« Refonder la relation entre nos territoires et la République »

Le monde est inquiet. Le bruit des armes, les cris des victimes, les pleurs des survivants s’entendent sous toutes les latitudes. L’équilibre de la terreur nous protège d’un embrasement général d’un apocalypse nucléaire, la paix au prix de la peur. Nous ne sommes pas à l’abri d’un Docteur Folamour.

Notre Peuple ne peut pas rester indifférent. Il doit montrer par des manifestations et par des initiatives, qu’il est artisan de paix non pas au prix de la guerre et de la peur, mais au prix de la justice.

Sous ce ciel sombre dans son ensemble, percent des lueurs d’espoir, de justice, ici ou là. Nos frères chagociens voient se préciser la perspective d’un possible retour au pays, de possibles retrouvailles de la terre matrice.C’est l’occasion de souligner l’action du « Mouvement Réunionnais pour la Paix » qui soutient efficacement ici l’action des chagociens.

La solidarité des Réunionnais avec leurs frères du monde en humanité, ne doit pas leur faire oublier leur responsabilité pour la partie du monde qu’ils ont en héritage qu’est La Réunion. Il ne faudrait pas que les manifestations locales pour la Palestine, le Congo ou le Vénézuéla nous fassent oublier les chômeurs, les chefs d’entreprises, les exclus, les injustices, les violences d’ici.

Au cours d’une de ces réunions qui se tiennent un peu partout, un ami faisait remarquer que pour attirer du monde, il faudrait s’intéresser à ce qui préoccupe les gens : aux prix par exemple. Il ne s’agit pas d’attirer le peuple comme le miel attire les mouches, comme la publicité fait vendre. Il s’agit de réunir les conditions qui donneront aux peuples le pouvoir de changer la situation. Le Cospar (Collectif des Organisations Syndicales et Politiques de la Réunion), les Gilets Jaunes, les manifestions des agriculteurs de France, les manifestations plus récentes à propos de la retraite, les événements de Martinique aujourd’hui même, ont tous la question des prix et du pouvoir d’achat au centre de leur motivation. Qu’en est-il sorti aujourd’hui, depuis au moins trente ans ? Pour trouver la réponse à cette question, il faut comprendre que dans le combat qui partage le monde entre « le profit d’abord » et « l’Homme au centre », aujourd’hui c’est le premier qui gagne. La Révolution française a fini avec Napoléon et la domination du « profit d’abord » : la Révolution russe de 1917 a fini avec la ploutocratie aux manettes à Moscou ; la révolution chinoise, elle-même, a fini avec le capitalisme d’État qui fait la loi à Pékin. Il faut reconnaître que ces révolutions ont apporté des transformations sociales importantes. Mais elles n’ont pas mis fin au système du « profit d’abord » qui, toujours au pouvoir, s’est assis, plus d’une fois, sur les acquis de ces transformations.

A propos des prix, comme d’une multitude d’autres problèmes, la source des blocages, pour ce qui concerne la France, se trouve dans les institutions politiques autour d’un pouvoir national centralisateur, dans le déni des peuples locaux et dans l’opposition à des pouvoirs qu’auraient ces peuples pour les rendre responsables du développement de leurs pays. En mille ans de l’Histoire de France1, depuis Charles Martel en passant par Colbert, Napoléon, le Comité des forges, Thiers, Guizot et les autres, le camp du « profit d’abord » a patiemment travaillé à la conquête de ce pouvoir politique centralisateur. Les échanges entre les présidents des régions ultramarines et le pouvoir central, avec la déclaration de 2021 et l’appel de 2022 de Fort-de-France, avec les réponses du CIOM, seraient un bon exemple de ce centralisme exclusif du pouvoir national français.

Le 16 mai 2021, sept présidents de collectivités ultramarines, dont la présidente du Conseil Régional de La Réunion, signent une « Déclaration ». – Le 17 mai 2022 « les président(e)s de six Régions ou Départements de La Réunion, de Mayotte, de Guyane, de Guadeloupe, de Martinique et de Saint-Martin » confirment leur déclaration précédente par « un appel solennel à l’État pour un changement de la politique des outre-mer ». – En septembre 2022, au « Comité Interministériel des Outre-Mer » (le CIOM), en présence de 50 élus dont ceux de Saint-Martin, de Saint-Barthélémie et de Saint-Pierre-et-Miquelon, le Président de la République souhaite « initier un renouveau de l’Outre-Mer ». A cette occasion, la Première Ministre, Elisabeth Borne, présente 72 mesures, en

guise de réponse du Gouvernement à la Déclaration et à l’Appel de Fort-de-France de 2021 et 2022,.- Le 16 juillet 2023, lors du Conseil Interministériel des Outre-Mer, la Première ministre « valide les 72 mesures concrètes qui seront déployées pour améliorer le quotidien des ultramarins. »

Sans doute, les turbulences politiques nationales viennent un peu perturber la marche de ce « renouveau de l’Outre-Mer». Mais au-delà des péripéties de l’actualité, quelque chose me fait dire que, comme bien d’autres plans, projets et mesures du passé, les 72 mesures du CIOM finiront dans les oubliettes de l’Histoire ultramarine française, donc la nôtre. – Le 16 mai 2021, les élus déclaraient que « l’heure est venue d’ouvrir une nouvelle étape de l’’Histoire des pays d’Outre-Mer au sein de la République… de refonder la relation entre nos territoires et la République par la définition d’un nouveau cadre permettant la mise en œuvre de politiques publiques conformes aux réalités de chacune de nos régions » – Le 17 mai 2022, ils reviennent, dans l’Appel solennel au Président de la République, sur la nécessité de « refonder La relation entre nos territoires et la République.

Trois constats s’imposent. Premier constat : la plupart de « ces territoires d’Outre-Mer » (Guyane, Martinique, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin, etc.) bénéficient déjà de statuts politiques particuliers (de nouveaux cadres), sans que, pour autant, « la relation avec la République » ne semble avoir changé ; deuxième constat : les politiques ultramarins posent les problèmes, mais demandent au Président de la République d’apporter les solutions concrètes ; troisième constat : c’est le Gouvernement, en effet, c’est-à-dire le CIOM, qui définit les solutions à travers 72 mesures, en réponse à la déclaration et à l’appel de Fort-de-France. Tout le monde est dans le logiciel des relations que l’on veut changer.

La démonstration est faite que le changement de statut nécessaire 2, à lui tout seul, ne change pas la relation. En amont du changement de statut en effet, il faut, en plus, un changement de mentalité et de comportement. Dans l’affaire de Fort-de-France et du CIOM, Il aurait fallu que les territoires se présentent en partenaires du pouvoir central ; pour cela, il aurait fallu qu’ils arrivent à la table des négociations avec des propositions, sans attendre celles du CIOM ; enfin il n’aurait pas fallu « une rencontre, », fût-elle « fondatrice », mais une négociation : que les responsables des Outre-Mer soient d’un côté de la table avec leurs propositions et le pouvoir central de l’autre côté de la table avec ses 72 mesures et que la négociation commence. On notera qu’aucune des 72 mesures ne concerne « la refondation de la relation entre nos territoires et la République », même si le Président s’est déclaré « être prêt à aborder les questions économiques, sociales et institutionnelles. » 

Il est vrai qu’en face d’un pouvoir national qui se repose sur les institutions centralisatrises actuelles, les responsables ultramarins, en tout état de cause les Réunionnais, sont démunis. Les convictions et le militantisme partisans, ne signifient pas l’adhésion du « Peuple Souverain ». Les élus martiniquais (comme les guyanais) obtiennent un « référendum local » qui est fixé au 10 janvier 2010 pour une plus large autonomie accordée à la Région (art. 74 de la Constitution). Le Peuple Martiniquais dit non à 79 %. Un second référendum, le 24 janvier, de la même année, qui propose la fusion du Conseil général et du Conseil régional (art. 73 de la Constitution) est, par contre, voté. « La refondation de la relation entre nos territoires et la République » par la création de pouvoirs locaux responsables du développement de leurs peuples doit être validée par un référendum local qui donnerait du sens et du poids aux représentants locaux, comme partenaires du pouvoir national.

Si cette validation ne se fait pas, « le retour des peuples » ne se fera pas non plus. Mais, encore une fois, le retour institutionnel suppose, en amont, un changement de mentalité et de comportement.

Que les candidats nouveaux aux élections le sachent : sans ce changement des mentalités et des institutions, ils ne pourront pas faire mieux que les élus actuels. Le problème des prix et du pouvoir d’achat à La Réunion n’est pas le même qu’en Alsace, en Martinique ou à Tahiti. La solution des problèmes de ce genre dans chacun des pays de la République ne sera jamais efficace, si elle est prise à Paris par Paris. C’est sur place que se posent les questions d’extension, de renonciation ou d’adaptation des mesures nationales, que se posent les questions de mesures particulières « permettant la mise en œuvre de politiques publiques conformes aux réalités de chacune de nos régions. »

C’est pour toutes ces raisons que, s’agissant de La Réunion, « Le Projet d’un Peuple » 3, fait l’objet d’une réflexion aussi large que possible à travers « La Conférence des Milles » et « Les Etats Généraux » ; c’est pour toutes ces raisons que « Le Projet d’un Peuple » suppose, surtout, la validation des conclusions des cette réflexion par un « référendum local ». Les choses étant ce qu’elles sont, nos élus politiques, professionnels, associatifs ont besoin de cette consécration du « Peuple Souverain ». Sans cette consécration tous les efforts des uns et des autres, toutes les initiatives formidables que l’on voit fleurir dans l’île, tout l’argent investi, toutes les revendications particulières risquent de n’avoir servi à rien, de finir dans le pire, comme cela s’est produit ailleurs. Les apparences de la prospérité – qui saute aux yeux au spectacle de la vie réunionnaise – risquent de s’effondrer faute de la clé de voûte qu’est la conscience des Réunionnais d’un « destin commun » dont ils sont responsables : de former un peuple identifié, reconnu et responsable au lieu d’une population anonyme, irresponsable et prise en charge.

Trop de contentieux passés entretiennent des ressentiments qui nous divisent. Nous ne devons pas oublier les causes historiques de ces contentieux, nous devons réparer leurs méfaits. Mais cela fait, nous devons nous atteler tous ensemble, sur le chantier de La Réunion d’aujourd’hui pour la réussir.

Nous avons le privilège de pouvoir réunir les moyens de la réussite : moyens politiques, financiers, de formation, etc. Ne nous égarons pas sur des chemins qui conduisent à des impasses. .

Paul Hoarau

1-HISTOIRE DE LA BOURGEOISIE EN FRANCE – Régine PERNOUD – éditions du Seuil 1962

2-Le changement de statut dans le cadre de la République, est, pour le moment, un problème propre à chaque territoire. Pour bien faire, il serait un problème national qui concerne la Bretagne et l’Alsace autant que la Martinique et La

Réunion. C’est le problème du jacobinisme français.

3-« LE PROJET D’UN PEUPLE fait l’objet d’une brochure gratuite pour les faiseurs de tables et leurs invités et à tous ceux qui en font la demande.

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