EXPULSION DE LA FAMILLE RALLOTS A SAINT-PIERRE
Deux mois et demi après l’irruption brutale de policiers à leur domicile de la Ravine blanche à Saint-Pierre, la famille Rallots vit toujours dans la précarité et l’incertitude. Suspendus à la mise en application de leur expulsion administrative, les héritiers revendiquent leur droit à vivre dans la tranquillité dans leur maison familiale.
Le tronc est impressionnant. « Ca doit être un des plus vieux pieds de benjoin de Saint-Pierre ». Donis nous fait visiter la cour de ses parents. Il fait partie des neuf héritiers qui ont décidé de tout donner pour leur maison de famille, située dans le quartier de Ravine Blanche à Saint-Pierre. Le 25 avril dernier, son neveu Yohan, journaliste bénévole auprès de Parallèle Sud, avait fait une vidéo live en pleurs sur facebook partagée des centaines de fois, alors que les policiers entraient pour mettre en application la mesure judiciaire d’expulsion.
Pied de cannelle, baie rose, jacquier, manguier, pied de zévi, jamblon, carambolier, cotonnier… La vraie cour créole comme on n’en trouve plus beaucoup, avec le parc pour les volailles, la salle d’eau au bout d’un couloir ouvert sur l’extérieur, après la cuisine feu de bois. « Le goyavier là, il était déjà là quand je suis arrivé », raconte Donis, 58 ans. La petite chapelle à l’arrière s’est vue dépouillée de ses meubles, mais les portraits des ancêtres sont toujours là, entourés de bougies, de bouteilles. Emus, les petits enfants soulignent que malgré tout, les ancêtres sont toujours là et c’est pour eux qu’ils continuent de se battre.
« Nou tienbo é nou largra pa »
Face aux ambitions commerciales de Wein Location, loueur de voitures, plutôt enclin à bétonner des parkings, que vont devenir ces arbres, ces empreintes de la culture créole, qui petit à petit, inexorablement, sont détruits ?
« Nou tienbo é nou largra pa », s’exclame Ludivine, une des petites filles, déterminée. Les enfants comme les petits-enfants ont tous grandi là, les souvenirs ne sont pas loin. « Je me souviens, je rentrais de l’école et on jouait au vélo, on courait ». Petit à petit, un ALGECO® s’est monté de l’autre côté de la clôture, les entreprises se sont installées, à proximité immédiate du terrain de 800m2 situé dans une zone commerciale attractive, à deux pas de la quatre voies et de l’entrée de Saint-Pierre. Wein Location s’est installé lui aussi. C’est lui qui réclame aujourd’hui la jouissance du bien qu’il aurait donc acquis en totalité au cours d’une vente aux enchères en 2018.
Elan de solidarité
La famille clame ne pas avoir été informée de cette vente, elle aimerait avoir l’opportunité de racheter les quotes-parts des héritiers qui ont vendu. Mais la procédure qui dure depuis 17 ans semble mal partie pour les habitants de la maison.
Les cinq membres de la famille qui vivent toujours là, soutenus par leurs proches, dorment à l’extérieur, sous le boukan, sur les matelas gonflables qu’ils ont achetés. Ils n’ont plus aucun meuble, tout a été envoyé au Port par les déménageurs, stocké dans un garde-meubles. Avec quelques palettes, ils se sont reconstitué une petite cuisine extérieure, une bouteille de gaz et une gazinière étaient restés dans un coin, des personnes venues les soutenir leur ont apporté une seconde gazinière. La famille salue « l’élan de solidarité » qui s’est mis en place alors qu’on les délogeait le 25 avril dernier en direct sur les réseaux sociaux, aux yeux de tous et dans l’incompréhension générale.
« Vol organisé »
Depuis, deux mois se sont écoulés, ils ont pu rester sur place, dans une situation précaire, l’huissier leur a rendu la clé au lendemain de l’expulsion vers 4h30 du matin. « Les enfants dorment à l’intérieur à l’abri du vent, mais nous on dort là, on n’a plus rien à l’intérieur », indique Angelina. « Ce qu’il s’est passé, c’est du vol organisé, ils sont venus et ils nous ont tout pris », s’exclame Ludivine qui souligne que les meubles qu’on leur a enlevés sont des « meubles insaisissables », car il s’agit de meubles de première nécessité.
Depuis le 25 avril, la famille a envoyé des courriers à toutes les institutions : Préfecture, procureur, bâtonnier de Saint-Pierre, la Chambre nationale des commissaires de Justice… « On essaie de faire bouger les choses », déclare Ludivine. En retour, la Préfecture explique le détail de la procédure d’expulsion qui intervient en exécution du jugement du 22 mars 2021 qui ordonne en première instance l’expulsion de la famille Rallots de la parcelle. Ils apprennent que cette décision survient après la remise par la Cour d’appel de Saint-Denis d’un certificat de non-appel. Les héritiers, persuadés d’avoir fait appel de cette décision judiciaire, interrogent leur avocat, Me Bernard Von Pine. « Il nous a dit qu’il avait fait appel mais il ne nous a pas envoyé la preuve », indique une héritière.
Ce jeudi 11 juillet, une lettre vient d’arriver. Dans son courrier, l’avocat de deux membres de la famille informe sa décision « de ne pas poursuivre la collaboration » en raison de « la perte de confiance envers le conseil dans ce genre de situation pénible et difficile que traverse la famille Rallots ».
Dans le flou
La famille ne baisse pas les bras. Ils ont prévu de poursuivre la mobilisation autour de leur expulsion, soutenus par plusieurs associations ou personnalités. Comme Ruth Dijoux, la référente départementale de Génération écologie, le collectif Cri 974 (collectif pour la réparation des injustices à la Réunion) ou encore le rond-point des Azalées au Tampon.
« Nous ne nous sommes pas penchés sur le fond du dossier mais ce que je peux dire c’est que le problème de cette famille, c’est qu’elle est dans le floue », note Xavier Fontaine du collectif Cri 974. « Il n’y a pas de transparence sur ce qu’il se passe, ils n’ont pas d’accès à l’info. Ce n’est pas normal, s’il y a un transfert de propriété, les gens doivent être informés ! Les procédures sont complexes et les gens n’ont pas le choix que de faire confiance aux avocats. Nous, dans le collectif, nous ne sommes pas juristes, mais nous avons proposé de discuter avec eux, de les soutenir, réfléchir à la stratégie. »
« On veut juste qu’on nous laisse vivre tranquillement sur notre ti terrain qu’on a jamais voulu vendre », revendique Ludivine. « L’huissier nous met la pression tous les 15 jours en venant avec un papier. On veut que la situation se règle dans le respect des lois. »
Jéromine Santo-Gammaire