) sans subir de dégradations majeures. La Réunion n’est pas une exception de ce point de vue et il existe de nombreux pays/territoires dans le monde exposés à des cyclones de même intensité qui mettent en place des projets éoliens en mer de taille conséquente.

– Quelle solution de stockage est envisagée pour éviter qu’une énergie intermittente ne mette en difficulté l’ensemble du réseau en cas de manque de vent ? 

Le mix électrique de la Réunion est aujourd’hui composé à 90% par des moyens de production « pilotables » (biomasse et barrage). L’injection de 200 MW de production éolienne « variable » dans le réseau actuel ne nécessite ainsi pas nécessairement de moyen de stockage. La production d’électricité par les éoliennes vient substituer la production d’électricité « pilotable » biomasse. A noter que l’éolien en mer offre de plus un facteur de charge élevé, de l’ordre de 50%, ce qui induit une production d‘électricité 90% du temps. Par ailleurs, à La Réunion, le seuil de déconnexion des installations de production mettant en œuvre de l’énergie fatale à caractère aléatoire mentionné à l’article L. 141-9 du code de l’énergie est fixé à 45 % en 2023. Le gestionnaire du système établit, en collaboration avec l’Etat et le conseil régional, les conditions technico-économiques pour porter ce seuil à 55 % en 2028. Le gestionnaire du réseau publie annuellement le pourcentage d’énergie produite par ces installations et injectée dans le réseau. Un objectif indicatif est d’en injecter 95 % dans le réseau à l’horizon 2028. Nous sommes ainsi à date, encore très loin des seuils mentionnés par la loi.

– Le réseau électrique de La Réunion peut-il se mettre à niveau pour accepter une augmentation de 200MW de la production ? Le projet peut-il être revu à la baisse (100MW) ?

La transition énergétique dans le monde passe par un rôle accru du vecteur d’énergie « électricité » dans le mix énergétique mondial. Ainsi, dans tous les pays qui amorcent une démarche de décarbonation importante de leurs économies, les réseaux électriques jouent un rôle crucial et devront subir des transformations majeures et des investissements importants. C’est évidemment vrai en France (cf rapport RTE 2050) et également à La Réunion. Ainsi, la PPE récemment validée à la Réunion implique l’installation de 300 MWc de capacité photovoltaïque supplémentaire d’ici à 2028 qui impliquent une adaptation du réseau. Ainsi avec ou sans projet éolien en mer à la Réunion, des investissements importants seront nécessaires. Dans le cas de la mise en œuvre d’un projet éolien flottant de 200 MW (qui est un minimum pour un projet éolien en mer à vocation commerciale), le réseau devra être effectivement adapté et des études devront être conduites par EDF SEI pour optimiser cette adaptation du réseau. Mais il n’y a rien d’impossible techniquement.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.