Projet de parcs éoliens en mer d'Akuo

[Énergie] La Réunion s’en remet au vent…

COMMENT DÉVELOPPER L’ÉNERGIE RENOUVELABLE SANS FAIRE EXPLOSER LES COÛTS

Encore un projet titanesque au pied d’argile ? En tout cas, le parc d’éoliennes géantes en mer annoncé depuis deux ans confirme qu’il est bien dans les tuyaux et ses promoteurs, Akuo et BlueFloat Energy, entament une phase de lobbying intense. Au-delà du soutien affiché de la Région, il leur faudra des vents très favorables pour convaincre l’Etat et EDF, lever les obstacles financiers, techniques et environnementaux et… ne pas se mettre la population à dos. 

Parallèle Sud a été le premier à annoncer le projet titanesque d’une plateforme éolienne offshore au large de La Réunon. C’était le 6 mai 2022. Jean-Pierre Chabriat, élu régional délégué à la transition énergétique et président de la SPL Horizon Réunion, annonçait que la Région était en contact avec des acteurs majeurs de l’énergie pour ériger des éoliennes grandes comme la Tour Eiffel à une distance de 5 à 10 km de la côte. Et il parlait d’un seuil de rentabilité à partir de 200MW. C’est énorme. Peut-être trop au regard de la capacité du réseau électrique réunionnais à absorber une quantité d’électricité équivalente au quart de la production actuelle.

Et puis La Réunion a vu passer tellement de projets pharaoniques, dont la plupart n’ont jamais abouti (utilisation des eaux profondes pour climatiser (SWAC), géothermie, utilisation de la houle ou des marées, etc.) que la méga-plateforme d’éoliennes peut s’apparenter à un mirage lointain… Mais la semaine dernière les deux entreprises porteuses du projet, Akuo et BlueFloat Energy, sont sorties du bois — ont débarqué de Paris — pour organiser une réunion d’information regroupant toutes les institution potentiellement concernées (l’Etat sceptique, la Région enthousiaste, les associations de protection de l’environnement inquiètes…)

Eric Scotto, le patron d’Akuo, et Clément Mochet, directeur France de BlueFloat Energy ont présenté les caractéristiques techniques du projet : des éoliennes dont le diamètre du rotor mesure 236 mètres fixées sur des plateformes flottantes attachées par des câbles au sol sous-marin sur des profondeurs allant de 500 à 1500m.

  • Réunion d'informations sur le projet d'éoliennes en mer organisée par Akuo et BlueFloat. © Akuo

Ce genre de parc se développe dans des sites comparables et soumis à de fortes contraintes cycloniques (Japon, Taïwan, Golfe du Mexique, etc.). Le Quotidien qui a réalisé un dossier bien étayé sur le sujet évoque une résistance à des rafales de 287 km/h selon une entreprises danoise. « 287 km/h, ça ne me rassure pas, commente Christophe Barbarini, lanceur d’alerte sur l’impréparation du territoire face au réchauffement climatique. L’an dernier, les rafales du cyclone Freddy, qui est passé à proximité ont atteint 295 km/h. Et les cyclones de catégorie 5 se feront de plus en plus fréquent. »

Objectif 2030

Autre frein au développement d’un parc éolien : l’acceptation de la population. Sur terre, comme en mer, les projets éoliens doivent souvent faire face à la contestation des riverains. A La Réunion, les éoliennes de Sainte-Rose se sont attirées les foudres d’habitants disants devenir fous à cause du bruit.

L’impact paysager n’est pas à négliger non plus. Le projet Akuo-BlueFloat pourrait y échapper du fait de son éloignement de la côte. Il a plus à craindre des risques liés à l’impact sur les poissons, cétacés et sur les oiseaux dont de nombreuses espèces sont protégées, voire menacées d’extinction. Il lui faudra donc mener des études et demander des arrêtés de dérogations pour engager le chantier. C’est largement faisable si l’on se réfère au chantier de la Nouvelle route du littoral qui avait obtenu toutes les dérogations demandées.

Le dossier s’annonce en tout cas long et fastidieux. Les promoteurs visent une mise en service à l’horizon 2030. Ce qui va nécessiter une volonté politique forte. Elle est acquise du côte de l’actuelle majorité régionale, Jean-Pierre Chabriat, l’élu référent sur les questions d’énergie « souhaite aller le plus vite possible » et affirme que « la Région accompagnera les études. » La collectivité milite en tout cas depuis deux ans pour faire évoluer la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui ne programme pour l’instant que 40MW de production éolienne quand Akuo-BlueFloat rappelle qu’à moins de 200MW le projet ne serait pas viable. Jean-Pierre Chabriat insiste sur la prépondérance de l’Etat, premier décisionnaire en la matière.

Lors de la réunion d’information, Emmanuel Braun, directeur adjoint de l’environnement, l’aménagement et le logement (Deal), s’est voulu on ne peut plus prudent : « Beaucoup de questions ne sont pas tranchées. Il faut regarder tout ça en amont. » A noter que le projet est estimé entre 700 et 800 millions d’euros mais il s’agira de fonds privés (à l’exception de subventions européennes) ce qui ne grévera donc pas le budget des collectivités locales.

Les Réunionnais simples spectateurs

Question confiance et influence, Akuo est plutôt bien placé. Il a fait ses preuves à La Réunion avec la centrale photovoltaïque de la prison du Port, construite en 2014 (27 000 panneaux solaires et des batteries lithium-ion d’une capacité de 9MWh). Le fait d’avoir recruté Jean Ballandras, qui était alors le secrétaire général des affaires régionales (Sgar) de la préfecture pour en faire son actuel directeur Asie-Pacifique, montre que le groupe sait dialoguer avec l’Etat…

Reste que la concurrence est multinationale. « Les Réunionnais ne sont  que les spectateurs de ce qui se décide », déplore par exemple Laurent Bridier, ex-chargé de mission à la transition énergétique de l’ancienne mandature régionale. Plus ou moins privés de la décision, les Réunionnais risquent aussi d’être privés de la réalisation de ce parc éolien en mer, s’il se confirme.

On a pu voir l’an dernier que la fin des énergies fossiles (fioul et charbon) pour la production d’électricité a perpétué la dépendance à des importations de bois et d’huiles végétales. Le « 100% d’énergie renouvelable » se traduit même par une dépendance de plus en plus cher. Et c’est, concrètement, l’information la plus importante révélée lors de la réunion d’Akuo-BlueFloat : le mix charbon-fioul coûtait 250€/MWh.

Cette année, l’électricité produite à La Réunion par biomasse liquide coûtera 455€/MWh et celle produite par Albioma en brûlant des pellets de bois venus du bout du monde coûtera 368€/MWh. Alors qu’en France, le coût de production moyen se situe entre 50 et 100€/MWh (sources : Akuo-BlueFloat). Même si le consommateur paie son kWh au même prix qu’il habite à Lyon ou à Bras-Panon, tous subissent des augmentations considérables sur leurs factures.

Vincent Defaud de Génération Ecologie s’y attendait : « On s’est mis à commander des pellets de partout dans le monde. La production ne suit pas, les coûts explosent et ceux de l’électricité aussi… » 

Peut-on se passer de batteries importées ?

Le vent et le soleil sont gratuits… Mais l’énergie qu’ils génèrent n’est pas permanente. Il suffit d’un nuage et d’un calme plat pour que la production d’électricité diminue. Ce qui est supportable jusqu’à un certain quota de la production totale mais pas au-delà. Or 200MW d’énergie éolienne intermittente, en l’état actuel, mettrait en péril le réseau et les consommateurs. 

Les promoteurs d’Akuo-BlueFloat évoquent la fiabilité de leur système de stockage par batteries. Le problème, si l’on vise l’autonomie énergétique, c’est que ni les éoliennes, ni les batteries ne se fabriquent à La Réunion… et leur construction est particulièrement polluante… Laurent Bridier, en plus d’avoir consacré une thèse à la « modélisation et optimisation d’un système de production électrique intermittente avec du stockage », s’est penché sur la question lors de son passage à la Région.

Il défend l’idée des Stations de transfert d’énergie par pompage turbinage (STEP). Pour résumer, l’électricité produite par le soleil ou/et l’éolien sert en partie à pomper l’eau d’un premier bassin pour la remonter vers un autre bassin plus haut. Lorsque le vent et le soleil font une pause, l’eau est renvoyée dans le bassin du bas pour faire tourner une turbine. C’est comme un stockage sans batteries au lithium. « La commune du Tampon qui dispose de grands bassins aux Herbes-Blanches, Piton Marcelin et bientôt Sahales, est intéressée et des études ont été menées sur deux autres communes du Nord et du Sud ».

Gilbert La Porte président de Domoun La Plaine opposé au projet de bassine retenue collinaire de Piton Sahales
La retenue de Piton Marcelin et celle des Herbes blanches, à la Plaine des Cafres, pourraient être utilisées pour stocker de l’électricité.

La Réunion peut-elle s’imaginer une centrale hydro-éolienne ? Elle rejoindrait alors l’île grecque d’Ikaria et celle d’El Hierro dans les Canaries

Franck Cellier

Lire également : l’analyse de Valentin Russeil, docteur en aménagement de l’espace et urbanisme. Et celle de ChronIA.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.